Nous examinons le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023, dont la commission des finances s'est saisie pour avis, comme elle a coutume de le faire pour chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, de l'année comme rectificative.
Sur ce texte, déposé sur le bureau de notre Assemblée lundi 23 janvier, nous avons nommé avant-hier, mercredi 25 janvier, Mme Marina Ferrari rapporteure pour avis.
Nous avons également entendu, en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), M. Pierre Moscovici, le même jour, sur l'avis rendu sur ce texte, ainsi que, conjointement avec la commission des affaires sociales, M. Pierre-Louis Bras, président du Conseil d'orientation des retraites (COR).
Un peu plus de 400 amendements avaient été déposés devant notre commission. Leur recevabilité devait être appréciée à l'aune non seulement de l'article 40 de la Constitution, mais également à celle des exigences de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS). J'ai été amené à déclarer 78 amendements irrecevables, 47 en raison de la création ou de l'aggravation d'une charge publique, 3 parce qu'ils proposaient des pertes de ressources publiques non gagées et 28 parce que les dispositions proposées n'avaient pas leur place dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale (LFRSS).
Sans surprise, les amendements qui proposaient de favoriser l'attribution de nouveaux droits de retraite par l'acquisition de trimestres supplémentaires ou par l'affiliation à un autre régime constituaient des charges publiques, engendrant de nouvelles dépenses pour les régimes obligatoires de base de sécurité sociale.
Les amendements prévoyant la remise de rapports prospectifs étaient également irrecevables car, dans une loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), ne peuvent être demandés que des rapports portant sur l'application de dispositions figurant dans une telle loi.
Certains amendements proposaient de modifier des impôts dont le produit revient à l'État. Toutefois, s'il est possible, dans une LFSS, de créer, modifier ou supprimer toute imposition affectée aux régimes obligatoires de base ou à leurs satellites, la modification de la fiscalité affectée à l'État n'y a pas sa place.
Chaque fois qu'il était possible de privilégier une interprétation favorable à l'initiative parlementaire, je l'ai retenue, dans la ligne de ce qu'ont fait les précédents présidents de la commission des finances. Ainsi, un assez grand nombre d'amendements mettaient en jeu la jurisprudence « beurre et argent du beurre », laquelle interdit de proposer une combinaison du droit existant et du droit proposé qui aurait pour conséquence d'aggraver une charge publique ou de diminuer, sans gage, les ressources publiques par rapport à ces deux bases de référence. Il s'agissait des très nombreux amendements à l'article 7 qui proposaient de revenir, en tout ou partie, sur le rehaussement de deux ans de l'âge légal de départ à la retraite et qui, de façon indirecte, avaient pour effet d'abaisser l'âge d'annulation de la décote appliquée à la pension versée. J'ai considéré que l'intention des auteurs de ces amendements n'était pas de remettre en cause le fait que l'âge auquel la décote n'est plus applicable demeure fixé à 67 ans. L'interprétation inverse aurait largement amputé le débat fondamental sur la fixation de l'âge légal. Tout en retenant une lecture favorable, je n'ai aucunement entendu remettre en cause la jurisprudence bien établie concernant la combinaison des bases de référence.
Enfin, plusieurs amendements étaient irrecevables en ce qu'ils proposaient de repousser l'entrée en vigueur d'articles du projet de loi au delà du 31 décembre 2023. En effet, en vertu de la LOLFSS, n'ont leur place dans une LFRSS que des dispositions qui ont un effet sur les recettes ou sur les dépenses des régimes obligatoires de base pour l'année en cours. En revanche, toujours dans un sens favorable à l'initiative parlementaire, j'ai considéré recevables les amendements qui repoussaient l'entrée en vigueur d'une partie des dispositions d'un article mais laissaient subsister, même de façon très réduite, une entrée en vigueur en 2023 du reste des dispositions du même article.
Avant d'engager la discussion générale, j'exprimerai mon propre avis sur cette réforme et, plutôt que de parler de chiffres – ce que nous ne manquerons pas de faire au cours de ce débat –, je parlerai de choix de société.
Ce projet, qui vise à faire travailler les gens deux ans de plus en moyenne qu'aujourd'hui, exprime une certaine conception de la retraite. Les dispositions visant à donner, en fin de carrière, à ceux qui font un travail considéré comme pénible – ce qui est le cas de la grande majorité de nos concitoyens – un autre emploi, qui leur permettrait de continuer, d'aller jusqu'à la butée, à l'extrême bout de ce qu'un travailleur peut mettre au service de la production, quel que soit l'état dans lequel il se trouvera ensuite pour profiter de sa retraite, sont symboliques de cette réforme. Je rappelle que la moyenne d'espérance de vie en bonne santé est de 63 ans pour les hommes et de 64 ans pour les femmes.
Un retraité a le droit de profiter de sa retraite le plus longtemps possible et en bonne santé, en faisant bénéficier les associations et les relations sociales de ses apports – ce qui est particulièrement le cas dans nos régions –, ou même en consommant, puisque de nombreuses régions de France vivent aussi des retraités. Il y a donc là un choix de société. Pourquoi, puisque la richesse nationale ne cesse de croître et que la productivité des travailleurs a triplé en trente ans, revenir sur l'une des conquêtes sociales de tout le XXème siècle, qui a permis de bénéficier toujours plus longtemps de la retraite ? Si la réforme était appliquée, un retraité qui pouvait espérer profiter de sa retraite pendant 25 ans en moyenne dans le cadre de la réforme de 2010, ne pourrait plus espérer le faire que pendant 23 ans – deux années essentielles pour un grand nombre de nos concitoyens qui ont accompli des carrières longues.
Le deuxième aspect de cette réforme est qu'elle pénalise le plus ceux qui sont entrés tôt dans leur métier et ont effectué des carrières longues, de même qu'elle pèse le plus sur ceux qui travaillent à temps partiel – je pense notamment aux femmes car c'est, quoi qu'on en dise, ce que montre l'étude d'impact. La réforme est donc tout à fait injuste socialement.
Pour ce qui est des chiffres, M. Bras, président du Conseil d'orientation des retraites, nous a clairement déclaré la semaine dernière, interprétant les analyses de cet organe – et j'ai bien compris que c'est à partir de là que la Première ministre a estimé que le COR disait n'importe quoi –, que les dépenses de retraites ne dérapaient pas et que, dans trois des quatre scénarios envisagés, elles baisseraient même à partir des années 2035 à 2047 en pourcentage du produit intérieur brut (PIB), seul critère objectif à retenir à moins de travailler en francs courants, ce qui serait bizarre de la part d'économistes !
Si donc les dépenses ne dérapent pas, mais que les déficits se creusent – ce que le COR ne nie pas –, la question est, selon M. Bras lui-même, celle des ressources. C'est en effet de ce côté qu'il faut chercher l'équilibre du système, et cela peut se faire selon deux axes. Le premier consiste, non pas à imposer les revenus du capital, mais à leur appliquer davantage de cotisations. Les revenus du capital ne sont, je le rappelle, que le résultat de ce qui a été produit par le travail de tous : ils disparaîtraient si, tout à coup, les travailleurs d'une usine s'arrêtaient. En appliquant à tous les dividendes du pays un même niveau de cotisations de sécurité sociale qu'aux revenus du travail, nous avons largement de quoi régler la question du déficit dans les années à venir.
Le deuxième axe est celui de l'emploi. L'égalité salariale entre hommes et femmes, par exemple, se traduirait par 5 milliards d'euros de cotisations supplémentaires par an. Pour savoir comment faire, je vous invite à aller voir avec quelles lois l'Islande est parvenue, en quelques années, à l'égalité salariale – certes avec des contraintes pour les entreprises.
On pourrait aussi – sans même parler de l'embauche nécessaire dans les services publics – intégrer les travailleurs ubérisés, qui se multiplient et sont nombreux dans mon département de la Seine-Saint-Denis. De fait, ces autoentrepreneurs ne cotisent pas comme des salariés, alors qu'ils accomplissent, en réalité un travail déguisé de salariés et que ce statut permet de les faire travailler à la tâche. Un document très intéressant qui vient d'être publié dans Alternatives économiques montre que la création d'emplois de ce type est majoritaire, par exemple, dans les quartiers populaires de Seine-Saint-Denis. Je rappelle que ce mode de travail a pu se développer grâce à un amendement voté par la majorité de l'époque au projet de loi de finances rectificative pour 2017, qui doublait le plafond autorisé pour bénéficier du régime fiscal associé au statut d'autoentrepreneur. Requalifier en salariat cette forme de travail, comme cela a été fait en différents endroits des États-Unis, ferait rentrer des cotisations.
Il existe donc deux possibilités de créer de l'emploi salarié et socialisé donnant lieu à cotisations et d'équilibrer les ressources. Telles sont les pistes sur lesquelles il faut travailler, au lieu de contraindre les gens à travailler deux ans de plus.
Je constate enfin – et je vous prie de ne pas y voir, chers collègues, d'attaques à votre encontre, car je m'englobe dans le nombre – que ceux qui estiment normal que des gens ayant eu des carrières longues et souvent pénibles travaillent deux ans de plus sont souvent des responsables économiques ou politiques, ou des éditorialistes, qui ne connaissent pas ce type de travail et parlent pour les autres de situations très dures que vivent ces derniers. Nous devrons en tenir compte dans nos échanges.