Il est indéniable que l'industrie nucléaire française a souffert, pendant une vingtaine d'années, de l'absence de grands projets. En outre, les quelques projets lancés à partir des années 2000 – l'EPR de Flamanville, le Réacteur de recherche Jules Horowitz (RJH), le Réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER) – ont connu des difficultés dans leur déroulement. La raison principale, au-delà de l'absence d'effet de masse qui aurait permis d'accumuler de l'expérience et du fait qu'une tête de série relève d'une conception nouvelle, relève de la perte de compétence liée à la désindustrialisation de notre pays à partir des années 1990. Selon les déclarations de la filière elle-même, le rythme possible de construction de nouveaux réacteurs aujourd'hui ne pourra pas être le même que celui des années 1980.
Ensuite, nos difficultés ont été liées à des défaillances dans la gestion des projets. Le rapport de Jean-Martin Folz souligne ainsi le manque de rigueur de gestion de projet dans le cas de Flamanville. La filière en a pris désormais conscience et elle est aujourd'hui mobilisée, à travers notamment le groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (GIFEN) et le plan d'excellence de la filière nucléaire, le plan Excell.
Cette mobilisation était particulièrement indispensable dans les opérations de grand carénage associé à la quatrième visite décennale. EDF estime par exemple qu'entre 2020 et 2026, les travaux de grand carénage conduisent, pour la filière mécanique (les échangeurs, les pompes, le soudage, la tuyauterie), à mettre en œuvre un facteur six en matière d'appel aux compétences. Ce facteur six conduit à des investissements en moyens techniques et en ressources à qualifier pour les industriels de la filière, qui seront très utiles pour la période de nouvelles constructions. Mais le véritable redimensionnement sera l'éventuelle mise en place du programme de construction de nouveaux réacteurs, qui impliqueront d'autres corps de métiers comme le génie civil.
À ce titre, il existe trois grands sujets de vigilance, dont la filière a d'ailleurs conscience. Le premier porte sur l'attractivité de celle-ci, car elle devra recruter dans les cinq ans à venir la moitié du personnel dont elle aura besoin en 2030, soit 150 000 personnes dont 3 000 ingénieurs par an pendant plusieurs années de suite. L'enjeu, immense, consistera à attirer des compétences dans la filière, au moment même où le vivier diminue, compte tenu de la perte d'attrait pour les formations scientifiques et techniques. Une génération complète devra ainsi être formée pour accompagner ce programme d'une ambition hors norme, s'il est effectivement décidé.
Le deuxième défi est d'ordre financier et le troisième concerne la gestion de projet, qui embarque la totalité de la filière. Il faut lui donner de la visibilité, afin qu'elle puisse investir, mais également l'associer davantage dans la connaissance des exigences à respecter.
L'ASN estime qu'elle doit prendre parti sur ces sujets, car la qualité de la conception, de la fabrication et du contrôle représente la première ligne de défense en matière de sûreté.