J'ai bien entendu votre exposé général sur le rôle de la direction et les difficultés à gérer de l'humain. Nous avons déjà entendu ces propos lors des auditions : ils ne font l'objet d'aucune critique et nous sommes nous-mêmes de fervents défenseurs de l'administration pénitentiaire et de la justice. Néanmoins, nous sommes ici confrontés à une affaire que d'aucuns, moi y compris, qualifient d'affaire d'État. Le rapport de l'IGJ tient des propos assez durs quant au fonctionnement de la maison centrale d'Arles, puisqu'il emploie les termes d'« effacement de la ligne hiérarchique ». Ces propos visent bien sûr l'ancienne directrice de l'établissement, mais aussi la direction interrégionale et l'administration centrale.
Vous avez présenté des chiffres très importants en termes de personnels, de détenus, etc. Néanmoins, la maison centrale d'Arles est la seule centrale sous votre autorité parmi les treize maisons centrales françaises. Cet établissement est certes marqué par un haut degré de dangerosité, mais seuls quinze détenus particulièrement signalés (DPS) y séjournaient au moment des faits, ainsi que quatre terroristes islamistes (TIS). Ces données sont à mettre en regard de l'extrême rigueur des instructions de gestion des DPS. Je pense particulièrement à l'instruction du 11 janvier 2022 qui a réactualisé les modalités de surveillance des détenus et de détection des incidents, et, plus généralement, à l'ensemble des procédures à respecter dans le cadre de la gestion des détenus TIS et radicalisés (RAD). Je fais référence, bien sûr, aux CPU dangerosité, à la possibilité de transfert en QER, à l'action du renseignement pénitentiaire, aux groupes d'évaluation départementaux (GED) auxquels vous participez, autant d'outils qui ont vocation à permettre de gérer le faible public de cette maison centrale, marquée par un haut degré de dangerosité. Nous avons donc des difficultés à comprendre comment nous en sommes arrivés là dans ce contexte, compte tenu, qui plus est, de la présence d'une coordinatrice interrégionale en charge de la prévention de la radicalisation violente, qui aurait dû faire preuve de plus de vigilance comme le relève l'IGJ ; compte tenu également de l'existence de l'unité de la sécurité et du renseignement de la DISP, chargée notamment d'assurer un suivi régulier de l'outil de repérage des phénomènes de radicalisation – 56 personnes concernées à l'échelle de la DISP, ce qui n'est pas si important. Je vais donc en venir aux questions pour lancer le débat.
Premièrement, comment expliquer l'absence de prise en compte des trois CPU dangerosité de 2020 et 2021, qui concluaient de manière unanime à la nécessité du transfert en QER de Franck Elong Abé ? Celle datant du 6 mai 2021 mentionne un passage à l'acte, fait le portrait de quelqu'un voulant mourir en héros par l'islam, alors que la détention ordinaire a été validée en février 2021, soit seulement quatre mois plus tôt. En outre, la CPU de janvier 2022 amène la coordinatrice de la mission de lutte contre la radicalisation violente (MLRV) à avertir l'administration centrale qui enclenche alors le processus de transfert en QER, dans la perspective de la sortie du détenu prévue en mai 2023. Mais ce processus n'aboutira pas, en raison de l'absence d'un rapport qui aurait dû être élaboré par la cheffe d'établissement et le service de probation. Comment se fait-il qu'aucune alerte n'ait été émise et qu'aucune gestion proactive n'ait été mise en œuvre suite aux trois CPU, et comment se fait-il que la quatrième CPU ait donné lieu à un traitement aussi erratique ?
Deuxièmement, quel est votre avis sur l'utilité du transfert en QER de Franck Elong Abé ?