Grave, elle est grave l'heure que nous vivons. Elle est lourde d'inquiétudes, de menaces et de périls. L'humanité est pourtant capable du meilleur. Et c'est de ce meilleur que nous devons être les œuvrières et les œuvriers.
C'est des ténèbres les plus profondes qu'est née la sécurité sociale, à la fois aboutissement et commencement : aboutissement car étoile d'une lutte cruciale, commencement car nous n'étions jusqu'alors que dans l'antiquité de nos droits. Face aux aléas de l'existence, il s'agissait de s'assurer mutuellement « de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins ». Rien de tout cela ne s'est fait dans l'insouciance, dans l'inconscience et dans la facilité. Les forces de l'argent avaient failli ; un espoir commun avait été mis en chantier ; des idées dont l'écho avait grandi dans les forges, les ateliers et les bureaux prenaient le dessus sur d'autres. On voulait partager. Quelle formidable invention sociale et audace que le droit à la retraite ! Avoir le droit d'être libéré du travail prescrit et toucher de quoi vivre quand même. Quel geste de civilisation ! Prendre soin de chaque personne d'un bout à l'autre de sa vie.
C'est le travail qui crée la retraite. Grâce à la sécurité sociale, il la crée pour tous : le travail, ce magnifique geste d'humanité, de contribution sociale, de création et de partage, quand on n'y est pas maltraité ou exploité, quand on n'y abîme pas sa vie ; le travail pour s'accomplir, mais avec la conscience qu'il n'y suffit pas ; le travail à sa juste place dans les vies, des vies ouvertes à se retrouver, se rencontrer, s'aimer, se cultiver, créer, se dépasser, être libres. Que cela ne soit pas réservé à quelques hasardeux élus !
La retraite, cette perspective donnée à chacun d'un grand espace de liberté au bout de sa vie professionnelle, ce qu'Ambroise Croizat appelait une nouvelle étape de la vie. Ce droit est menacé et rétréci à chaque réforme, alors qu'on nous explique que nos anciens avaient rêvé trop grand. Nos retraites ont toujours coûté trop cher aux grands propriétaires de l'économie, de nos vies. Pour eux, elles le sont dès le premier centime, d'autant plus qu'elles sont soustraites au marché et à la spéculation – double manque à gagner.
Que nous disent ceux qui répètent en boucle que les jeunes n'y croient plus ? Qu'il faut réduire la voilure. Mais pour qu'ils croient à quoi, ces jeunes qui entrent dans le monde du travail par la case Uber, par la case précarité, par la case galère ?