Peut-on adapter les mesures de freinage et les territorialiser ? Il faut savoir de quoi on parle. Il est plus facile d'éviter la circulation du virus entre l'Hexagone et les outre-mer qu'entre la région Grand Est et la région parisienne, par exemple. Je ne prendrai qu'un seul exemple, qui m'a frappé. Pendant la première vague, le fameux cluster de Mulhouse s'est étendu selon nos anciennes frontières de 1870 : il a touché l'Alsace, est remonté vers Strasbourg puis il s'est diffusé vers la Moselle et le nord de la Meurthe-et-Moselle. Cela pour dire que le virus ne connaît pas les frontières terrestres.
S'agissant des outre-mer, les mesures de freinage ne sont pas prises contre mais pour nos territoires ultramarins, qui ont souvent connu des vagues épidémiques après l'Hexagone. Notre logique n'est certainement pas de culpabiliser ces territoires, mais de les protéger. À Mayotte, l'incapacité à fournir une réponse locale a immédiatement posé des problèmes majeurs. Ce sont d'ailleurs des Mahorais qui ont fait l'objet des premiers transferts en avion : nous les avons rapatriés pour mieux les prendre en charge. Je me suis mal fait comprendre : mon objectif n'est vraiment pas de stigmatiser les territoires ultramarins, mais de les protéger.
S'agissant de la prévention et de la planification de la réponse sanitaire, les mesures sont toujours les mêmes, à commencer par le port du masque et le lavage fréquent des mains avec du gel hydroalcoolique. Nous sommes revenus à cette phase. Je crois que nos concitoyens l'ont bien compris : il faut marteler ce message et il faut que nous soyons nous-mêmes exemplaires.
Plusieurs questions concernaient la rentrée scolaire et les écoles, qui me préoccupent au plus haut point. L'État a déjà investi 100 millions dans l'amélioration de la qualité de l'air dans nos écoles pour soutenir les collectivités territoriales, puisque c'est une compétence que l'on peut dire partagée, et il faut continuer d'agir en ce sens. Vous avez raison de nous alerter à ce sujet.
Je me suis déjà exprimé au sujet des 12 000 personnels de santé qui ont été suspendus. Dans toute décision médicale, on évalue le bénéfice et le risque. Le bénéfice qu'il y aurait à faire revenir ces 0,5 % de soignants est inférieur au risque de les voir contaminer un grand nombre de malades. Nous ne sommes pas sortis de cette pandémie. Dès que les scientifiques nous diront qu'il n'y a plus de risque, nous remettrons ce dossier sur la table.
Garantir l'égalité d'accès aux soins et lutter contre les déserts médicaux sont évidemment des priorités : j'y reviendrai.
Les contre-indications à la vaccination sont médicales et clairement identifiées par la Haute Autorité de santé. Elle les met d'ailleurs régulièrement à jour pour tenir compte des découvertes que font nos scientifiques à propos de ce virus. Il ne m'appartient pas d'aller au-delà des recommandations formulées par la HAS.
Les souffrances psychologiques et les cas de covid long sont également une préoccupation majeure. Nous ne mesurons pas encore toutes les conséquences de cette pandémie, y compris sur les personnels de santé. Qui aurait imaginé que la pandémie allait aboutir à l'épuisement psychologique des soignants, à un sentiment de perte de sens vis-à-vis de leur métier ? On ne l'avait pas prévu, on ne pouvait pas le prévoir.
Repenser notre système de santé est pour moi une priorité absolue. Nous sommes confrontés à un double problème, à la fois conjoncturel – gérer la situation cet été – et structurel.
Monsieur Mendes, je vous remercie pour vos propos. Je regrette déjà Metz, mais la mission qui m'a été confiée est de taille et je n'ai pas l'habitude d'éviter les problèmes. Nos soignants souffrent d'une perte de sens et exercent un métier pénible. Je me réjouis que, parmi les recommandations que nous avons faites, la Première ministre ait retenu celle qui concerne la reconnaissance de la pénibilité du métier des soignants. C'est la première fois que l'État reconnaît cette pénibilité. Pour l'heure, nous appelons surtout l'attention sur le travail de nuit, mais c'est un début.
Sur le plan structurel, notre système de santé est en grande partie le produit des Trente Glorieuses. Il est fondé sur l'offre de soins – et il existe d'ailleurs une direction générale de l'offre de soins. Cela veut dire que c'est celui qui présente la meilleure offre qui va emporter le jambon. Quand on veut gagner des parts de marchés – une expression affreuse que l'on entend dans tous les hôpitaux –, plutôt que de proposer une offre complémentaire de celle du voisin, on essaie d'avoir une façade plus jolie, de mettre des lumières, etc. J'exagère volontairement.
Ce système de santé fondé sur l'offre de soins n'est plus adapté aux besoins de santé de la population : vieillissement, pathologies chroniques, décompensations, etc. Nous devons construire un système fondé sur la réponse aux besoins de santé ; nous le devons à nos concitoyens. Répondre aux besoins de santé implique de faire travailler les gens ensemble, alors que raisonner en termes d'offre de soins, c'est, de fait, opposer les gens ; c'est, par définition, adopter une logique conflictuelle. Il faut que l'hôpital et la ville travaillent ensemble, que l'hôpital travaille avec les cliniques et les établissements de santé privés d'intérêt collectif (ESPIC). C'est ce qui permettra de rénover notre système de santé, de le rendre plus souple et plus adapté aux besoins actuels.
C'est ce que nous avons fait pendant la première vague : l'hôpital a travaillé main dans la main avec la médecine de ville. À Metz, nous avons travaillé main dans la main avec la clinique et l'ESPIC. C'est cet état d'esprit qu'il faut retrouver. C'est cet état d'esprit que les soignants ont apprécié et qu'ils veulent retrouver pour donner du sens à leur métier.
On est en train de faire le bilan de ces deux années et demie de crise, mais ce n'est pas si simple. Je vous donnerai un seul exemple : les transferts que nous avons faits en TGV, même s'ils ont été décriés, ont permis de sauver des vies en faisant passer des patients de territoires saturés, le Grand Est et l'Île-de-France, vers des zones de l'Hexagone qui avaient moins de patients hospitalisés. Même si on n'en a pas encore la preuve absolue, même si on ne peut pas encore dire combien de vies ont été sauvées, on commence à avoir un certain nombre d'éléments objectifs qui confirment que cette mesure a bien sauvé des vies.
« Rendez-nous des lits ! », m'avez-vous dit. Sachez que c'est l'une des deux préoccupations principales des urgentistes. La première, c'est que n'arrivent pas dans nos services des gens qui pourraient être mieux pris en charge ailleurs. C'est tout l'objet des recommandations que nous avons faites et qui vont être appliquées avec ce mot d'ordre : « Avant de vous déplacer, appelez. ». Il faut que les gens comprennent que, lorsqu'ils ont une angine, ils seront probablement mieux pris en charge par leur médecin généraliste qu'aux urgences, où ils risquent de passer huit heures dans la salle d'attente et où ils vont, en plus, crachouiller sur tout le monde… L'autre préoccupation des urgentistes, c'est celle des lits d'aval.
Ma responsabilité n'est pas d'ouvrir de nouveaux lits, mais de rouvrir ceux qui ont été fermés, faute de soignants. C'est un objectif majeur. D'ailleurs, si vous avez la solution miracle pour créer du jour au lendemain 150 000 soignants, je suis preneur ! Pour l'heure, il va falloir que l'on applique la stratégie du damage control, dont je vous ai parlé, et, surtout, que l'on réenchante le métier de soignant, en revenant à ses valeurs. Il faut évidemment rouvrir les lits, mais avec des soignants adaptés à ces lits. Au cours de la première vague, si l'on a transféré rapidement des patients, c'est parce que l'on a augmenté de façon exponentielle le nombre de nos lits de réanimation. Mais un lit de réanimation, ce n'est pas seulement un lit, un respirateur et une seringue électrique : il faut des soignants adaptés et compétents. Il va falloir rouvrir les lits qui ont été fermés, et le plus tôt sera le mieux.