Je suis très honorée d'être auditionnée aujourd'hui en vue de prendre la direction de l'Agence de la biomédecine et j'espère que vous me donnerez votre confiance. Je vous souhaite une excellente année 2023.
Comme l'a rappelé madame la présidente, l'Agence de la biomédecine est un établissement public administratif créé par la loi de 2004, qui est sous la tutelle du ministère de la santé et qui faisait suite à l'Établissement français des greffes.
Elle travaille dans quatre grands domaines dont le point commun est de requérir l'utilisation d'éléments et de produits issus du corps humain à des fins médicales ou scientifiques, notamment le prélèvement et la greffe d'organes, de tissus et de cellules souches hématopoïétiques pour réaliser des greffes de moelle osseuse, l'assistance médicale à la procréation (AMP) et le diagnostic prénatal, la génétique humaine et la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. Ces domaines sont régis par les différentes lois de bioéthique, dont la dernière a été promulguée il y a environ dix-huit mois. Elle avait fait l'objet de nombreux débats ici même.
Compte tenu de ses missions très techniques et très sensibles, les équipes de l'agence possèdent une expertise multidisciplinaire de très haut niveau, à la fois médicale, scientifique, juridique et éthique, ainsi que des compétences en matière de systèmes d'information et de gestion des données, puisque l'agence gère un certain nombre de registres et de données très sensibles. L'agence est reconnue sur le plan national et international par les professionnels de santé, les chercheurs, mais aussi les associations de patients et d'usagers.
L'agence remplit également des fonctions très opérationnelles, car elle doit assurer des opérations vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans le cadre de son activité de répartition des greffons.
Sa gouvernance très originale est en lien avec ses missions particulièrement sensibles. Elle possède un conseil d'administration présidé par M. Bay, mais également un conseil d'orientation qui est une sorte de comité d'éthique dans lequel plusieurs parlementaires siègent, présidé par le professeur Guérin, ainsi qu'un conseil médical et scientifique composé d'un collège sur les greffes dirigé par M. Menasché et d'un autre collège sur la procréation et la recherche de l'embryon dirigé par le professeur Benachi.
Nous sommes au début d'un nouveau cycle. La troisième révision de la loi de bioéthique a été votée en août 2021 et ses dispositions sont très claires. Elle a permis de nombreuses avancées, notamment dans le champ de la procréation médicalement assistée, ainsi que de nombreuses clarifications. L'heure est maintenant à la mise en œuvre de ce nouveau cadre législatif et réglementaire.
Par ailleurs, le ministère de la santé a annoncé début 2022 la révision de trois plans ministériels dans le cadre qui correspond au champ d'activité de l'agence. Enfin, son nouveau contrat d'objectifs et de performance (COP) est finalisé pour les cinq prochaines années et sera bientôt signé par le ministre. Il convient maintenant de mettre en œuvre de manière efficace ce cadre stratégique défini et extrêmement précis, avec les moyens qui ont été alloués.
Concernant les greffes d'organes, ma priorité est la mise en œuvre du quatrième plan greffe qui a été présenté en début d'année, et qui a pour objectif principal de relancer l'activité de greffe, très impactée par la crise du covid : les transplantations ont chuté de 25 %. Il s'agit notamment de réduire le taux de refus de prélèvement, car il a malheureusement augmenté, passant de 30 à 34 %. Il s'agit aussi de développer le don du vivant, moins connu, mais qui constitue également une piste très intéressante notamment pour les greffes de rein et de foie pour les enfants.
Le déploiement territorial fait partie des nouveaux leviers et enjeux pour atteindre ces objectifs. Nous devons désormais adapter les orientations nationales à des contextes spécifiques locaux, dont les moyens varient d'une région à l'autre. La crise qui touche actuellement le monde hospitalier aura forcément des impacts, y compris sur l'activité de greffe.
La mise en place de nouveaux métiers devrait également nous aider, notamment les infirmiers en pratique avancée (IPA), qui constituent une réponse à la pénurie des personnels médicaux et paramédicaux dans les hôpitaux français, afin d'améliorer le suivi de la greffe, de faciliter le recueil du consentement de la famille au moment du prélèvement, mais également de renforcer le suivi post-greffe. La présence de ces infirmières spécialisées sera vraiment très utile tout au long du processus et permettra également de redonner du temps aux médecins en flux tendus dans cette période.
Enfin, la promotion du don est primordiale. La loi demande à l'agence d'encourager le don post mortem, mais également le don du vivant, beaucoup moins connu et qui nécessite des travaux de sensibilisation pour encourager un changement de mentalité.
Une grande nouveauté de ce plan est son financement, démontrant la volonté d'implication du ministère. 210 millions d'euros sur cinq ans s'ajoutent au financement actuel des activités de greffe et permettront de mieux valoriser l'activité de prélèvement.
Par ailleurs, nous allons mettre en œuvre le quatrième plan sur les greffes de moelle osseuse avec plusieurs objectifs, dont la proposition de toutes les sources de cellules souches hématopoïétiques afin de sélectionner le meilleur greffon en fonction de l'âge, de la pathologie, du stade d'avancement de cette pathologie et de l'urgence à réaliser la greffe.
Il est nécessaire d'augmenter le nombre de donneurs. En effet, le registre en France répertorie environ 330 000 donneurs, un effectif très faible par rapport à d'autres pays européens ; ainsi, l'Allemagne compte plus de 9 millions de donneurs. L'objectif d'augmentation s'établit à 20 000 nouveaux donneurs par an, un objectif tenu et même dépassé en 2021, avec 24 000 nouveaux donneurs. Les progrès sont attendus sur le plan quantitatif, mais également sur le plan qualitatif, car une diversification du recrutement de ces donneurs est essentielle. Les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes dans le registre ; or, pour des raisons immunologiques, il est préférable d'avoir des donneurs hommes, car il arrive que les femmes tombent enceintes entre le moment où elles donnent leur consentement et celui où la greffe est réalisée et les grossesses provoquent des allo-immunisations, soit des greffons de moins bonne qualité.
Le registre doit donc compter des hommes, et si possible, des hommes issus de la diversité, afin de disposer de tous les phénotypes et typages de cellules pour représenter l'ensemble de la population française et des besoins. Enfin, il faut réduire les délais des greffes qui sont toujours très longs. Nous utilisons désormais un système d'inscription en ligne qui fonctionne très bien. Une fois l'inscription réalisée, la personne reçoit par courrier un kit de prélèvement de salive ce qui permet de préparer le typage des antigènes d'histocompatibilité en temps masqué, sans embouteiller des consultations hospitalières déjà en tension.
L'AMP a donné lieu à de nombreux débats dans le cadre de la dernière révision de la loi de bioéthique. Vous n'êtes pas sans savoir que les nouvelles dispositions inscrites dans la loi ont placé le secteur sous très forte tension, car la portée sociétale de ces nouvelles dispositions a été sous-estimée et le nombre de demandes des nouveaux publics, notamment des femmes seules et des couples de femmes, est largement supérieur aux estimations. L'objectif est donc de réduire les délais d'attente pour une AMP.
Toutefois, il est important de mentionner l'autosuffisance de gamètes et de spermatozoïdes, compte tenu d'un afflux de donneurs en 2021, après une diminution en 2020. Contrairement à nos craintes, l'accès aux origines ne constitue pas un frein au don.
Nous enregistrons plus de 6 000 demandes, un volume énorme par rapport aux prévisions, et les centres doivent gérer cet afflux de demandes, auquel s'ajoutent les demandes d'autoconservation qui ne faiblissent pas. À date, nous ignorons si cet effet est structurel ou conjoncturel. Nous verrons si cette tendance se confirme sur la durée ou si elle se régule au fil du temps une fois que ces demandes effet de rattrapage auront été absorbées. À cette fin, le ministère nous a demandé de mettre en place un comité national de suivi, démarche inédite qui permet de réunir l'ensemble des parties prenantes et de partager les informations, de s'adapter et de faire remonter les sujets de terrain. Selon moi, ce lieu de débat et de dialogue est essentiel pour gérer un changement sociétal aussi significatif.
Enfin, je soutiendrai le déploiement des activités de consultation génétique, et notamment des nouvelles technologies de diagnostic et du séquençage génomique à haut débit qui entraînent des modifications dans les pratiques. Là aussi, l'agence joue un rôle de veille et de recommandation de bonnes pratiques pour ajuster les procédures et informer le public des dangers de certains tests disponibles sur Internet.
De manière globale, je me montrerai très attentive aux activités de recherche sur l'embryon et sur les cellules souches embryonnaires. Ces activités sont autorisées par l'agence, qui joue un rôle de suivi et de vigilance.
Je vais maintenant vous présenter mon parcours en quelques mots. Je suis médecin de formation, mais j'ai rapidement choisi de me spécialiser dans la santé publique en raison de mon intérêt pour les politiques publiques et pour l'approche pluridisciplinaire des questions de santé. Je trouve fascinant de travailler avec de nombreuses autres disciplines. Tel sera le cas à l'agence, dont l'activité demande de traiter les aspects juridiques, de recherche et de sociologie. Ce croisement des regards est extrêmement riche pour prendre les décisions et conseiller le décideur de la manière la plus appropriée.
Ma carrière est variée, en administration centrale territoriale, en cabinet ministériel, en établissement public et au sein de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Elle m'a permis de développer, outre mes compétences techniques et humaines apportées par la première partie de mon parcours en tant que médecin, des aptitudes stratégiques et administratives ainsi que des compétences de gestion, de connaissances du système de soins, d'organisation et surtout de financement.
Ma carrière a commencé à l'Agence des produits de santé, devenue l'Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé, puis à la Caisse centrale de la Mutualité sociale et agricole, où je m'occupais des médicaments et du remboursement des produits de santé. Enfin, j'ai occupé le poste de conseillère du ministre de la santé Xavier Bertrand, dans le domaine des produits de santé. J'ai ensuite rejoint la direction de la sécurité sociale, où je me suis occupée de l'ensemble du financement du système de soins, et notamment de la construction de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie que vous votez chaque année, et du suivi des lois de financement de la sécurité sociale que vous suivez chaque année.
J'ai ensuite intégré l'Igas, où j'ai assuré de nombreuses missions d'audit des agences sanitaires dans le champ hospitalier et la protection sociale, avant de prendre la direction de la branche des accidents du travail et maladies professionnelles au sein de la sécurité sociale, où je me suis occupée de santé au travail. Depuis 2019, je m'occupe de la lutte contre la pauvreté et je suis chargée de la mise en œuvre et du déploiement territorial de la stratégie en la matière, dans une logique interministérielle.
Les sujets de bioéthique m'ont toujours passionnée, depuis mon premier stage d'externe en 1992 chez le professeur Alain Fischer, qui dirigeait le service de greffe et où ont été réalisées les premières greffes de moelle. Cette expérience m'a tellement marquée que j'ai ensuite passé une maîtrise d'immunologie et de génétique. À l'époque, vous votiez les premières lois de bioéthique. Le cadre s'est clarifié et structuré depuis et mon objectif sera sa mise en œuvre ainsi que la relance des différentes activités.
Je pense que mon expérience hospitalière en tant que praticienne ainsi que celle que j'ai acquise à la direction de la sécurité sociale ou à l'Igas dans des fonctions plus administratives et financières me seront très utiles pour dialoguer avec les équipes responsables de ces activités et comprendre notamment leurs difficultés quotidiennes.
Le monde hospitalier traverse une période de grande crise et il sera très important d'être à son écoute pour atteindre les objectifs tout respectant les contraintes des professionnels. En outre, je ne manquerai pas d'associer toujours étroitement, comme le fait l'agence depuis des années, les associations de patients et d'usagers, les médias et les parlementaires à tous ses travaux. En effet, les sujets de démocratie sanitaire sont absolument essentiels. Ils sont d'ailleurs inscrits comme l'une des priorités dans le nouveau COP de l'agence. C'est pour moi la condition sine qua non pour maintenir la confiance que doit avoir le public envers les activités de l'agence, d'autant plus que cette confiance à l'égard des institutions est souvent remise en question à l'heure actuelle. Il est important de maintenir le dialogue pour construire un climat de qualité sur ces sujets hautement sensibles.
Je m'y efforce d'ores et déjà avec les associations de lutte contre la pauvreté, dans un contexte très sensible de gestion de crise du covid. Je pense posséder cette qualité de dialogue qui me permettra d'ajuster les moyens de fonctionnements et les propositions de l'agence.
Enfin, j'aurais évidemment à cœur de m'inscrire dans la continuité de mes prédécesseurs, Anne Courrèges et Emmanuelle Cortot-Boucher, qui ont consolidé l'agence et porté ses valeurs d'équité, d'impartialité, de fiabilité, de transparence et de solidarité. Je pense que les éléments de mon parcours vous convaincront que je suis à même de les porter à mon tour. Je vous remercie de votre attention et je suis prête à répondre à toutes vos questions.