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Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du jeudi 9 février 2023 à 15h00
Protéger le groupe Électricité de france d'un démembrement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

La proposition de loi que le groupe Socialistes et apparentés nous propose d'examiner aujourd'hui revêt une importance fondamentale. Fondamentale parce qu'il nous revient de décider de quelle société, de quelle économie, de quelle industrie nous voulons pour la France, en un mot, de redéfinir la puissance publique et le rôle de l'État. Ces questions sont complexes mais nous amènent à nous interroger avant tout sur notre rapport à la souveraineté nationale.

L'électricité, comme l'eau et les soins médicaux, est indispensable à la vie quotidienne. C'est sa nature même qui l'empêche d'être considérée comme un bien parmi d'autres. Les crises que nous traversons ne le rappellent que trop cruellement à nos concitoyens. La brusquerie et la violence avec lesquelles les prix de l'énergie ont flambé sont le fruit des politiques erratiques et dépourvues de vision menées depuis plus de trente ans. La guerre en Ukraine n'est que le cache-sexe d'une débâcle énergétique programmée à coups de compromissions, d'atermoiements et d'aveuglements.

C'est ainsi que le Gouvernement a lancé, pour la coquette somme de 10 milliards d'euros, une OPA afin de ramener EDF dans son giron par le rachat des 16 % d'actions qui lui manquaient. Sous couvert de sortir l'entreprise de ses difficultés économiques et industrielles, on ne peut s'empêcher de s'interroger. Malgré les dénégations et les engagements du Gouvernement, le spectre du projet Hercule continue de planer et, avec lui, la possibilité à peine voilée d'un démantèlement : en clair, vous ne garantissez pas l'unité du groupe EDF. Les investissements dans le nucléaire pourraient donc continuer d'être financés par l'argent public tandis que les activités rentables seraient privatisées. Pire, l'idée d'isoler la production nucléaire dans une entité nationalisée indépendante reviendrait à faire monter la proportion d'Arenh pour le plus grand bénéfice des fournisseurs alternatifs. Comme l'explique Hervé Machenaud dans son ouvrage La France dans le noir, « Ce serait faire d'EDF une administration de la production nucléaire, sans capacité d'entreprise. »

Pour ma part, je suis favorable à cette proposition de loi. Sur des sujets aussi cruciaux que ceux qui touchent à l'énergie, les parlementaires doivent pouvoir être les garants de la souveraineté française. Néanmoins, une question centrale demeure, dont ce texte ne dit rien : nationaliser c'est bien, mais pour quoi faire ? Il y a trente ans, la France avait, grâce à des politiques visionnaires, vingt ans d'avance en matière d'énergie, par le truchement d'EDF. Elle en a aujourd'hui vingt de retard. Je le répète : nous payons de lourdes erreurs stratégiques et des décisions prises en dépit du bon sens.

L'arrêt définitif du réacteur nucléaire surgénérateur Superphénix par le gouvernement Jospin en 1998 n'était que la première faute technique, humaine et financière, qui en laissait présager d'autres. Ont suivi l'abandon du projet Astrid, réacteur de quatrième génération bien moins gourmand en uranium, ou encore la fermeture de la centrale de Fessenheim, décidée sous François Hollande et confirmée par Emmanuel Macron en 2017. Et que dire de la loi Nome, encouragée par l'Union européenne, ouvrant EDF à une pseudo-concurrence ? EDF est désormais réduite à produire à perte pour alimenter un marché sur lequel elle-même n'a pas le droit de vendre à perte. Cherchez l'erreur ! Il est urgent de sortir de l'absurdité que constitue l'Arenh.

À l'heure du défi de l'hydrogène décarboné, qui est un élément clé de la transition énergétique pour de nombreux pays visant la neutralité carbone à l'horizon de 2050, nous avons besoin d'acteurs solides, à l'exemple de Genvia, située à Béziers, qui a permis le premier déploiement industriel de la technologie réversible d'électrolyseur haute température à oxyde solide, la plus efficace et la plus rentable pour la production d'hydrogène décarboné.

Il nous faut à présent convaincre l'Union européenne et nos voisins Allemands du bien-fondé de l'énergie décarbonée et sûre qu'est le nucléaire. Car s'il n'est pas la solution, il est une solution. À trois reprises en 2022 nous avons cru gagner le pari du nucléaire à Bruxelles. Mais c'était sans compter avec les Allemands qui, non contents de faire pression sur la Commission européenne, contraignent notre souveraineté énergétique qui passera certainement, demain, par l'hydrogène décarboné. Il est plus que temps de nous imposer face à une Allemagne qui paie ses mauvais choix en matière de production énergétique et pour laquelle nous bradons la nôtre.

Pour toutes ces raisons, je suis favorable à la nationalisation d'EDF afin que soit garantie notre indépendance énergétique dans le respect de l'environnement.

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