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Intervention de Jean-Bernard Lévy

Réunion du mercredi 14 décembre 2022 à 17h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Jean-Bernard Lévy, ancien président-directeur général d'EDF :

En tout cas, je n'ai aucune raison de cacher les réponses que j'ai rédigées.

Il y a des compétences de deux natures très différentes : les compétences pour garder le parc en état, de façon qu'il puisse fonctionner correctement et répondre aux prescriptions de l'ASN, qui ont d'ailleurs été renforcées après l'accident de Fukushima et mises à jour avec la perspective de dépasser les quarante ans de durée de vie des réacteurs ; les compétences pour la construction de nouvelles centrales.

Je n'ai aucun doute qu'EDF avait, a et aura les compétences pour gérer son parc et pour répondre aux prescriptions que lui adresse l'ASN. C'est bien le cas : EDF a fait – avec, certes, parfois un peu de retard, parfois un peu d'avance – l'ensemble de ce que l'ASN lui avait demandé de faire, d'une part à la suite de l'accident de Fukushima, d'autre part pour prolonger au-delà de quarante ans la durée de vie des réacteurs. Il doit y avoir désormais six à huit réacteurs de 900 mégawatts qui ont été autorisés à redémarrer au-delà de ce seuil.

Il n'y a donc pas de doute sur le niveau de ces compétences. En revanche, se pose la question du volume des compétences : lorsqu'un problème générique touche un grand nombre de réacteurs, nous sommes limités par le nombre de personnes qualifiées dont nous disposons. Nous l'avons vu au moment où s'est posé le problème de la corrosion sous contrainte. Les équipes que j'ai interrogées m'ont alors dit que nous avions environ 100 soudeurs qualifiés à même de réparer les réacteurs – dans des conditions de radioactivité, vous le savez, difficiles – et que nous aurions pu aller plus vite avec 200. Comme nous ne les avions pas, nous avons paré au plus pressé : nous avons fait venir des soudeurs de l'étranger, qui n'avaient pas nécessairement exactement les mêmes qualifications ni les mêmes gestes, mais cela nous a évité d'attendre, nos soudeurs ne pouvant revenir sur un chantier avant un an révolu, compte tenu de la dosimétrie. Au moment où j'ai quitté EDF, il y a trois semaines, les réparations étaient terminées sur certains réacteurs, qui redémarraient donc ou allaient redémarrer.

Il est évident que, si nous avions été en train de construire de nouvelles centrales nucléaires, nous aurions disposé de dizaines de soudeurs supplémentaires : nous aurions pu les prélever sur les chantiers de construction pour les affecter pendant deux ou trois mois sur les chantiers de maintenance – les constructions neuves auraient attendu. En d'autres termes, nous avons les compétences mais nous n'avons pas assez de compétences. Il me semble avoir parlé à ce sujet d'un « manque de bras ».

Sur les compétences en matière de construction, je porte un jugement très différent de celui que je porte sur les compétences en matière de maintenance.

Nous avons construit le parc jusqu'en 2002, année de mise en service des derniers réacteurs. Ensuite, il a été décidé de construire l'EPR à Flamanville, en un exemplaire unique. Le chantier a démarré en 2007-2008 pour le génie civil. Sachant que les interventions des différents corps de métiers s'échelonnent sur une dizaine d'années, il s'est passé une quinzaine d'années entre le moment où tel corps de métier était sur les chantiers de Chooz et de Civaux et le moment où il était uniquement sur le chantier de Flamanville. Après Flamanville, il n'y a pas eu de nouvelle construction, ni immédiatement, ni au bout de cinq ans, ni au bout de dix ans ; cela fait désormais quinze ans.

Quel est aujourd'hui en France l'état de nos compétences en matière de construction ? Il faut savoir que le chantier de Flamanville est terminé : sur place, tous les systèmes sont prêts et tout a été nettoyé ; il y a simplement quelques réparations à faire, principalement des soudures défectueuses. Je rappelle qu'il s'est passé environ quinze ans entre la fin de la construction du parc actuel et le démarrage du chantier d'un réacteur unique à Flamanville, et qu'il se sera passé de nouveau une quinzaine d'années, voire près de vingt ans, avant que soit prise, je l'espère, la décision définitive de construire de nouveaux réacteurs. Le rapport de Jean-Martin Folz, rendu public fin 2019, exprime très bien cette préoccupation : il explique qu'il est nécessaire de remettre en marche une filière des métiers de la construction. Au moment où le rapport a été remis, cette filière était notoirement insuffisante.

Dans la foulée du rapport Folz, j'ai créé au sein d'EDF une nouvelle direction qui m'était directement rattachée et à la tête de laquelle j'ai nommé Alain Tranzer, expert industriel venant du monde de l'automobile – donc familier des hautes technologies et d'une très grande discipline dans la gestion de grands programmes, avec la volonté de sortir la voiture au bon moment, et non pas un an après les concurrents. Ce directeur, qui me rapportait directement, a lancé un plan intitulé « Excell » visant à améliorer le niveau des compétences et la qualité d'exécution des chantiers, principalement des nouveaux chantiers, mais aussi, le cas échéant, des chantiers sur le parc existant.

Le plan Excell est donc un grand programme de remontée des niveaux et des volumes de compétences, ainsi que de la qualité. Il est mis en œuvre au sein d'EDF mais en associant très largement les entreprises du secteur, regroupées au sein du Gifen – le Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire. Afin d'assurer la plus grande transparence, il fait l'objet d'une présentation annuelle au conseil d'administration d'EDF et, dans la foulée, d'une conférence de presse, de façon que l'ensemble du public soit informé de ses objectifs et de son avancement.

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