Il faut rappeler tout d'abord la relation spécifique qui unit le Sénégal à la France ; elle est complexe car le Sénégal était notre plus ancienne colonie africaine. Plus de soixante ans après l'indépendance de ce pays, nous assistons à la montée d'un sentiment antifrançais dans toute une frange de la population. Il convient donc de traiter ce dossier avec la hauteur de vue nécessaire, en considérant notre histoire commune et en faisant preuve d'humilité et de respect.
Les termes de la première convention relative à l'entraide judiciaire ne semblent pas poser de problème particulier. Elle permettra de lutter plus efficacement contre le trafic de drogue et le terrorisme. Il existe en effet de nombreux accords identiques, comme vous l'avez rappelé, Monsieur le rapporteur. Si la convention peut permettre de faciliter des enquêtes judiciaires, nous ne pouvons que nous en réjouir.
Il convient en revanche de regarder de plus près le second texte. Qu'il s'agisse de l'exécution d'une peine ou de poursuites pénales, la convention stipule que si les infractions reprochées sont de nature militaire ou politique, le refus de l'extradition est obligatoire. Quel est cependant le périmètre exact d'une infraction politique dans un pays où le pouvoir exerce un contrôle de plus en plus autoritaire sur ses citoyens ? Le président de la République Macky Sall semble peu enclin à laisser son siège à l'occasion de l'élection présidentielle de 2024, alors que la Constitution sénégalaise limite le nombre de mandats consécutifs à deux. La stabilité de ce pays, souvent présenté à l'extérieur comme un modèle de démocratie dans la région, est ainsi mise à l'épreuve. Alors qu'une opposition se forme, les responsables de celle-ci ont presque tous eu affaire à la justice au cours des dernières années. Le gouvernement n'a pas hésité à utiliser des blindés contre la foule et le ministre de l'intérieur a traité les manifestants de terroristes avant de suspendre deux chaînes de télévision qui avaient diffusé des images des manifestations et de couper internet à plusieurs reprises. Enfin, la dizaine de morts et les centaines d'arrestations témoignent de la violence de la répression. Certains leaders politiques ont d'ailleurs été arrêtés durant la manifestation du 17 juin 2022 à Dakar : c'est le cas de Diarra Fam et de Déthié Fall, députés, et d'Ahmed Aïdara, maire. Ce dernier attend le verdict de son procès pour participation à un attroupement non armé : il a été requis à son encontre une peine d'un mois de prison avec sursis et une amende de 50 000 francs CFA.
Ces dérives m'inquiètent profondément pour la suite. La voix de la France n'est pas neutre car notre pays est le premier partenaire commercial du Sénégal et l'Agence française de développement (AFD) est l'un des premiers bailleurs du pays, son engagement total s'élevant à 1,4 milliard d'euros. Notre rôle n'est certes pas de nous mêler des affaires de politique intérieure du pays mais la France doit rester garante des principes démocratiques qui construisent notre image à l'international. En ce sens, sommes-nous absolument certains, malgré les garde-fous du texte, que la convention d'extradition ne pourra pas être utilisée d'une manière ou d'une autre par le gouvernement actuel comme un élément d'une stratégie de conservation du pouvoir ?
Alors que notre image en Afrique de l'Ouest est au plus mal, il faut éviter à tout prix de l'abîmer davantage en laissant prospérer l'idée que nous pourrions entraver d'une quelconque manière l'autodétermination des peuples. Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste-NUPES s'abstiendra lors du vote sur le projet de loi.