Si, par nature, les commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat sont infaillibles, il arrive parfois qu'elles soient d'une rigueur un peu excessive... Rassurez-vous, ce sont nos collègues sénateurs qui ont été les victimes du texte qu'ils avaient eux-mêmes proposé en 2019. Ils nous demandent donc, à travers la présente proposition de loi, de tempérer leur hybris de l'époque.
Pour mémoire, le 2 décembre 2019, le Parlement a adopté une proposition de loi, d'initiative sénatoriale, visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral. Celle-ci a étendu aux élections sénatoriales l'application du cadre juridique relatif à la propagande électorale, tel qu'il existe pour les élections législatives, départementales et municipales. Ces dispositions ont notamment pour effet d'interdire le recours à la publicité commerciale, la diffusion de fausses informations, la communication des résultats avant la fermeture des bureaux de vote, ou encore la possibilité de faire campagne la veille et le jour du scrutin.
Je vous rappelle que le Sénat est renouvelé par moitié tous les trois ans. Le prochain scrutin aura lieu en septembre 2023. Nos collègues sénateurs sont élus au niveau des départements par un collège de grands électeurs réunissant les parlementaires, les conseillers régionaux et départementaux, les conseillers municipaux, ainsi que des délégués désignés par les plus grandes communes du département, en fonction de leur population. Le vote est obligatoire, sous peine d'une amende de 100 euros.
Deux modes de scrutin coexistent : dans les départements représentés par un ou deux sénateurs, l'élection a lieu au scrutin majoritaire à deux tours, tandis que, dans les autres, le scrutin est proportionnel. Dans les deux cas, l'élection occupe une seule journée. Autrement dit, dans les départements où l'élection se déroule au scrutin majoritaire, le premier tour a lieu de 8 heures 30 à 11 heures et le second, de 15 heures 30 à 17 heures 30. L'usage veut donc que la campagne d'entre-deux-tours se déroule brièvement, souvent autour d'un déjeuner convivial.
L'article R. 168 du code électoral prévoit une autre spécificité : le scrutin peut être clos dès que tous les grands électeurs ont voté. Dans ce cas, le dépouillement peut avoir lieu immédiatement, ce qui évite d'attendre inutilement.
La loi de 2019 entre en contradiction avec le fonctionnement des élections sénatoriales sur deux points : l'annonce des résultats et la possibilité de faire campagne entre les deux tours.
En étendant aux élections sénatoriales les dispositions de l'article L. 52-2 du code électoral, le texte a rendu impossible la publication des résultats dans un département avant que l'ensemble des bureaux de vote métropolitains soient fermés. Cette disposition a retardé inutilement la publication des résultats par les préfectures – ce qui n'a pas empêché les fuites dans la presse locale.
Il est également impossible de faire campagne entre les deux tours, puisque le code électoral interdit toute propagande électorale la veille et le jour du scrutin. Le Conseil constitutionnel a ainsi été saisi en 2020 de plusieurs contestations à propos de déjeuners organisés par des candidats entre les deux tours. Aucun scrutin n'a été annulé sur ce fondement, mais le Conseil a bel et bien confirmé que ces déjeuners pouvaient être interprétés comme de la propagande électorale, contrevenant à l'article L. 49. Par conséquent, les dépenses induites ne peuvent pas entrer dans le champ des frais de campagne remboursés.
La présente proposition de loi prévoit donc deux dérogations.
Premièrement, elle exclut les élections sénatoriales du champ d'application de l'article L. 52-2, pour permettre, comme c'est le cas dans les départements d'outre-mer, de publier les résultats département par département, dès que les bureaux de vote d'un même département sont fermés – ce qui est d'autant plus aisé qu'il n'y a qu'un bureau de vote par département pour ce scrutin.
Deuxièmement, dans les départements où l'élection se déroule au scrutin majoritaire, la proposition de loi exclut l'application de l'article L. 49 pour permettre aux candidats de faire campagne entre la fin du premier tour et le début du second.
Par cohérence, le Sénat, en accord avec la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, a complété la proposition de loi par un article 1er bis visant à permettre aux candidats d'inscrire dans leurs comptes de campagne les dépenses engagées entre les deux tours et ainsi de prétendre à leur remboursement, ce qui est impossible si les dépenses doivent être arrêtées la veille du scrutin . Cette disposition n'aura pas d'effet sur les autres scrutins, dès lors que, pour toutes les autres élections, la campagne s'arrête la veille.
Enfin, l'article 2 précise que cette modification du code électoral concerne l'ensemble du territoire de la République. La précision était utile pour les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution et pour la Nouvelle-Calédonie, car elles obéissent au principe de spécialité législative.
Je vous propose d'adopter le texte conforme et fais le vœu qu'il permette de faire en sorte que le renouvellement partiel du Sénat, qui aura lieu en septembre, se déroule dans les meilleures conditions.