L'approche stratégique One-Stop Shop est la capacité à vendre à la fois de l'uranium, du combustible et des réacteurs. Si Areva a été démantelé pour des raisons d'exécution et de mise en œuvre, le producteur d'uranium canadien Cameco a récemment racheté la société américaine Westinghouse, tandis que les Russes ont toujours vendu des réacteurs avec le combustible et les matières associés. Inversement, les Britanniques ont échoué. Il s'agit bien d'une question de mise en œuvre et de capacité, pour une entreprise, à délivrer ce qu'elle a promis. Celle-ci est indépendante de la question relative à la fabrication de cuves, qui induit des enjeux de savoir-faire industriel et de mise à niveau.
J'ai dû gérer la situation du Creusot, qui était confronté à l'évolution de la réglementation et du savoir-faire industriel. Nous avons été les premiers à souligner que nos forges n'appliquaient pas les meilleures techniques industrielles du moment. Depuis, de grands forgerons mondiaux ont admis ne pas maîtriser ce type d'opérations aussi bien qu'espéré. Désormais, grâce aux investissements réalisés au Creusot et bien décrits par Bernard Fontana, Framatome a le savoir-faire industriel, maîtrise ces opérations et dispose d'outils industriels complètement rénovés, sachant qu'ils n'avaient pas été renouvelés depuis la construction du parc. Je distinguerai donc deux éléments : la maîtrise industrielle d'une opération exigeante de forge et de fabrication de la cuve ; la maîtrise de très grands projets.
Concernant spécifiquement le contrat finlandais, je distinguerais des aspects proprement finlandais – un contrat défavorable, un client qui n'a pas besoin d'électricité – et plusieurs facteurs communs avec Flamanville. Je vous renvoie donc au rapport rédigé par Jean-Martin Folz sur les causes des difficultés de construction des EPR, auquel j'ai eu la chance de contribuer, et dont j'approuve tout à fait les conclusions. Ce rapport a d'ailleurs conduit Orano à établir un plan de maîtrise des grands projets, en cohérence avec le programme Excell d'EDF, qui vise à maîtriser les compétences et la gouvernance de ces grands projets, les relations avec les fournisseurs, la standardisation des procédures et la réalisation du geste technique du premier coup. Lancé en 2017/2018, ce plan a notamment été appliqué à notre plus grand projet, à savoir le projet de remplacement des évaporateurs de La Hague. Sur les deux dernières années, nous enregistrons moins de 5 % de dérives planning, soit une adhérence planning d'environ 95 %, contre moins de 50 % pour le réacteur finlandais.
Pour reboucler avec votre point de départ sur le One-Stop Shop, j'avais annoncé, trois mois après avoir pris la direction d'Areva, que l'entreprise n'était pas de taille à soutenir des projets de ce type impliquant d'immenses infrastructures. Pour vous donner un ordre de grandeur, la quantité d'acier nécessaire pour les armatures de l'EPR représente sept fois la masse de la tour Eiffel. Cela nécessite des millions de composants, une dizaine de milliers de vannes, mais également un énorme défi humain. Professionnellement, il fut très traumatisant de construire dans ces conditions : design inachevé, Supply Chain et base technologique et industrielle qui n'avaient pas été à la même phase de la construction depuis vingt ans, compétences perdues, construction à l'international sans construction préalable en France, etc. Tous les critères de dysfonctionnement étaient réunis. Néanmoins, notre concurrent américain a rencontré des difficultés encore plus grandes. La France ne doit donc pas "jeter le bébé avec l'eau du bain". L'EPR est un produit construit pour soixante ans, reconnu extrêmement sûr par les autorités de sûreté, et même s'il n'est pas le seul réacteur capable de répondre à la demande, les équipes qui ont traversé le désert en construisant le réacteur méritent le respect.