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Intervention de Isabelle Santiago

Réunion du mercredi 1er février 2023 à 9h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Santiago, rapporteure :

Cette PPL visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales me tient particulièrement à cœur. Au cours des douze années pendant lesquelles j'ai occupé les fonctions de vice-présidente d'un exécutif en charge de la prévention et de la protection de l'enfance, j'ai été confrontée à l'indicible. En tant que députés, nous avons le devoir impérieux de mieux protéger les enfants.

Les chiffres sont vertigineux. On estime aujourd'hui à 400 000 le nombre d'enfants qui vivent dans un foyer où s'exercent des violences conjugales et à 160 000 celui des enfants qui, chaque année, en France, subissent des violences sexuelles. Les filles et les enfants en situation de handicap sont plus exposés aux violences sexuelles. Dans 90 % des cas l'agresseur est un homme et, dans 50 % d'entre eux, il est un membre de la famille.

Ces enfants, dont la voix est souvent inaudible et les moyens d'action limités, nous avons la responsabilité collective de les protéger, pour préserver les adultes en devenir qu'ils sont. Les travaux de la psychiatre Muriel Salmona ont montré les conséquences psychotraumatiques durables de l'exposition à ces violences au cours de la construction psychique et physique de l'enfant. Il faut donc intervenir le plus tôt possible par la mise en sécurité de l'enfant et un accompagnement médico-social adapté. L'objet de la PPL est donc d'agir lorsque l'enfant est en danger, pour limiter, voire, dans les cas les plus graves, rompre les relations entre l'enfant et le parent violent ou agresseur.

Je l'ai souvent dit ici, un parent violent ne peut pas être un bon parent. En raison du temps limité imparti à l'examen des PPL dans le cadre des niches parlementaires, celle-ci se concentre sur les modifications à apporter au traitement judiciaire de la question centrale qu'est l'exercice de l'autorité parentale, du droit de visite et d'hébergement. Elle s'attache plus particulièrement à mettre en place des mécanismes automatiques de retrait ou de suspension de l'autorité parentale, ou de son exercice, lorsque le parent est poursuivi, mis en examen ou condamné pour les infractions les plus graves commises sur son enfant ou sur l'autre parent.

Dans le cadre d'une réflexion plus globale, il y aura également urgence à inclure la prise en charge médicale des enfants victimes, le remboursement des soins pédopsychiatriques et l'accompagnement spécialisé en psychotraumatologie. J'espère que nous pourrons l'intégrer au prochain PLFSS, pour améliorer la prise en charge de ces enfants.

Il n'est pas nouveau que le législateur se préoccupe de l'autorité parentale et de ses mécanismes. Les pouvoirs du juge pour retirer l'autorité parentale ou son exercice ont d'ailleurs été renforcés ces dernières années, à la suite du Grenelle des violences conjugales. La présente PPL s'inscrit dans la lignée de la loi du 28 décembre 2019, dite loi Pradié, et de celle du 30 juillet 2020.

La prise de conscience de l'ampleur des violences sexuelles sur les enfants a progressé grâce aux travaux de la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) ainsi qu'à des mouvements comme #MeeTooIncest, à l'action d'associations et d'activistes, et à des textes comme celui que j'ai défendu à l'Assemblée nationale, adopté en première lecture en février 2021. Je tiens à leur rendre un hommage particulier et à préciser que le travail et les recommandations de la Ciivise ont largement inspiré le texte que je vous présente aujourd'hui. Ils ont également conduit le garde des sceaux et la secrétaire d'État chargée de l'enfance à annoncer leur volonté d'avancer sur les mesures relatives au retrait de l'autorité parentale et de son exercice. Celle-ci s'est manifestée dans leur choix de travailler avec moi afin d'aboutir à un texte transpartisan, et je m'en réjouis.

Dans le cadre des travaux préparatoires de la présente proposition de loi, de nombreux échanges avec des magistrats, des experts et des associations ont révélé la nécessité de réécrire certains articles. Les modifications substantielles que je proposerai d'apporter au texte ont pour but de garantir l'effectivité des mesures envisagées, cela dans le seul intérêt supérieur de l'enfant. Elles auront pour conséquence de faire tomber vos propres amendements aux articles 1er et 2 ; je vous prie, dès à présent, de bien vouloir m'en excuser.

La nouvelle rédaction que je propose pour l'article 1er prévoit la suspension provisoire de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement, dès lors qu'un parent est poursuivi par le ministère public ou mis en examen par un juge d'instruction pour un crime commis sur la personne de l'autre parent, ou pour une agression sexuelle incestueuse ou un crime commis sur la personne de son enfant. Cette suspension s'appliquerait jusqu'à la décision du juge aux affaires familiales lorsqu'il est saisi par le parent poursuivi, ou jusqu'à la décision du juge pénal saisi au fond. Le but est ici de protéger l'enfant pendant la procédure pénale.

Pour les cas de violences conjugales, la suspension ne s'appliquerait qu'en cas de condamnation pour violences sur l'autre parent ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de plus de huit jours, lorsque l'enfant a assisté aux faits. Pour citer Karen Sadlier, membre de la CIIVISE : « Il faut bien comprendre qu'un enfant témoin de violences conjugales est obligé de vivre avec un psychopathe ou un sociopathe. »

La réécriture que je proposerai conserve le caractère automatique du retrait de l'autorité parentale ou de son exercice en ajoutant la précision que le juge peut se prononcer autrement par une décision spécialement motivée. La logique actuelle selon laquelle le juge pénal peut retirer l'autorité parentale ou son exercice, mais de façon exceptionnelle, est ainsi inversée. Un autre amendement assurera la coordination entre le code civil et le code pénal.

D'autres pays avancent également en matière d'intérêt de l'enfant, à l'image de l'Australie, qui vient de décider la refonte de son système de droit de la famille. Dans ce pays, les agresseurs se verront ainsi interdire la possibilité de multiplier les procédures judiciaires contre les victimes. Peut-être y viendrons-nous aussi en France.

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