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Intervention de Philippe de Ladoucette

Réunion du jeudi 19 janvier 2023 à 15h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Philippe de Ladoucette, ancien président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) :

L'association française de droit de l'énergie (AFDEN) nous a quelque peu devancés, car elle avait prévu d'organiser, avant la fin de l'été 2022, son colloque annuel sur le thème de la souveraineté énergétique. Il en est ressorti que ce sujet n'avait pas beaucoup de sens dans le contexte dans lequel nous nous trouvions et que la souveraineté ne pouvait se traduire qu'en termes de sécurité d'approvisionnement. Par ailleurs, la souveraineté, si elle peut exister, ne peut être qu'européenne.

En effet, l'ouverture des marchés de l'énergie en Europe, c'est-à-dire de l'électricité puis du gaz, avec respectivement la directive de 1996 transposée par la loi de 2000 et la directive de 1998 transposée par la loi de 2003, s'est fondée essentiellement sur l'approche juridique, d'abord au travers de l'Acte unique européen, et, ensuite, au travers du droit de la concurrence. Pour rappel, la Commission européenne dispose d'une compétence partagée avec les états dans le domaine de l'énergie depuis le traité de Lisbonne de 2008.

La France s'est considérablement battue, avant la première directive de 1996, contre l'idée même de l'ouverture des marchés. En effet, les parlementaires étaient opposés au principe d'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité, puis de celui du gaz. Cette position s'explique par la volonté de la Commission européenne de présenter un modèle allant à l'encontre du système tel qu'il existait en France. En 1995, EDF avait effectivement atteint un niveau de production qui lui permettait de revendre de l'électricité en Europe en quantité importante et de racheter des entreprises dans différents pays, et la réciprocité n'était pas vérifiée. De nombreux colloques européens organisés entre les années 1995 et 2000 traduisaient une forme d'agacement vis-à-vis de ce phénomène, notamment car il était impossible de pénétrer le marché français. Il n'existait, par conséquent, pas d'équivalence entre la France et le reste des pays d'Europe.

La première directive de 1996 s'est traduite tardivement dans la loi en 2000 et, à partir de ce moment, on ne peut pas dire que l'exécutif français a consenti d'importants efforts à la mise en œuvre de cette directive qu'il avait approuvée. Au début, Tout se passait à peu près bien. Jusqu'en 2005, les prix étaient très bas sur le marché de gros et le tarif réglementé était largement supérieur au coût des énergies fossiles, et les entreprises voulaient aller sur le marché. La situation s'est modifiée en 2004, car une hausse considérable des prix est survenue. À cette époque, le Parlement avait pris l'initiative de créer le Tarif réglementé et transitoire d'ajustement au marché (TaRTAM) sans concertation avec la Commission européenne, qui allait d'ailleurs ouvrir un contentieux vis-à-vis de la France sur les tarifs réglementés vert et jaune. L'ensemble des évènements compris entre 2005 et 2006 a conduit l'exécutif à mettre en place la « commission Champsaur », qui devait réfléchir à la manière de répondre à cette situation, car les conséquences d'une condamnation par la Commission européenne auraient été non négligeables pour EDF, éventuellement sur sa structure même. Par ailleurs, l'ARENH n'est pas une initiative bruxelloise, mais il découle des travaux de cette commission constituée de deux parlementaires et de trois économistes.

À partir de ce moment, nous avons commencé à réfléchir au contenu de l'ARENH, qui est une initiative française discutée au sein du Parlement, et à sa méthode de calcul. François Fillon, qui était alors Premier ministre, avait entamé des réflexions avec les commissaires européens à l'énergie et à la concurrence sur certaines actions capables de stopper la procédure. Dans un échange de lettres du 15 septembre 2009, la Commission européenne estimait que, si les éléments indiqués étaient rapidement mis en œuvre, la procédure en cours prendrait fin : la procédure s'est officiellement arrêtée en 2012. Ensuite, l'ouverture à la concurrence s'est déroulée progressivement, c'est-à-dire à partir de 1999 pour les grosses entreprises, à partir de 2004 pour les petites et moyennes entreprises et à partir du 1er juillet 2007 pour l'ensemble des consommateurs domestiques. Les résultats étaient faibles, quelque 870 000 consommateurs s'étant orientés vers le marché dans le domaine de l'électricité.

La problématique était relativement différente pour le sujet du gaz. En effet, EDF occupe une place particulière dans le monde de l'énergie européen. J'ai souvent répété que l'exécutif n'avait pas joué franc jeu pour l'ouverture du marché à cette époque alors que nous demandions simplement que la loi soit respectée et que les tarifs couvrent les coûts. Or les propositions tarifaires du Gouvernement, après avis de la CRE, étaient très couramment inférieures à la réalité de la couverture des coûts. De plus, les fournisseurs alternatifs attaquaient les arrêtés devant le Conseil d'État qui, en général, les a cassés. Il a ensuite fallu mener un travail de régulation juridique par le Conseil d'État afin de parvenir à proposer des évolutions tarifaires correspondant à la loi.

Par ailleurs, le principe de la couverture des coûts, qui était celui des tarifs réglementés, en vigueur jusqu'à l'existence de l'ARENH a été modifié par un amendement parlementaire, qui supprimait ce principe de la couverture complète des coûts comptables. La loi de nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME) ne reprenait que le principe de la « prise en compte » des coûts. J'avais alors demandé quel était le sens réel de cet amendement et il m'avait été répondu qu'il était prévu de prendre en compte les coûts, mais dans leur totalité. Nous voulions alors maîtriser l'évolution des tarifs réglementés, dans un contexte de prix élevés. À cette époque, il existait un risque vis-à-vis de la situation de gestion de l'endettement d'EDF, dans la mesure où les tarifs ne couvriraient plus les coûts.

La loi prévoyait qu'à l'issue de trois ans après la promulgation de celle-ci, un décret définirait la méthode de calcul employée par la CRE pour les évolutions annuelles de l'ARENH. Ce décret n'est finalement jamais passé devant le Conseil d'État alors que la CRE avait remis un avis positif sur le projet de décret du 21 juillet 2014. La procédure s'est arrêtée à stade. Entre 2012 et l'évolution récente du prix de l'ARENH, nous n'avons pas enregistré de modification de ce dernier. Cette situation explique le nombre de questions envoyées par la Commission européenne en lien avec ce projet de décret. Il a été très souvent difficile de répondre à celles-ci et, à ce moment-là, les prix de gros du marché de l'électricité étaient tombés, ce qui amoindrissait l'intérêt du prix de l'ARENH. Les négociations ont ensuite pris fin en 2015. Je suppose d'ailleurs que le sujet de la nouvelle régulation du nucléaire suscite les mêmes questions de la part de la Commission européenne et il est probable que l'exécutif rencontre les mêmes problèmes pour y répondre.

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