Intervention de Jean-Philippe Tanguy

Réunion du mercredi 14 décembre 2022 à 17h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Philippe Tanguy :

Vous avez évoqué brièvement la filière hydroélectrique. De votre point de vue, quelles ont été les conséquences de l'absence d'arbitrage, dans un sens ou dans l'autre, concernant l'attribution définitive des concessions de barrages ? Cela a-t-il détérioré notre capacité à investir dans des technologies plus performantes – remplacement de turbines ou amélioration de la productivité, par exemple – ou dans de nouvelles stations de transfert d'énergie par pompage (Step) ? Cela ne nous a-t-il pas fait prendre un retard considérable ?

L'énergie hydraulique est à la fois souveraine, rentable et doublement stockable, puisqu'elle peut reconstituer elle-même son propre stock. Bien sûr, la part de l'hydroélectricité resterait mesurée – il ne faut pas promettre n'importe quoi –, mais ces dix années perdues n'ont-elles pas dégradé notre capacité à respecter les objectifs de l'Accord de Paris ?

Vous avez parlé du prix de production de l'électricité. Quelle est aujourd'hui votre estimation du prix de production réel du parc dirigé par EDF, et de celui du parc français en général, une fois que l'on a intégré les tarifs de rachat normaux de l'éolien et du photovoltaïque ? EDF a-t-il estimé ce que serait le prix de production réel si notre pays sortait du mécanisme européen de formation des prix ? Combien cela coûterait-il à la France si l'on abandonnait le coût marginal et revenait au prix moyen de production ? Selon certains experts, le prix moyen de production s'établit entre 80 et 120 euros le mégawattheure depuis le début de la crise du gaz, en intégrant les importations. Cette échelle de prix vous paraît-elle cohérente ?

J'ai interrogé hier M. Proglio sur le coût de l'Arenh pour EDF, mais il n'a pas pu me répondre. Sous votre mandat, quel coût l'Arenh a-t-il représenté pour les finances d'EDF ? En existe-t-il une estimation ? Ce chiffre est-il connu ou a-t-il été calculé ? Si l'on écoute M. Proglio, c'est à la représentation nationale de s'inquiéter de ce que l'Arenh a coûté pour EDF et, partant, pour le contribuable-consommateur.

Le président Schellenberger vous a interrogé sur la fermeture de Fessenheim. Quelles ont été les conditions de l'accord financier trouvé avec le Gouvernement ? M. Proglio a clairement sous-entendu hier que l'indemnisation prévue par cet accord ne correspondait pas à la valeur économique réelle d'une exploitation de Fessenheim pendant dix ans supplémentaires, a fortiori pendant vingt ans.

Au moment où vous avez quitté EDF, à quel stade le démantèlement de Fessenheim en était-il précisément ? Des étapes irréversibles ont-elles été franchies ? Si on le souhaitait, pourrait-on, dans un temps raisonnable – je laisse ce point à votre appréciation –, relancer Fessenheim d'une façon ou d'une autre ? Si on le faisait, ne pourrait-on pas à cette occasion réaliser les travaux nécessaires à la prolongation de la durée de vie des deux réacteurs jusqu'à soixante ans ? Ce serait une démonstration, dans des conditions réelles, de notre capacité technologique à passer à la prochaine échéance décennale.

Vous avez critiqué les perspectives de consommation retenues dans le rapport de RTE. Je me félicite que vous ayez donné pour votre part une échelle de consommation de 750 à 800 térawattheures en 2050, puisque cela correspond aux 770 à 820 térawattheures cités pour ce même horizon par le Rassemblement national lors de la dernière campagne présidentielle. Nous avons alors été les seuls à avancer un tel chiffre, sous les critiques et les ricanements de tous.

Au-delà de la consommation, quelle est votre analyse concernant la production ? Savez-vous ce qu'entend RTE par « paris technologiques » ? Personne n'est capable de nous dire ce que cela signifie. RTE a enterré les scénarios de maintien de la part du nucléaire à 60 %, à 70 %, voire à 80 %. Pourquoi ? Considérez-vous que c'est normal ? En tant que président-directeur général d'EDF, estimeriez-vous utile que RTE aille au bout de ces scénarios ?

D'après ce que le Gouvernement et RTE nous ont expliqué, la filière nucléaire considère elle-même qu'il serait impossible de maintenir une telle production d'ici à 2050. Or ce n'est pas ce que dit l'ensemble des acteurs de la filière, que je rencontre depuis de nombreuses années. Il semble que vous ne soyez pas non plus de cet avis. Selon un article de Géraldine Woessner publié dans Le Point, vous auriez déclaré « Je n'ai jamais dit cela », réagissant à l'affirmation selon laquelle la filière jugerait impossible de construire davantage de réacteurs. Confirmez-vous ces propos ?

Vous auriez ajouté : « Dans un monde idéal, un monde où les gouvernements successifs garderaient la même politique et cesseraient de faire du stop and go, on pourrait construire un réacteur par an entre 2035 et 2040, puis monter à deux réacteurs par an. On saurait le faire ! Il faut planifier les bureaux d'études, les besoins en génie civil, les lignes d'assemblage… Tout est possible. » Confirmez-vous ou infirmez-vous cette analyse ?

J'aimerais ensuite avoir quelques retours de chantiers.

S'agissant de Hinkley Point, la cour des comptes britannique a souligné les effets considérables des variations du coût du capital, c'est-à-dire du prix de l'argent prêté à l'opérateur pour la construction des réacteurs : s'il est très bas, de l'ordre de 2 %, le prix de l'électricité nucléaire produite par les EPR s'effondre. Il s'agit d'une information très intéressante et rarement commentée, qui pourrait intéresser la représentation nationale en vue d'établir le financement d'un éventuel nouveau plan nucléaire sur la base de taux d'intérêt proches de 2 % plutôt que du taux du marché.

Nous disposons de très peu d'informations sur ce qui s'est passé à Taishan. En avez-vous ? Les informations qui nous ont été transmises par la Chine vous semblent-elles crédibles ? D'éventuels problèmes de conception pourraient-ils avoir des conséquences sur l'EPR de Flamanville ou pour nos partenaires finlandais et britannique ?

L'EPR britannique a-t-il bien été simplifié pour ce qui est du design ? Est-il exact qu'il n'a plus grand-chose à voir avec, par exemple, l'EPR finlandais ?

Vous nous alertez sur le risque que fait courir l'interruption entre la fin du chantier de Flamanville et l'éventuel lancement par le Gouvernement de la construction de nouveaux réacteurs. Vous semble-t-il pertinent d'attendre un EPR 2 ? On nous présente la validation du premier design de l'EPR 2 comme une évidence. Or il y a aucune raison que ce soit le cas, vu les exigences dont l'ASN a coutume de faire preuve, le risque étant que la période d'interruption des constructions se prolonge encore. Pourquoi ne pas reprendre dans un premier temps le modèle du premier EPR avant de passer à l'EPR 2 ?

Il y a visiblement eu sous votre mandat une tentative de chantage de General Electric sur la maintenance des turbines Arabelle. Que s'est-il passé lors de la négociation de ces contrats ? Quelles ont été les conséquences sur la souveraineté française ? Ce que la presse a présenté comme une tentative de chantage a-t-elle abouti ? L'État a-t-il, à cette occasion, défendu EDF et la souveraineté française ? D'autres tentatives ont-elles été menées concernant la maintenance d'autres équipements de production électrique – je pense en particulier aux barrages, puisque General Electric a aussi hérité des turbines hydroélectriques ? Que pensez-vous de la nomination de Luc Rémont comme votre successeur, sachant qu'il va devoir à ce titre finaliser le rachat des turbines Arabelle alors qu'il avait participé à leur vente et sera par conséquent juge et partie de la même opération financière ? Cela vous semble-t-il normal ?

Vous avez évoqué tout à l'heure la possibilité d'exploiter des hydrocarbures en France afin de renforcer la souveraineté énergétique de notre pays. Pourriez-vous développer ce point ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion