L'examen de cette proposition de loi selon la procédure de législation en commission (Plec) contraignant un peu l'exercice, nous avons souhaité nous limiter aux deux articles dont nous avons proposé la modification.
Pour mémoire, l'ordonnance de protection est une procédure d'urgence pour les situations de violences conjugales, par laquelle le juge aux affaires familiales (JAF) prend toute une série de mesures dans un délai très court – interdiction de contact, de paraître, de porter ou de détenir une arme, mais aussi possibilité, pour la partie demanderesse, de dissimuler sa domiciliation. Le juge peut également statuer sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale et prononcer l'éviction forcée du conjoint violent.
Dans la panoplie judiciaire, c'est la première étape à franchir pour une victime qui souhaite se séparer d'un partenaire violent ou se protéger d'un ancien partenaire violent. Ces mesures doivent lui permettre d'organiser au mieux cette séparation tout en étant protégée.
Cette ordonnance est un bel outil, qui est cependant loin de donner entière satisfaction. Le nombre de demandes accordées a certes augmenté de 129 % entre 2015 et 2021, mais il partait de si bas que cela reste insuffisant. En valeur absolue, il est dérisoire : en 2021, 3 852 demandes d'ordonnances de protection ont été acceptées quand 208 000 personnes se sont déclarées victimes de violences de la part d'un partenaire ou d'un ex-partenaire. En comparaison avec la situation en Espagne, il l'est tout autant : 25 289 ordonnances de protection y ont été délivrées en 2020. Mais il l'est encore plus au regard des autres chiffres de l'année 2021 : 122 femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint ; 684 suicides ou tentatives de suicides de femmes à la suite du harcèlement de leur partenaire ou ex-partenaire ; 190 tentatives de féminicides.
Pour reprendre les mots d'Ernestine Ronai, présidente de l'observatoire des violences faites aux femmes en Seine-Saint-Denis, ce n'est pas une femme qui meurt sous les coups tous les trois jours, mais trois victimes qui, tous les jours, sont aux portes de la mort ou la franchissent. C'est ce constat qui m'a conduite à déposer cette proposition de loi qui modifie, un peu, les conditions de délivrance de l'ordonnance de protection ou plutôt qui facilite le travail du juge et l'éclaire sur l'appréciation qu'il doit porter sur ces violences.
L'article 1er reprend une préconisation du Comité national de l'ordonnance de protection (Cnop).
Ce comité a été instauré en 2020 par la ministre de la justice Nicole Belloubet, pour augmenter le nombre d'ordonnances de protection demandées et celui des ordonnances délivrées, et pour identifier les difficultés et les obstacles expliquant la faiblesse du nombre d'ordonnances de protection. Ernestine Ronai, très engagée sur ces sujets, en est également la présidente. En particulier, le comité a fait le suivi de la disposition prévoyant le raccourcissement de quarante-deux jours à six du délai de délivrance introduit en 2019 par la loi Pradié.
Dans son premier rapport d'activité publié en juin 2021, le Cnop a fait parmi d'autres recommandations celle de retirer de la loi la notion de danger. L'article 515-11 du code civil prévoit en effet que le juge aux affaires familiales délivre une ordonnance de protection « s'il estime […] qu'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés ». Or, une étude menée par une magistrate honoraire membre du Cnop montre que la notion de danger complexifie la décision à rendre par les juges. Elle les conduit à hiérarchiser les violences, en distinguant celles qui sont sources de danger de celles qui ne le sont pas, notamment en s'appuyant sur la fréquence et l'ancienneté des violences. Mais c'est là une mission impossible, puisque le danger est par définition imprévisible et que l'objet de l'ordonnance de protection est la prévention d'un risque.
Peut-on envisager des violences, portées devant le juge en débat contradictoire, qui puissent ne pas laisser penser qu'il existe un danger imprévisible pour la victime ? Toutes les violences mettent en danger les personnes qui les subissent ; toutes les victimes de violences méritent d'être protégées, dès lors qu'elles en font la demande au juge et que ces violences sont vraisemblables.
Aucune violence n'est anodine ; toute violence subie mérite une protection. Ce message doit être martelé par le législateur, pour donner confiance aux victimes, pour les inciter à saisir le juge. C'est ce que disent le Cnop et sa présidente, c'est ce que dit M. Édouard Durand, magistrat qui a notamment travaillé dans le cadre de la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Cette conviction est étayée par le guide pratique de l'ordonnance de protection, publié par la direction des affaires civiles et du sceau (Dacs) à destination des magistrats, qui précise bien : « la violence “vraisemblable” constitue un danger en tant que tel ». Ce n'est pas le danger, mais la violence qui doit être vraisemblable ; le danger est constitutif de cette violence.
J'ai longuement échangé avec Ernestine Ronai et je suis convaincue du bien-fondé de cette préconisation. C'est pourquoi, considérant que la notion de danger est inhérente à la reconnaissance de violences vraisemblables portées devant le juge, je prévois, à l'article 1er, de la retirer de l'article 515-11 du code civil.
Par une décision du 16 septembre 2021, la Cour de cassation n'a pas procédé au renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité, qui invoquait l'atteinte au principe de la présomption d'innocence faite par l'ordonnance de protection. Elle a considéré que la question ne présentait pas de caractère sérieux, car les mesures prises par le juge reposaient, non sur la culpabilité, mais sur la potentielle dangerosité de la partie défenderesse. Je considère que la procédure apporte des garanties suffisantes à la partie défenderesse – décision d'un juge après un débat contradictoire, mesures provisoires – et que, même en l'absence de la mention explicite de danger, le juge ne se prononce pas sur une culpabilité, mais sur un risque potentiel. C'est une ordonnance de protection, donc de prévention, et non pas une sanction.
L'objectif de l'article 1er est donc de lever un obstacle à la délivrance de l'ordonnance de protection, identifié comme tel par le Cnop et les associations, et qui complique le travail des magistrats.
Cet article 1er est complété par l'article 2, qui modifie la durée maximale, de six mois, des mesures prises dans le cadre d'une ordonnance. Or six mois, c'est très court pour organiser une séparation et repartir sur de nouvelles bases. L'article 2, qui reprend une proposition faite au Sénat par la ministre Laurence Rossignol, allonge ce délai à un an. Ainsi, le juge disposera d'une plus grande marge de manœuvre et pourra, s'il l'estime nécessaire, prendre des mesures pour une année entière. Mon propos est de faciliter l'office du juge.
Ce texte s'inscrit dans la lignée des propositions de loi précédentes. Je veux notamment saluer le travail d'Aurélien Pradié, à l'origine, en 2019, d'une loi accomplissant de grandes avancées en matière d'ordonnance de protection : réduction du délai de délivrance à six jours ; suppression explicite du prérequis de dépôt d'une plainte préalable pour obtenir la délivrance. La loi du 20 juillet 2020, défendue par Guillaume Gouffier-Valente, a également permis des avancées, notamment en matière de levée du secret médical pour les victimes de violences conjugales et de reconnaissance du suicide forcé comme une circonstance aggravante.
En aucun cas je ne souhaite que le législateur force la main du juge ; il doit le guider. À travers ce débat, nous devons convaincre les magistrats de la nécessité de délivrer les ordonnances de protection, très souvent demandées par des femmes victimes de violence, tout en les assurant de notre confiance pour apprécier la situation et prendre les mesures adaptées.