La question des cryptoactifs n'intéresse qu'à la marge l'ANC, mais elle m'interpelle au titre de mes anciennes fonctions à l'Autorité des marchés financiers. Le règlement Mica a été finalisé avant les graves incidents que nous observons depuis un an ; je ne suis donc pas absolument certain qu'il permette de traiter l'ensemble des problèmes auxquels nous sommes confrontés. À un moment, cependant, il faut avancer : aussi ce règlement a-t-il le grand mérite de fixer un cadre commun à l'ensemble de l'Union, qui se substitue à des cadres nationaux dont les limites sont particulièrement fortes dans le domaine numérique. Grâce à ce nouveau cadre, assez exigeant, et à l'expérience acquise, nous pourrons améliorer la supervision dans ce secteur.
La France était en avance, puisque la loi de 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises (loi Pacte) avait créé un cadre applicable aux prestataires de services sur actifs numériques en rendant leur enregistrement obligatoire, la licence restant facultative. L'obligation d'enregistrement nous permet de connaître les opérateurs du secteur et de leur imposer l'application des règles de la lutte antiblanchiment. Il ne s'agit toutefois pas d'une supervision. Lors de ma dernière intervention en tant que président de l'AMF, en juillet dernier, j'ai dit que le temps de l'enregistrement était fini et qu'il fallait désormais imposer aux opérateurs de détenir une licence, dans le cadre de la réglementation beaucoup plus forte instaurée par Mica, qui ne devrait cependant entrer pleinement en vigueur qu'en 2026. Il faut aller plus vite, car c'est un secteur qui présente des risques pour tout le monde.
La recherche comptable existe, mais il faut la stimuler. C'est tout le rôle de l'ANC. Une partie du fonds de concours évoqué tout à l'heure est d'ailleurs dédiée au financement de la recherche, ce qui est très important. Je me suis occupé de ce sujet lorsque je travaillais à la Banque de France. Il faut réunir les personnes concernées, celles qui sont déjà actives dans ce domaine, et discuter avec elles de la façon dont nous pouvons les aider à faire plus et mieux – en créant, par exemple, un conseil scientifique comme il en existe dans tous les organismes auxquels j'ai participé jusqu'ici.
Les réponses que je vous apporterai ce matin seront prudentes dans de nombreux domaines, parce que le projet de l'ANC pour les prochaines années devra être élaboré collectivement par le collège. Je mettrai sur la table un certain nombre de propositions, mais la décision sera prise de manière collégiale. Quoi qu'il en soit, il faut que nous fassions davantage pour encourager la recherche comptable, et je pense que nos propositions trouveront bon accueil.
L'Autorité des normes comptables dépense aujourd'hui une centaine de milliers d'euros dans des appels à projets. Faut-il faire plus ? Faut-il consacrer la même somme à un plus petit nombre de projets qui seraient plus ambitieux ? Tout cela devra être discuté.
Le fonds de concours a été créé par un accord de place dont l'application ne constitue pas, pour les acteurs du secteur, une contrainte absolue. Quelques grands noms n'y contribuent pas : j'irai leur dire que leur attitude n'est pas raisonnable. Alors que nous faisons face à différents besoins, notamment celui de renforcer le financement de l'Efrag, désormais chargé de proposer des normes de durabilité, nous devons restaurer l'équilibre entre les dépenses et les contributions perçues, car nous ne pouvons pas bâtir l'avenir sur un déficit.
La France est souvent une exception en Europe, et l'Europe une exception dans le monde ; or nos entreprises, nos investisseurs et nos épargnants agissent à l'échelle mondiale. Il faut donc trouver le bon équilibre entre la prise en compte des particularités françaises, l'hétérogénéité des normes comptables au sein de l'Union européenne et le fait que les choses sont perçues de façon différente dans le monde. Prenons l'exemple de la comptabilité extrafinancière et de la prise en compte de la durabilité : la France a fait preuve, à l'échelle européenne, d'une certaine capacité de conviction, et Patrick de Cambourg a été pour beaucoup dans l'adoption de ces règles, mais les débats avec les États-Unis sont très violents et nous nous rendons bien compte que les Américains n'approuveront pas les normes que nous souhaitons mettre en œuvre. De même, la norme internationale IFRS 17 impose un traitement comptable des contrats d'assurance-vie par cohorte annuelle ; or le principe de base du système français est, au contraire, celui de la mutualisation des souscriptions, des engagements, entre les différentes cohortes annuelles. Lors de l'élaboration de la norme internationale, les Européens ont essayé de faire valoir les particularités françaises, que l'on retrouve aussi un peu en Espagne et en Italie, mais ils ont échoué. Sur cette question, les États européens étaient partagés, la mise en avant de spécificités telles que le carve-out en matière de comptabilité financière étant très délicate.
Cela s'explique par la volonté de préserver l'équilibre international actuel dans le domaine des normes comptables. Deux types de normes sont en vigueur dans le monde : les normes américaines et celles de l'IASB. Les États-Unis permettent cependant aux émetteurs qui utilisent ces dernières, et non les normes américaines, d'être cotés sur leur marché, ce qui allège grandement les contraintes de ces entreprises. Or, plus on prévoit d'exceptions aux normes internationales, plus les États-Unis seront fondés à remettre en question leur équivalence. Nous devons donc être très prudents et ne solliciter la prise en compte de nos particularités que pour des sujets extraordinairement importants. Actuellement, il y en a deux : l'IFRS 17, que je viens de citer, et la comptabilité bancaire de couverture des risques – l'Europe accepte des macrocouvertures alors que cette possibilité est plus limitée au niveau international.
En matière de comptabilité extrafinancière et de prise en compte de la durabilité, nous avons fait l'inverse : plutôt que d'attendre la définition de normes internationales dont on ne sait même pas qui les adoptera, nous avons élaboré nos propres normes tenant compte de toutes les spécificités de l'Union, avec une force de conviction française assez importante. Le combat est permanent, et c'est aussi pour cela que la recherche est si importante. Elle permet de conforter nos convictions, ou au contraire de les remettre en question.
Les professions d'expert-comptable et de commissaire aux comptes ont subi ces dernières années des évolutions majeures. La loi Pacte a réduit le nombre d'entreprises contraintes de faire certifier leurs comptes – nous n'avons fait que nous aligner sur la norme européenne – et créé pour les PME un cadre spécifique et optionnel. Pour ces entreprises, la prise en compte comptable des éléments extrafinanciers représente un choc majeur. Aussi le dialogue avec les experts-comptables s'avère-t-il décisif : il permettra à ces derniers de mieux relayer les nouvelles obligations et de faciliter la transition.
Nous avons eu, au niveau européen, un débat très intéressant sur les commissaires aux comptes. Nos partenaires, qui considéraient que ce secteur était très concentré, craignaient que le fait de réserver aux professionnels qui certifient les comptes financiers la possibilité de donner l'assurance limitée puis raisonnable que j'évoquais tout à l'heure ne vienne renforcer encore cette concentration. Il a donc été décidé que d'autres organismes pourraient accorder cette assurance de durabilité. Mais ne nous y trompons pas, ces deux missions ne sont pas distinctes, mais cohérentes. Comment voulez-vous évaluer la valeur d'actifs corporels ou incorporels si vous n'avez pas une idée précise des actifs échoués ? Il faut tenir compte des plans de l'entreprise et de ses objectifs de durabilité pour évaluer la valeur d'un actif. Le prix du carbone, par exemple, est un élément qui modifiera sensiblement les plans d'affaires ainsi que les valorisations comptables et financières des actifs. Or il dépend de nombreux facteurs : l'instauration de taxes carbone, le prix des allocations sur le marché organisé des quotas d'émission ou sur le marché libre où les opérateurs s'échangent ces mêmes quotas… Tout cela touche à la fois aux enjeux de la durabilité et à l'établissement des états financiers.
L'association de l'ANC et des organes professionnels, dans le cadre d'un dialogue que l'on espère fructueux, est donc l'une des clés de la réussite pour la place de Paris, qui dispose tout de même de nombreux atouts dans ce domaine. Au sein de l'Union européenne, la France a pris de l'avance par rapport aux autres États membres. Ainsi, un décret publié l'an dernier a élargi le périmètre des bilans d'émissions de gaz à effet de serre au scope 3. Cela montre bien que nous parvenons à mettre en œuvre les mesures qui nous semblent prioritaires et que nous incitons nos collègues – d'abord en Europe, puis si possible au niveau international – à faire de même.