N'ayant pas eu le temps de toutes les noter, je crains, monsieur le député, de ne pas pouvoir répondre à l'intégralité de vos questions ; je vous prie par avance de m'en excuser.
S'agissant de l'hydroélectricité, la Commission européenne a mis en demeure à deux reprises notre pays d'appliquer la directive sur l'attribution de contrats de concession. La réponse de la France, EDF étant évidemment partie prenante dans cet échange, est la suivante : « Quel est le sens de mettre en concurrence des concessions au moment où celles-ci expirent ? Le devenir des concessions est complètement aléatoire : au sein d'une même vallée, une concession va expirer, l'autre pas. En outre, en quoi un autre opérateur ferait-il mieux que l'actuel, qui dispose à la fois de la connaissance et de la masse critique pour assurer la bonne exploitation des installations ? » Nous sommes donc dans l'impasse. Lorsque j'ai quitté mes fonctions, il y a trois semaines, le dossier n'avait pas beaucoup évolué par rapport au moment où je les ai prises, il y a huit ans.
À vrai dire, il ne pouvait pas se passer grand-chose durant cette période, hormis la justification de la non-application par la France de la directive « concessions ». On a peu fait d'investissements dans de nouveaux barrages, ce qui aurait pourtant été bien utile. Cela fait des années qu'on ne développe plus le potentiel hydroélectrique français. On n'augmente pas la puissance des barrages et, surtout, on ne crée pas de nouvelles stations de pompage, les fameuses Step dont vous parliez. Il existe pourtant des projets très anciens – on m'a dit que certains étaient déjà à l'ordre du jour il y a près de quarante ans. Il faut dire que la disposition des montagnes et des rivières ne change pas. À un moment donné, les ingénieurs envisagent de faire quelque chose à un certain endroit, mais les conditions économiques ne sont pas remplies – ce fut le cas il y a quelques décennies. Aujourd'hui, les prix sont élevés, les conditions économiques pourraient être remplies mais le droit ne le permet pas. Depuis quelques années, nous nous contentons donc de maintenir le parc en l'état. Il fonctionne bien, d'ailleurs, ce dont on ne peut que se réjouir, car on en a bien besoin aujourd'hui. Je tiens à saluer les hydro-électriciens d'EDF, parce qu'on parle beaucoup des centrales nucléaires mais très peu de ceux qui exploitent les barrages, alors qu'ils font un travail remarquable pour que ceux-ci soient disponibles pendant l'hiver. Nous avons amélioré la puissance de certains barrages, nous avons réussi à gagner quelques mégawatts par-ci, par-là, mais fondamentalement rien n'a beaucoup changé.
Le coût de revient de l'électricité dépend évidemment de la technologie utilisée. Pour le nucléaire, la CRE l'avait évalué en 2019 à un peu moins de 50 euros le mégawattheure – nous penchions pour notre part pour un peu plus de 50 euros. À ma connaissance, la Commission européenne avait validé cette estimation. Il faut cependant avoir en tête qu'il s'agit d'euros de 2019 : depuis, l'inflation a touché les achats, les salaires et les taxes. La filière hydraulique ayant été amortie, le coût marginal de production de ce type d'électricité est faible. Le coût de la production d'électricité à partir de gaz est quant à lui extrêmement volatil ; il est actuellement très élevé. Le coût du renouvelable résulte des appels d'offres de la CRE que nous gagnons ou non. Suivant la technologie et le marché, les coûts de revient sont donc extrêmement variables et je ne me reconnais ni dans le chiffre de 80 euros le mégawattheure ni dans celui de 120.
Le coût de l'Arenh pour EDF est extrêmement difficile à calculer, dans la mesure où il est difficile de faire des simulations sur le comportement des acteurs économiques. S'il n'y avait pas eu l'Arenh, nos concurrents auraient-ils investi plutôt que de se contenter d'attendre que nous leur livrions le courant électrique que nous produisons à partir des infrastructures que nous avons construites ? Ce qui est certain, c'est que le manque à gagner est considérable, de l'ordre de plusieurs milliards d'euros chaque année : nous touchons 42 euros par mégawattheure alors que le parc nucléaire nous revient à une cinquantaine d'euros – sans tenir compte du coût de sa reconstruction. Je rappelle qu'il était question d'augmenter à 52 euros le prix de l'Arenh quand je suis arrivé à la tête d'EDF et que le Gouvernement de l'époque en était d'accord ; pourtant, rien n'a changé depuis 2012. On peut légitimement se demander comment aurait évolué le marché si les fournisseurs alternatifs avaient été incités à construire plutôt qu'à parasiter le système.
En ce qui concerne Fessenheim, je laisse à mon prédécesseur le soin de critiquer – si tel est bien le cas – un accord qu'il n'a pas négocié. Je me contenterai de vous dire que cet accord a fait l'objet de nombreuses réunions d'un comité d'administrateurs indépendants au sein du conseil d'administration d'EDF, auxquelles l'État ne participait pas. Lors du vote de la résolution approuvant l'accord qui avait été négocié par mes soins avec l'État, les représentants de ce dernier n'ont pas participé au vote, en application des règles de bonne gouvernance. L'accord a été validé par la Commission européenne. Il ne s'agit pas d'une aide d'État ; si tel avait été le cas, il aurait été rejeté. Il a été validé par des administrateurs indépendants représentant l'intérêt social de l'entreprise. Enfin, cet accord, quoique très épais, est public. Il prévoit le versement par l'État d'une somme fixe – ce qui a été fait, je crois, à la fin 2019 –, puis d'une somme variable versée dix années après la fermeture, soit en 2031, en fonction de ce qui se sera passé dans le parc à 900 mégawatts pendant la décennie précédente, et enfin d'une autre somme variable vingt ans après la fermeture, soit en 2041, suivant le même critère. Il me semble donc difficile de juger cet accord avant cette dernière échéance.
La fermeture de Fessenheim n'est bien sûr pas irréversible : on peut toujours décider que tout ce qui a été démantelé peut être reconstruit. Néanmoins, la loi française impose de démanteler le plus vite possible, sous le contrôle et selon les prescriptions de l'Autorité de sûreté nucléaire. Nous appliquons ce programme, de manière à retraiter les matières radioactives présentes sur le site. Les combustibles ont déjà été placés dans des piscines. Les équipements qui n'ont pas été exposés à de la radioactivité sont démontés au fur et à mesure. On pourrait tout reconstruire, mais je pense, monsieur le député, que ce ne serait pas dans un temps raisonnable. De surcroît, nous ne savons pas encore quelles seront les prescriptions de l'ASN pour prolonger la durée de vie des réacteurs de 50 à 60 ans ; dans ces conditions, il semble difficile de faire de Fessenheim le laboratoire de cette prolongation.