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Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mercredi 18 janvier 2023 à 15h05
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes :

Madame la présidente, Mesdames et messieurs les vice-présidents, Mesdames et messieurs les députés, je suis très heureux de vous retrouver pour la présentation de notre rapport au Parlement sur l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.

L'année 2023 s'ouvre pour la Cour des comptes avec une publication aussi importante qu'originale relative à la préparation des Jeux de Paris 2024. Je tiens tout d'abord à saluer l'immense travail fourni par les rapporteurs, mais aussi les chambres régionales des comptes d'Île-de-France et de Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui ont participé à ce travail commun avec la Cour des comptes

Je suis donc particulièrement heureux de vous présenter un travail inédit par son sujet et par sa forme. En effet, la Cour des comptes a pu accompagner leur organisation in itinere, dans une mission de suivi et de contrôle continu dont elle est peu coutumière. Le rapport que je vous présente aujourd'hui est un rapport d'étape et il doit être reçu comme tel.

Nous vous devons cette mission exceptionnelle, puisque par l'article 29 de la loi olympique du 26 mars 2018 relative à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, le parlement a donné mandat à la Cour de contribuer, par ses constats et recommandations, au bon déroulement des Jeux et à l'information des citoyens. Chemin faisant, vous nous avez demandé d'identifier les défis restant à relever pour en réussir l'organisation et en maîtriser les coûts. Cette innovation répond donc au caractère exceptionnel de cet événement.

La Cour a démarré ses travaux dès l'année 2019. En effet, elle a choisi de conduire une série de travaux en temps réel et tout au long des préparatifs de l'événement avant de vous transmettre ce premier rapport d'étape : une douzaine de contrôles ont été réalisés. Fruit des premiers contrôles engagés lors de la période 2019-2021 sur le COJOP et la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo), un premier référé sur la gouvernance financière et budgétaire des Jeux avait été adressé en avril 2021 au Premier ministre de l'époque.

Pour l'exercice de sa mission de contrôle, la Cour a ensuite constitué en octobre 2021 une formation inter-juridictions et conduit dix enquêtes, sur la délégation interministérielle (DIJOP), le COJOP, la Solideo ; sur deux thématiques fondamentales (la sécurité et les transports) et sur cinq collectivités territoriales qui occupent une place majeure dans cette préparation.

Au total, la Cour a formulé à l'occasion de ces différents contrôles une centaine de recommandations, et nos constats, alertes et orientations ont déjà été en grande partie pris en compte par les différentes parties prenantes. Je me réjouis de ce mode de fonctionnement, qui correspond au rôle que la Cour des comptes souhaite jouer pour accompagner la décision publique au plus près de ses besoins et de l'actualité. La transparence est aussi un des leviers essentiels pour raffermir le lien de confiance fragilisé entre nos concitoyens et les décideurs publics. La Cour veut y prendre toute sa part.

Les Jeux olympiques et paralympiques de 2024 représentent un événement majeur, dans notre histoire et pour notre pays, notamment pour les finances publiques. Des moyens très importants, d'origine publique comme privée, ont été engagés pour cet événement qui aura, je l'espère, car telle est l'ambition de la candidature française, des retombées bien au-delà des quinzaines olympique et paralympique.

Les Jeux ne rassemblent pas moins de treize millions de spectateurs et quatre milliards de téléspectateurs sont attendus. Il s'agit donc de la plus grande manifestation mondiale, sur le plan sportif, événementiel et politique.

Cette compétition internationale constitue un défi colossal pour le pays-hôte, dont les conditions de la réussite sont nombreuses. Elles concernent la maîtrise d'ouvrage et la livraison des sites et ouvrages ; la maîtrise des coûts ; la gestion de la sécurité, des transports et des mobilités des spectateurs comme des usagers du quotidien ; la qualité de l'héritage laissé par la manifestation aux populations et aux territoires. La Cour a donc cherché à apporter un éclairage aussi exhaustif que stratégique sur les coulisses de cet événement.

Ce rapport prescrit par la loi de 2018 constitue un point d'étape important de l'organisation des Jeux, mais la Cour aura aussi l'occasion d'actualiser ses constats et recommandations et elle procédera au contrôle ex post des Jeux, comme elle l'avait d'ailleurs fait pour les Jeux d'hiver de Grenoble en 1968 et d'Albertville en 1992.

Pour ce rapport intermédiaire, les instructions conduites en 2022 sont intervenues dans une période charnière de la préparation des Jeux, entre la phase de planification stratégique et celle de mise en œuvre opérationnelle, alors même que tous les arbitrages n'étaient pas rendus. La Cour ne disposait donc pas de toute l'information permettant d'apprécier la soutenabilité budgétaire des Jeux. Ceci est particulièrement vrai pour le COJOP dont le budget pluriannuel a été révisé le 12 décembre 2022 lors de son conseil d'administration et qui fera l'objet de notre part d'une évaluation complémentaire au premier semestre 2023.

De mémoire, c'est donc sans doute de la première fois que les juridictions financières ont à analyser chemin faisant l'organisation d'un événement international de cette importance. La Cour s'est attachée à apprécier l'équilibre général de la manifestation, et à en pointer les principales limites.

Je souhaite à présent aborder les principales conclusions du rapport. Tout d'abord, le passage de la phase de planification stratégique, qui s'est dans l'ensemble bien déroulée, à la phase opérationnelle semble délicat. Ensuite, sur l'aspect financier, si la majeure partie des surcoûts constatés s'explique par des facteurs économiques exogènes, les acteurs doivent rester mobilisés pour que les dépenses soient maîtrisées, d'autant plus que le COJOP ne dispose que d'une réserve limitée pour faire face aux mauvaises surprises. Enfin, la sécurité et les transports représentent deux points de vigilance particulièrement importants.

En matière de gouvernance, la Cour souligne que la réussite des Jeux repose sur une parfaite articulation entre le COJOP et les pouvoirs publics. Cette gouvernance a été relativement consensuelle, fluide et bien articulée. Pour autant, elle doit être resserrée en phase opérationnelle et le partage des responsabilités entre l'organisateur, la Solideo, l'État et les collectivités n'est pas encore complétement stabilisé, ce qui laisse subsister des incertitudes opérationnelles et des risques financiers. Nous appelons à ce que l'autorité du délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques, dont le rôle doit être salué, soit confortée.

Concernant les ouvrages olympiques, les objectifs initiaux de limitation du nombre de sites et de l'utilisation pour l'essentiel d'équipements existants ont prévalu. Les sites et ouvrages olympiques et paralympiques devraient être terminés dans les délais prévus, mais il semble prioritaire de stabiliser les conditions dans lesquelles la Solideo doit les livrer au COJOP et d'éviter de coûteuses modifications de programme qui pourraient être demandées, notamment par le CIO ou les fédérations internationales.

Concernant la livraison des Jeux sur les sites olympiques, la Cour invite les différentes parties à accélérer le passage à la phase opérationnelle. L'échec n'est pas permis : il convient notamment de signer au plus vite les contrats de mise à disposition des sites, et les marchés de livraison pour les sites dont le COJOP entend externaliser la gestion. Ce décalage de calendrier entraîne un risque opérationnel financier avéré ; il traduit une difficulté majeure dans le passage à la phase de déclinaison opérationnelle.

Les enjeux relatifs à la sécurité et aux transports restent des défis majeurs à relever sur lesquels la Cour veut alerter. En matière de sécurité, la Cour avait établi un premier rapport en juin 2022 et avait attiré l'attention sur le risque capacitaire majeur reposant sur les forces de sécurité intérieure, du fait des carences probables de la sécurité privée.

Dans ce rapport d'étape, la Cour souligne que le plan global de sécurité doit être impérativement arrêté. Par ailleurs, le risque capacitaire reste à relever, notamment au regard de la cérémonie d'ouverture qui se déroulera sur la Seine. Un probable renfort, pour partie, des forces de sécurité intérieure doit être anticipée et son financement assuré par le COJOP. En effet, ce renfort ne doit pas être payé par le contribuable, mais par l'organisateur.

La bonne gestion des transports et des flux des personnes suppose une articulation étroite avec les enjeux de sécurité : il s'agit d'une condition sine qua non de la bonne réussite des Jeux. La Cour met tout particulièrement en garde sur l'impératif d'achever à temps les infrastructures et d'assurer la disponibilité des moyens humains et matériels nécessaires au transport des spectateurs et des accrédités. Enfin, il est nécessaire d'achever les plans de transport site par site.

Les contrôles réalisés concernant la passation d'un échantillon de marchés n'ont révélé aucune irrégularité à ce stade. Toutefois, les risques liés à l'exigence de livraison des sites et de la manifestation seront importants lors de la phase opérationnelle qui commence. Si les deux organismes ont mis en place des procédures pour éviter tout risque d'atteinte à la probité, il nous paraît indispensable de s'assurer du respect de ces procédures et de la capacité des dispositifs de contrôle interne à en vérifier la mise en œuvre. En particulier, il en est ainsi pour le COJOP qui applique des dispositions dérogatoires sur une part importante des marchés qu'il passe.

Cela pourrait être également le cas pour la Solideo lorsque les exigences de livraison dans les délais et le respect des procédures du code de la commande publique pourraient devenir difficilement compatibles. Il faut anticiper ces difficultés et risques. La Cour en assurera en tout état de cause le contrôle à l'issue des Jeux.

Enfin, le COJOP et la Solideo porteront l'héritage immatériel et matériel des Jeux. L'État a, pour sa part, adopté en 2019 un « Programme Héritage » de cent-soixante-dix mesures dont le suivi incombe à la DIJOP et qui gagneraient à être mieux hiérarchisées. Les contrôles réalisés ou en cours n'ont pu véritablement approfondir ces sujets, qui devraient faire l'objet d'un rapport de la Cour.

Il est clair que les investissements se sont avérés plus élevés que prévu, non pas en raison de dérives financières, mais parce que ces Jeux sont un catalyseur de projets et l'occasion de réaliser des investissements attendus depuis longtemps par les territoires. Il apparaît de plus que l'équilibre financier du budget du COJOP n'est pas assuré de façon certaine. Enfin, le coût réel de cette manifestation sportive ne peut être en l'état complétement déterminé.

Concernant la Solideo, la maquette financière établie en 2016 à 1,6 milliard d'euros prévoyait son indexation. L'inflation devrait conduire à un surcoût de 306 millions d'euros, du fait de l'accélération constatée de l'inflation en 2022. Par ailleurs, des financements complémentaires, pour des investissements réalisés à l'occasion des Jeux dans une logique d'héritage, s'élèveraient désormais à près de 700 millions d'euros. Cette évolution semble davantage résulter d'un effet accélérateur sur les investissements publics que d'une dérive des coûts.

Concernant le COJOP, la Cour avait formulé plusieurs recommandations pour la révision du budget pluriannuel lors du contrôle réalisé cet été. Elle demandait que ne soient retenues que des ressources acquises ou en voie de l'être, et que les risques identifiés, en particulier l'inflation, soient intégralement pris en compte.

Le budget pluriannuel du COJOP, établi en 2018 à 3,8 milliards d'euros, puis porté en 2020 à près de 4 milliards d'euros a été substantiellement révisé lors du conseil d'administration tenu le 12 décembre dernier. Il s'élève aujourd'hui à 4,3 milliards d'euros, soit une augmentation de 17,7 % depuis 2018. La Cour préconisait de sanctuariser la réserve pour aléas de 315 millions d'euros, mais celle-ci a été réduite à 200 millions, en parallèle toutefois de l'inscription d'une provision pour risque d'inflation de 75 millions.

Nous rappelons que l'évaluation des coûts liés à l'organisation des Jeux est essentielle, d'une part en raison de l'objectif affiché d'organiser des Jeux sobres au coût maîtrisé et d'autre part, en raison de l'exigence de transparence qu'impose l'acceptabilité des Jeux pour la population, qui n'est plus gagnée par avance désormais.

Or, les chiffres avancés par les organisateurs des Jeux et les responsables publics de 6,9 milliards d'euros en phase de candidature puis de 8,8 milliards d'euros à ce jour ne peuvent être pris en considération par la Cour. Ils reposent sur des estimations fragiles et ne comprennent pas non plus certaines dépenses portant notamment sur la sécurité et les transports.

Au total, les crédits publics engagés pour le COJOP et la Solideo s'élèvent à 2,4 milliards d'euros dont 1,3 milliard pour l'État et 1,1 milliard pour les collectivités locales. Néanmoins, le coût public pourrait approcher les 3 milliards d'euros après prise en compte des dépenses fiscales, des dépenses de sécurité, des dépenses sanitaires ou encore des dépenses de transport qui ne sont pas à ce stade dans les budgets du COJOP et de la Solideo.

En conséquence, la Cour n'est pas en mesure d'établir le coût réel des Jeux et son impact total sur les finances publiques, en l'absence de recensement exhaustif et précis des dépenses d'investissement et de fonctionnement liées aux Jeux. Elle renvoie ainsi au rapport ex post pour une véritable analyse du coût global des JOP 2024.

La Cour estime essentiellement que la phase de planification stratégique des Jeux olympiques et paralympiques s'est globalement bien déroulée. Pour autant, elle relève des points de vigilance, qui la conduisent à formuler quinze recommandations, alors que, à dix-huit mois de leur ouverture, les risques liés à l'exigence de livraison des sites olympiques et de la manifestation ne peuvent que croître.

La Cour recommande tout d'abord de resserrer la gouvernance et de clarifier les responsabilités des partenaires sur le plan opérationnel et financier. Par ailleurs, pour garantir l'éthique et le droit de la commande publique, si la Cour n'a pas relevé d'irrégularité notable, elle alerte spécifiquement sur les risques croissants à l'approche de la tenue des Jeux. En effet, l'impératif absolu de respect des délais de livraison pourrait conduire à ne pas appliquer correctement le code de la commande publique. Ces situations doivent être anticipées.

Ensuite, pour assurer la livraison des ouvrages, la bonne articulation entre le COJOP et la Solideo doit être renforcée sous l'autorité du DIJOP. Je pense en particulier aux modifications de programme, au respect des calendriers et des budgets, ou encore aux modalités et aux calendriers de livraison des sites. Nous invitons par conséquent à signer au plus tôt en 2023 les conventions d'utilisation des sites et les marchés de livraison externalisés, et à stabiliser les plans de gestion site par site.

Sur le volet sécurité et transports, nous appelons à une vigilance extrême et soulignons la nécessité de finaliser au premier semestre 2023 le plan global de sécurité des Jeux, pour stabiliser les besoins de sécurité privée dont le déficit de moyens est probable et pour planifier l'emploi des forces de sécurité intérieure.

Enfin, les incertitudes qui subsistent sur l'équilibre final du budget du COJOP imposent un suivi très rigoureux, d'autant plus que l'État apporte sa garantie en cas de déficit final du COJOP, comme la loi de finances pour 2022 l'a entériné. La Cour insiste également sur la nécessité d'établir un coût le plus complet possible des Jeux. À cet effet, un préalable consiste à consolider l'ensemble des dépenses d'investissement et de fonctionnement engagées.

Voilà un programme ambitieux, qu'il faudra tenir dans les délais impartis. Pour reprendre la célèbre formule de ces Jeux, il faudra collectivement porter nos efforts plus vite, plus haut, plus fort et ensemble. Le moment venu, la Cour dressera le bilan objectif de ces Jeux. Elle en évaluera le coût total pour savoir ce qu'ils auront vraiment coûté aux finances publiques et donc aux contribuables. Elle mesurera également leurs apports pour la population et les territoires en termes de renouvellement urbain, de retombées économiques et d'emplois, de développement des équipements sportifs.

Je veillerai personnellement, dans les mois et les années qui viennent, à ce que l'institution dont j'assume la présidence, joue tout son rôle de contrôle, d'évaluation, de transparence en direction des citoyens. A cet égard, le Parlement constitue un partenaire absolument incontournable.

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