Par ce projet de loi d'adaptation au droit de l'Union européenne, il s'agit de mettre notre droit national en conformité avec six règlements et six directives qui ont des implications importantes, puisqu'ils sont relatifs à la santé, au travail, à l'économie, au transport et à l'agriculture.
Nous le savons tous, la loi relève par principe de la compétence du Parlement, mais par exception, ce dernier peut habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances et donc hors de son champ de compétence de principe. Nous ne sommes pas surpris, mais nous déplorons qu'encore une fois, vous abusiez, par ce projet de loi, de cette possibilité qui vous est offerte mais qui devrait rester exceptionnelle, en intégrant ces nombreux articles visant à habiliter le Gouvernement à légiférer à notre place par ordonnances pour transposer des directives entières plutôt que de soumettre purement et simplement ces dispositions au vote du Parlement.
Le sort que vous avez réservé à l'article 8 en est une belle illustration. Le Sénat avait supprimé cet article vous habilitant à transposer par ordonnances une directive sur l'obligation de transparence des entreprises en matière d'informations environnementales et sociales. Cette directive, saluée par les associations et les syndicats, contraint notamment les entreprises à réaliser un rapport de « durabilité » qui devra contenir un certain nombre d'informations sur les actions et impacts de l'entreprise en matière d'environnement, de mesures sociales et de gouvernement d'entreprise, et s'applique à toutes les grandes entreprises et aux petites et moyennes entreprises cotées – soit environ 50 000 entreprises concernées dans l'Union européenne. Sa transposition soulève donc de nombreux enjeux pour le contrôle et la régulation des multinationales, et c'est justement ce qui avait motivé la suppression de cet article 8 par le Sénat : il est nécessaire d'examiner un projet de loi sur le sujet, d'en débattre sur le fond.
Il en va de même de l'article 7, qui autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour transposer la directive européenne de 2021 relative à la transparence fiscale pays par pays, laquelle régule la publication d'informations sur les bénéfices et les impôts payés par les multinationales.
Ces informations sont d'une grande importance dans la lutte contre l'évasion fiscale. Lors de l'élaboration de la directive, le Gouvernement s'était fait le porte-parole de la position du Medef, diffusant ses lignes rouges sur la base d'un document directement rédigé par l'organisation patronale, agissant sans nuance et usant d'arguments erronés. Le résultat fut l'adoption d'une directive ne comportant que de faibles exigences en matière de transparence fiscale et peu efficace pour lutter contre l'évasion fiscale des multinationales. Une clause de sauvegarde a notamment été introduite, offrant la possibilité à ces dernières de ne pas publier les informations qu'elles estiment sensibles.
Il conviendrait au contraire de connaître le détail des activités des multinationales dans chacun des pays du monde, y compris dans l'intégralité des paradis fiscaux, exclus du champ de la directive. Ainsi, les multinationales seront même encouragées à s'établir dans ces paradis fiscaux, où elles paieront peu d'impôts et n'auront pas à déclarer leurs activités publiquement.
Je l'ai dit, le Gouvernement demande d'être habilité à transposer seul cette directive par ordonnances. Mais comment croire qu'il ne relaiera pas de nouveau la position du Medef ? Comment croire qu'il fera les choix nécessaires pour lutter efficacement contre l'évasion fiscale ? Une fois de plus, la transposition de cette directive aurait dû faire l'objet d'un véritable projet de loi, examiné de manière transparente au Parlement.
D'autres points nous questionnent sur le fond. C'est le cas, entre autres, des dispositions figurant à l'article 11, dont l'insuffisance n'a pas manqué d'apparaître au Sénat, qui en a revu les contours. Cet article transpose sans cadre suffisant l'autorisation, pour des acteurs économiques condamnés pour des infractions pénales gravissimes – corruption, détournement de biens publics, prise illégale d'intérêts –, de prouver leur bonne foi afin de ne pas subir la sanction d'exclusion des marchés publics, pourtant de plein droit, pour une durée de cinq ans. Cette grande délinquance porte pourtant atteinte à notre contrat social et produit des effets inverses à l'objectif louable de moralisation de la commande publique.
Nous nous opposerons donc à ce projet de loi, non seulement car il autoriserait à légiférer par ordonnances, mais aussi eu égard à la majorité de ses dispositions elles-mêmes – dispositions que nous avions combattues en première lecture, aussi bien au sein des différentes commissions saisies qu'en séance publique.