Merci pour vos nombreuses questions auxquelles je vais essayer de répondre dans l'ordre et de manière thématique.
Tout d'abord, je vous prie d'excuser le ministère de la santé, qui ne vous a pas encore transmis le rapport au Parlement sur l'application de la loi de bioéthique. Ce rapport est quasiment finalisé et je peux déjà vous en donner les principaux éléments. Les textes relatifs à l'AMP ont été priorisés, car ils constituent les éléments les plus importants et novateurs de ce projet de loi, avec une très forte attente, de même que la mise en place de la commission d'accès aux origines.
Plusieurs textes sont actuellement au Conseil d'État, notamment l'ordonnance d'application sur l'outre-mer, qui doit être prise avant le 1er février 2023. Les délais sont respectés et, à ce stade, aucun texte essentiel à la mise en œuvre de la loi de bioéthique n'est immobilisé. Deux rapports supplémentaires sont également en cours de préparation. L'information au Parlement est très importante et je me tiendrai toujours à votre disposition dès que vous souhaitez m'auditionner, comme dans mes précédentes fonctions. Par ailleurs, plusieurs parlementaires participent au comité d'orientation, l'occasion d'avoir un dialogue rapproché ; comme le disaient vos collègues sénateurs, les débats au sein du comité d'orientation sont très intéressants et les praticiens peuvent y présenter des remontées de terrain. Il constitue un moyen de travailler sur les sujets problématiques dans l'application de la loi.
Plusieurs d'entre vous m'ont posé des questions sur la mise en œuvre de l'AMP. Un comité de suivi a été mis en place et partage des chiffres. Une chute des dons d'ovocytes d'environ 40 % a été observée en 2020, comme beaucoup d'activités pendant la crise covid. Cependant, les dons d'ovocytes ont retrouvé le niveau de 2019 et cette hausse se confirme en 2022, même si j'attends les chiffres consolidés. Ainsi, la tendance est plutôt rassurante même si nous n'atteignons pas l'autosuffisance. Par ailleurs, après une dégradation, les délais se sont stabilisés à vingt-deux mois pour les AMP avec don d'ovocytes. Ce n'est pas encore satisfaisant, mais cette stabilisation est rassurante.
Les dons de spermatozoïdes avaient également subi une chute impressionnante de 60 % en 2020, mais ils ont connu un rebond exceptionnel en 2021, avec deux fois plus de donneurs qu'en 2019, soit plus de 600 donneurs. Ainsi, le stock national de paillettes est totalement reconstitué et ne constitue pas un élément de blocage pour les nouveaux publics ; nous sommes en autosuffisance. Ces nouveaux publics représentent maintenant la très grande majorité des files actives de demandes de PMA, à hauteur de 60 %, sachant que les femmes seules sont plus demandeuses que les couples de femmes. Cet élément est étonnant et n'avait pas été anticipé.
Les délais des PMA avec don de sperme sont beaucoup plus faibles, à hauteur de quatorze mois, même si nous avions l'objectif de le diviser par deux. Nous gérons la situation d'afflux de nouveaux patients.
Enfin, l'explosion des demandes d'autoconservation non médicale d'ovocytes se confirme. Le délai moyen est raisonnable et s'établit à cinq mois. Cependant, il existe des disparités régionales et la saturation de l'Île-de-France est un vrai problème, avec un délai de treize mois.
Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur l'accès aux centres privés. Nous avons rattaché l'activité d'autoconservation à la logique du don. Le don est normalement associé à une logique d'établissement. Dans le cadre du principe du don d'organe anonyme, gratuit et librement consenti, cette activité n'est compatible qu'avec des établissements à but non lucratif ou publics. Ainsi, à date, l'autoconservation n'est pas possible dans les centres privés en France. Une dérogation a été prévue par la loi, mais n'a jamais été appliquée et n'est pas encore opérante. La question est en cours de réflexion par le comité de suivi afin d'ajuster les moyens en fonction des besoins sur le terrain.
Pour le moment, l'agence est très attachée à ne pas déroger à cette règle qui correspond à un écosystème global ; toute dérogation au système pourrait poser problème. J'ai conscience que des activités sont réalisées à l'étranger, mais elles sont suivies. Une partie des frais est remboursée par l'assurance maladie, dans la mesure où la démarche est autorisée en France et donne lieu à un suivi précis. La caisse de Vannes centralise toutes ces demandes pour le compte de l'assurance maladie dans le cadre du comité de suivi.
Ces démarches existent afin de faciliter la gestion des délais et des limites d'âge. En effet, la priorisation est menée en fonction du ticket d'entrée dans la file d'attente. C'est le moment où l'on rentre dans le système qui prévaut et non les critères d'âge. Ainsi, les délais actuels peuvent poser problème pour certaines personnes qui approchent d'une limite d'âge. Le recours à la PMA dans des centres étrangers permet d'éviter les pertes de chance.
Concernant l'harmonisation, des travaux sont en cours sur une révision des directives européennes et l'ABM apporte toute son expertise sur ces sujets sensibles, car chaque pays est très attaché à ses principes éthiques et culturels. Ces questions se posent déjà sur les médicaments dérivés du sang, mais il convient de trouver un équilibre dans cette période de transition afin d'éviter une rupture d'accès aux droits.
Il est vrai que les pratiques sont différentes des nôtres dans certains pays européens, mais la gestion des délais et les limites d'âge doivent être prises en compte. Nous devons faire preuve de souplesse et d'humanité tout en respectant le cadre réglementaire. Je pense que nous sommes encore en phase de transition et l'augmentation massive des moyens dédiés à hauteur de 7 millions d'euros dès 2021, confirmé en 2022 et en 2023, largement supérieure aux prévisions, nous permettra de gérer cette suractivité, dont nous ignorons encore si elle est structurelle ou conjoncturelle. Nous allons la suivre attentivement afin d'ajuster les moyens en conséquence. Quoi qu'il en soit, le ministère souhaite continuer à permettre un accès maximum.
La loi n'a pas acté de changement sur le DPI malgré des débats sur le sujet. Il n'a pas été généralisé et le cadre reste identique : le diagnostic n'est réalisé que lorsque le couple a de fortes chances d'avoir donné naissance à un enfant porteur d'une pathologie. Des programmes hospitaliers de recherche clinique sont prévus et permettront d'éclaire ce sujet quand ils auront démarré.
Vous m'avez également posé de nombreuses questions sur le plan d'action concernant les greffes. Cette activité reste un objectif prioritaire inscrit dans la loi, comme l'agence le rappelle très régulièrement aux établissements et aux agences régionales de santé.
Le précédent plan greffe n'avait pas atteint ses objectifs. Il était sans doute trop ambitieux, mais enregistre tout de même des résultats : l'objectif de prélèvement a été dépassé dans le cadre du protocole Maastricht 3 et un travail significatif de recensement des donneurs sur le terrain a été réalisé. De même, le temps d'ischémie froide qui est un critère de qualité a été réduit. En effet, la greffe doit avoir lieu dans de bonnes conditions pour assurer son succès. Enfin, nous avions commencé à évaluer les équipes de greffe. Nous allons continuer sur tous ces sujets.
Une chute majeure des transplantations a été constatée en 2020, notamment celles qui sont éligibles à des traitements de suppléance, telles que la greffe de rein. Cependant, les greffes de cœur et foie se sont poursuivies, car il n'existe pas de traitement alternatif. L'activité est remontée à 20 % en 2021, soit le niveau de 2006. La tendance reste très positive pour 2022. Une conférence de presse se tiendra début février, pour présenter ces chiffres en cours de consolidation. Ils sont plutôt rassurants et entrent dans l'intervalle cible prévu par le plan. Ces chiffres illustrent la forte mobilisation des équipes hospitalières malgré la crise actuelle, car ce sont des activités hautement complexes qui mobilisent de nombreuses compétences au sein des établissements.
Pour autant, nous allons devoir poursuivre nos efforts. Ce plan est financé pour la première fois, nous permettant de revaloriser certaines activités, notamment le prélèvement, qui, au contraire de l'Espagne, ne l'est pas toujours dans le financement hospitalier. Il est normal de donner la priorité à des objets qui sont valorisés financièrement. Cet effort permettra de rendre le prélèvement plus incitatif.
Par ailleurs, nous allons développer des indicateurs de performance, enjeu et changement de taille. Dans le cadre du pilotage régional en lien avec les ARS, nous allons développer des critères transparents pour valoriser les équipes qui réussissent bien à toutes les étapes, car la greffe est le fruit d'un travail d'équipe. La création d'indicateurs régionaux de suivi en lien avec les ARS constitue un nouveau levier important et il sera nécessaire de mobiliser les ARS. J'irai donc rencontrer tous les directeurs généraux, que je connais bien, pour les sensibiliser. En effet, ceux avec lesquels j'ai eu l'occasion d'échanger reconnaissent que ces actions sont parfois un peu éloignées de leurs centres d'intérêt. Il convient d'expliquer comment le financement dédié arrive au niveau des équipes sur le terrain.
Nous souhaitons également introduire l'idée d'un avis conforme de l'ABM sur les schémas régionaux de santé en 2023, autre levier susceptible d'intéresser les directeurs généraux d'ARS.
Vous m'avez interrogé sur les IPA, sujet auquel je suis très sensible et auquel je crois, pour avoir travaillé sur les délégations de tâches il y a quelques années. J'ai construit le modèle économique des maisons de santé en 2008. Nous sommes très en retard par rapport à d'autres pays européens sur ces métiers intermédiaires dans l'ensemble du champ santé. Le sujet est devenu très à la mode, mais nous manquons d'infirmières et nous faisons face à un problème d'attractivité de ces filières : ainsi, de nombreux jeunes s'inscrivent dans les formations et les instituts de formation en soins infirmiers, mais ils sont nombreux à s'interrompre en cours de parcours. C'est un sujet non négligeable.
Les IPA doivent disposer de moyens d'attirer et de pérenniser. Par ailleurs, il convient de déterminer leur périmètre. Ces professionnels seront-ils ultraspécialisés ou conserveront-ils un profil plus large, comme les infirmiers de bloc opératoire, qui leur permet d'exercer une autre activité une fois qu'ils ont acquis cette spécialisation ? Nous travaillons plutôt sur la seconde possibilité, plus attractive. Il s'agit de ne pas créer une activité de niche. Les textes ne sont pas encore parus et le sujet sera approfondi en 2023, en lien avec la réforme hospitalière.
Concernant le transport, c'est désormais surtout le greffon qui circule. Les équipes de préleveurs ne se déplacent plus.
Par ailleurs, la loi permet des ajustements du don du vivant croisé. Auparavant, il était nécessaire de former une paire de préleveurs, mais les potentialités et les combinaisons possibles ont été élargies. Cette nouvelle disposition permettra d'améliorer l'accès, parce que la personne à qui l'on souhaite donner n'est pas toujours compatible. Ce don vivant croisé permet de répondre à cette problématique tout en respectant l'anonymat et la gratuité du don.
Il est important de renforcer les campagnes de sensibilisation, car le don vivant est très peu connu du grand public. Je pense que les gens ont conscience de l'importance du don d'organes après un décès, même si cette connaissance doit être renforcée.
Cependant, le don vivant constitue une voie d'avenir, car on espère une diminution du nombre de donneurs décédés compte tenu de la baisse des accidents de la voie publique et d'une meilleure prise en charge des AVC. Ainsi, il est nécessaire de développer d'autres formes de dons, mais les personnes doivent être préparées, car il ne s'agit pas d'une prise de décision facile quand on y est confronté, souvent dans l'urgence.
Ce travail de sensibilisation doit passer par les moyens de communication des jeunes qui sont les réseaux sociaux, avec un travail d'influenceurs. De nombreuses techniques de communication existent et doivent être testées. Nous vérifions l'impact de toutes les campagnes de l'agence afin d'ajuster les moyens. En menant dans d'autres secteurs des campagnes très ciblées via des réseaux sociaux qu'une majorité d'entre nous ne connaît pas, avec des influenceurs très connus d'une certaine frange de la population, j'ai constaté qu'il était possible d'atteindre des publics qui sont beaucoup plus difficiles à toucher par les moyens médiatiques classiques, même s'il convient de poursuivre les campagnes d'affichage comme par le passé.
Ces nouvelles campagnes sont co-efficaces et permettent de placer les jeunes face à des situations concrètes. Nous devons mener un vaste travail de marketing social pour cibler les personnes dont nous avons besoin, surtout compte tenu de l'enjeu de diversification des registres des donneurs. Nous devons atteindre les hommes, notamment ceux qui sont issus de la diversité.
Enfin, vous m'avez interrogé sur les nouvelles compétences en matière de neurosciences. Le rapport sur ce sujet très intéressant est en cours de rédaction et sera bientôt disponible. Je pense que l'agence remplit un vrai rôle de veille scientifique et sociale sur les enjeux des techniques et de compréhension des évolutions de société, car ces activités sont liées. Ce sont des activités qui sont déjà développées et l'agence a eu des moyens supplémentaires pour mettre en œuvre ce nouveau plan. C'est tout l'enjeu du COP qui sera signé par le ministre.
L'objectif est de parvenir à développer tous ces liens. En tant que médecin de santé publique, je suis assez sensible à ces sujets à la fois sociétaux et scientifiques. On constate une attente scientifique forte, mais également des réticences. D'ailleurs, je souhaite attirer votre attention sur certaines interrogations des professionnels. Actuellement, des femmes de plus en plus jeunes formulent des demandes d'AMP, ce qui interroge la communauté des professionnels au sein des CECOS. Les médecins ont l'habitude des personnes qui arrivent en fin de période de fertilité, mais beaucoup moins des jeunes femmes seules.
Ainsi, un travail doit être réalisé afin de comprendre la situation et de proposer d'éventuelles adaptations, car aucune limite d'âge minimale d'accès n'a été fixée. Cette limite est uniquement maximale.