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Intervention de le vice-amiral d'escadre Jacques Fayard

Réunion du mercredi 11 janvier 2023 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

le vice-amiral d'escadre Jacques Fayard, commandant les forces sous-marines et la force océanique stratégique :

En tant qu'Alfost, je commande à la fois la FOST – composante dédiée à la dissuasion nucléaire – et les forces sous-marines. Au sein d'une organisation très intégrée, j'exerce des responsabilités organiques sur l'ensemble des forces sous-marines et opérationnelles, notamment dans la conduite des patrouilles de dissuasion des SNLE.

La FOST est dotée de quatre SNLE, entrés en service entre 1997 et 2010, auxquels il convient d'ajouter six sous-marins nucléaires d'attaque (SNA), qui, outre leurs missions propres, contribuent directement à la formation des équipages et des commandants de SNLE, à leur entraînement régulier et leur apportent un soutien en opération. Par la maîtrise de leur savoir-faire opérationnel, démontrée sur tous les théâtres de déploiement, de l'Atlantique Nord au Pacifique, les équipages de SNA sont la vitrine des compétences des équipages de SNLE auprès de nos partenaires et de nos compétiteurs. Ils contribuent directement, à ce titre, à la crédibilité opérationnelle de la composante océanique.

Les forces sous-marines s'appuient sur la base opérationnelle de l'île Longue, pour les SNLE, et de la base navale de Toulon, pour les SNA. Elles y coopèrent avec les maîtrises d'ouvrage étatiques – la DGA, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et le service de soutien de la flotte (SSF) – ainsi qu'avec des maîtres d'œuvre industriels comme Naval Group et ArianeGroup. Ces deux bases produisent de la disponibilité technique et opérationnelle au profit de nos sous-marins.

Il existe également deux centres opérationnels de la Force océanique stratégique (COFOST ). Les COFOST analysent, compilent, synthétisent, mettent en forme et transmettent toutes les informations nécessaires au commandant du SNLE afin qu'il conduise sa patrouille de dissuasion en totale discrétion. En effet, le commandant d'un SNLE n'émet jamais : rompre le silence, c'est risquer de compromettre son invulnérabilité. Ainsi, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, depuis plus de cinquante ans, le COFOST fournit au commandant de SNLE tous les renseignements de situation militaire et les données météorologiques, océanographiques ou hydrographiques dont il a besoin, sans pouvoir échanger avec lui. Il permet au SNLE de rester à grande distance des bâtiments, aéronefs ou sous-marins en capacité anti-sous-marine – qu'ils soient alliés, compétiteurs ou adversaires – et d'appréhender les changements d'environnement naturel. Le SNLE peut alors profiter pleinement de l'immensité de son espace de déploiement ainsi que de l'opacité et de l'hétérogénéité du milieu sous-marin pour se diluer, tout en restant en mesure d'assurer la précision de sa navigation et de recevoir les ordres d'engagement du Président de la République.

La FOST compte également quatre centres de transmissions stratégiques qui émettent dans des gammes de fréquences très basses, seules capables de pénétrer de quelques mètres dans l'eau. Ces stations assurent en permanence la capacité de transmission des ordres de conduite opérationnelle du COFOST vers les SNLE et SNA en patrouille, et, si besoin, les ordres de changement de stade d'alerte et d'engagement des forces nucléaires stratégiques émanant du Président de la République.

La FOST, enfin, repose sur le travail irremplaçable des deux escadrilles de sous-marins de SNLE à Brest et de SNA à Toulon, auxquelles sont associées deux écoles dédiées à la formation sous-marine. Le travail de ces escadrilles s'exerce dans les domaines opérationnel, technique et humain. Il concerne notamment la préparation et la qualification opérationnelle des équipages, à terre sur simulateur puis à la mer, conduits par nos équipes d'entraîneurs, en les confrontant à ce qui se fait de mieux en matière de chasseurs de sous-marins – nos frégates multimissions, nos avions de patrouille maritime Atlantique 2 et nos SNA – et en leur faisant tirer régulièrement des torpilles d'exercice.

Il s'agit également de la maîtrise d'expertises techniques pointues, allant du domaine de la chaufferie nucléaire embarquée à la navigation inertielle, en passant par le déploiement d'un missile balistique intercontinental ou d'une torpille lourde. Ces expertises, en back office, forment une garantie de sécurité dans tous les domaines, adossée à la capitalisation d'un retour d'expérience chèrement acquis par les précédentes générations de sous-mariniers.

Les escadrilles jouent aussi un rôle crucial en matière de gestion des ressources humaines de proximité au sein d'un système à flux où le sous-marinier est amené à gravir l'escalier social vers des qualifications supérieures et des postes d'expertise. Cette gestion fine et exigeante nous permet d'armer nos équipages de SNLE et de produire les compétences supérieures et les expertises dont nous avons besoin, tout en préservant un taux d'effort soutenable pour les sous-mariniers, lesquels sont confrontés à ce parcours sélectif très exigeant.

Lorsqu'ils partent pour des patrouilles de soixante-dix à quatre-vingts jours à bord d'un SNLE, les sous-mariniers ne peuvent pas communiquer avec leurs familles, ni les soutenir dans les difficultés du quotidien. Ils ne sont pas non plus prévenus en cas de problème familial grave. Afin de remplir sereinement leur mission, ils doivent avoir l'assurance que leurs familles à terre seront correctement soutenues durant la patrouille. Ce rôle essentiel est dévolu, là encore, aux escadrilles.

Cette organisation très intégrée a pour unique objectif de permettre aux équipages de faire opérer en toute sécurité et en toute autonomie l'objet industriel le plus complexe au monde : le SNLE, véritable base de lancement spatiale sous la mer, avec son million de pièces, sa chaufferie nucléaire embarquée, ses seize missiles balistiques intercontinentaux et ses dizaines de têtes nucléaires, évoluant à plusieurs centaines de mètres sous la surface de la mer dans un milieu confiné, concentré de risques techniques et opérationnels – et ce, sans soutien ni la moindre communication avec le reste du monde.

Opérant dans la troisième dimension, dans un milieu hostile par nature, les sous-mariniers cultivent trois forces de l'esprit.

L'esprit de corps, d'abord, est au cœur du métier des armes, métier littéralement extraordinaire, qui forge nos énergies dans un but qui nous dépasse, car la nation nous confie la défense ultime de la maîtrise du destin. La cohésion quotidienne dans les difficultés, la confiance mutuelle renvoyée dans le regard de l'autre et la pugnacité développée à chaque opportunité renforcent la force morale des sous-mariniers et sont gages de succès en opération.

Le haut niveau d'exigence requis pour exercer le dur métier de sous-marinier – gage de sécurité collective – nécessite, ensuite, le développement d'un esprit d'équipage. Il s'applique du commandant au jeune quartier-maître embarqué de 20 ans à qui est confié le poste de pilotage d'un sous-marin de 14 000 tonnes après six mois dans la Marine. Il oblige chacun d'entre nous à se montrer digne, par son travail permanent, sa rigueur quotidienne et le développement continu de sa culture de la sécurité en plongée et de la sécurité nucléaire. En retour, chacun d'entre nous a le droit à la considération de tous.

Enfin, les sous-mariniers cultivent l'esprit d'entreprendre. La vie embarquée m'a régulièrement donné l'occasion d'être frappé par les trésors d'autonomie, d'inventivité et d'innovation des sous-mariniers. Ces derniers doivent en effet conduire et réparer seuls leurs nombreuses installations.

La FOST repose d'abord et avant tout sur ses 3 300 militaires et civils, dont 2 200 sous-mariniers, qui se dévouent chaque jour à la protection du pays, de nos concitoyens et des intérêts vitaux de la nation. L'équipage d'un SNLE compte 110 volontaires, femmes et hommes, exerçant vingt-cinq métiers différents. Leur niveau de technicité est remarquable et ils ont une obligation de résultat permanente.

Cette efficacité fait notre force, mais il faut avoir conscience du défi quantitatif et qualitatif que représente le fait d'assurer le niveau de compétences d'un équipage de SNLE. La durée moyenne de service d'un sous-marinier est de dix-huit ans et demi. Or près de quinze ans sont nécessaires pour former les experts, tout au long d'un parcours interne qualifiant. En effet, les compétences requises par la conduite d'une chaufferie nucléaire embarquée et le déploiement d'une salve de missiles balistiques ne se trouvent pas « sur étagère » dans le secteur privé. Les forces sous-marines doivent donc recruter chaque année 360 jeunes français volontaires et fidéliser leurs experts les plus pointus, dans un contexte de concurrence croissante dans le monde civil.

Trois notions me paraissent consubstantielles à la FOST : la crédibilité, la permanence et la liberté d'action.

La crédibilité opérationnelle est assurée par la permanence à la mer d'au moins un de nos SNLE. La posture océanique de dissuasion repose sur un SNLE en patrouille dilué dans l'océan, un SNLE disponible à très court terme, à quai ou en entraînement à la mer, et un SNLE en entretien périodique disponible à court terme.

La capacité d'action du SNLE en patrouille est permanente et immédiate. Cette permanence de la capacité de frappe en second, notamment en cas de surprise stratégique, garantit au Président de la République une totale liberté d'action : il n'y a pas de contrainte ou de chantage possibles quant à la capacité de faire appareiller un SNLE. À la liberté d'action du Président de la République fait écho celle du commandant de SNLE, ancien commandant de SNA, doté de vingt-cinq ans d'expérience. Il lui est conféré une liberté de mouvement totale pour garantir la permanence. Il conduit la patrouille opérationnelle en fonction de son appréciation des éléments de contexte opérationnel transmis par le COFOST ou détectés par les capteurs acoustiques. Son invulnérabilité est garantie par la discrétion acoustique intrinsèque du sous-marin, obtenue lors de la construction, et par sa mobilité, car il se dilue dans un espace océanique immense et opaque aux ondes électromagnétiques, optiques ou radar. Chercher un SNLE en plongée, qui se déplace dans trois dimensions, c'est s'efforcer de localiser un bâtiment de 140 mètres de long, dont le bruit rayonné est comparable au bruit de fond de l'océan, dans un espace équivalent après trois jours de navigation à celui de la France et après une semaine à celui de l'Europe

La permanence à la mer de la dissuasion met sous tension l'ensemble du système technologique, technique, industriel, logistique et militaire, avec, là encore, une obligation absolue de résultat. C'est ce qui a conduit à rassembler à l'île Longue les nombreux acteurs de la maintenance des sous-marins, des missiles balistiques, des têtes nucléaires et des infrastructures spécifiques, car l'enjeu est de délivrer toutes les sept semaines un SNLE disponible opérationnellement, prêt à partir à la mer avec un potentiel technique régénéré pour les cinq prochains mois. Cette prouesse technique et logistique chaque jour renouvelée, cette horlogerie fine résulte d'une organisation dédiée, garante de la vision de long terme consubstantielle aux enjeux de la dissuasion, inscrite dans le cadre de l'œuvre commune liant les armées au CEA et articulée autour du programme d'ensemble Cœlacanthe.

C'est pour moi chaque jour une immense fierté de constater que, dans le cadre si particulier qu'est la dissuasion nucléaire océanique, le génie français s'exprime dans toutes ses dimensions, et que l'équipe française, regroupant des ingénieurs, des techniciens, des ouvriers et des militaires pour une mission qui les dépasse, est au rendez-vous, quelle que soit la sollicitation. Cette organisation vertueuse, pensée par les pionniers de la dissuasion, continue à faire ses preuves aujourd'hui.

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