Le 16 novembre dernier, nous avons en effet émis un avis négatif à la recevabilité d'une première proposition de résolution relative aux révélations des Uber Files et au rôle du Président de la République dans l'implantation d'Uber en France. Cette première initiative, qui visait explicitement le Président de la République en exercice, présentait une difficulté majeure au regard du régime de responsabilité du Président de la République. Par conséquent, elle faisait peser un risque réel de violation d'un principe constitutionnel auquel nous sommes tous attachés : la séparation des pouvoirs. Cette initiative a été retirée par son auteure avant son examen en séance publique.
La proposition de résolution que nous examinons à présent se distingue assez nettement de la précédente. Son intitulé ne fait plus directement référence à la présidence de la République. La commission d'enquête aurait pour mission d'identifier les actions de lobbying menées par la société Uber pour s'implanter en France, et d'appréhender le rôle des décideurs publics de l'époque. Elle devra également étudier les conséquences sociales, économiques et environnementales du développement du modèle Uber en France.
Si le champ de cette commission d'enquête a pu être défini plus largement, je dois insister sur le fait que la référence aux décideurs publics de l'époque ne saurait, en aucun cas, être interprétée comme autorisant une commission d'enquête à investiguer sur la présidence de la République, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs. Il appartiendra à la commission d'enquête de veiller à son respect.
Voyons à présent si les trois conditions requises pour créer une commission d'enquête sont réunies. Cette seconde initiative intervenant dans un cadre juridique distinct de la première, puisque le groupe LFI a décidé de faire usage de son droit de tirage, nous n'avons donc pas à nous prononcer quant à l'opportunité de cette initiative.
En premier lieu, l'article 137 du règlement de l'Assemblée nationale prévoit que les propositions de résolution tendant à la création de commissions d'enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. » En l'occurrence, les faits sur lesquels la commission d'enquête devra se pencher, à savoir notamment les différentes actions de lobbying menées par la société Uber, semblent définis avec une précision suffisante.
En deuxième lieu, les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sont recevables, sauf si, dans l'année qui précède leur discussion, une commission permanente a fait usage des pouvoirs dévolus aux commissions d'enquête demandés dans le cadre de l'article 145-1 du règlement ou a eu lieu une commission d'enquête ayant le même objet. Ce n'est pas le cas en l'espèce. La proposition de résolution remplit donc le deuxième critère de recevabilité.
En troisième et dernier lieu, en application de l'article 139 du règlement de l'Assemblée nationale, une proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé son dépôt. Interrogé par la présidente de l'Assemblée nationale conformément au premier alinéa de l'article 139 précité, le garde des sceaux lui a fait savoir, dans un courrier en date du 18 janvier 2023, que le périmètre de la commission d'enquête envisagée est susceptible de recouvrir pour partie une procédure judiciaire en cours. La commission devra donc veiller, tout au long de ses travaux, à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l'autorité judiciaire.
Sous cette réserve, il apparaît que la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête relative aux révélations des Uber Files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences, est juridiquement recevable.