Le directeur financier a en effet démissionné dans les semaines qui ont suivi la préparation de la décision, mais le conseil d'administration, qui est souverain en la matière, a approuvé la construction et le financement des deux réacteurs d'Hinkley Point. Certaines voix se sont élevées contre cette décision, mais une majorité claire d'administrateurs l'a votée.
Le projet d'Hinkley Point revêtait une triple dimension : industrielle, économique et de financement.
En ce qui concerne la dimension industrielle, il m'est apparu très important, peu avant le Brexit, de consolider le soutien au nucléaire mais aussi à l'industrie française – EDF est le seul exploitant de centrales nucléaires au Royaume-Uni – que manifestaient depuis une bonne dizaine d'années les gouvernements britanniques tant travaillistes que conservateurs. Un grand pays de haute technologie a ainsi retenu la technologie française de l'EPR pour la construction de deux, et nous l'espérons bientôt quatre, réacteurs. C'est un signal important adressé à tous les pays qui s'interrogent : malgré le retard de Flamanville et les critiques sur notre propre territoire, un autre pays a fait le choix de l'EPR. Ce projet assure un plan de charge important pour les bureaux d'études dans lesquels des milliers d'ingénieurs travaillent encore sur Hinkley Point et pour les usines françaises – Framatome, General Electric, Orano et bien d'autres sous-traitants – dont le carnet de commandes, à la fin du chantier de Flamanville, pourrait peiner à se remplir. Pour toutes ces raisons, la dimension industrielle du projet fait consensus.
Sur le plan économique, mon prédécesseur a négocié un contrat pour différence, qui permet d'assurer, dans la plupart des cas, une belle rentabilité aux investisseurs que sont le partenaire chinois CGN (China General Nuclear Power Corporation) et EDF. Le prix d'achat garanti de l'électricité aux termes du contrat est critiqué par le National audit Office – la cour des comptes britannique – qui le juge trop généreux. Celui-ci étant de surcroît indexé sur l'inflation, nous bénéficierons de la hausse des prix de 10 % que connaît la Grande-Bretagne. Le chantier d'Hinkley Point n'est pas terminé – il a été mené à 60 % – mais sa rentabilité économique, bien qu'un peu érodée par des retards qui ne sont pas considérables, reste d'excellente facture.
Quant au financement, il s'agit d'une question délicate. Lorsque j'ai pris mes fonctions, la stratégie consistait à « déconsolider » le financement, c'est-à-dire à faire porter le financement en capital par un groupe d'investisseurs dans lequel EDF serait minoritaire, et par des prêteurs. Il ne m'a fallu que quelques semaines pour m'apercevoir que le projet qui m'était présenté par l'équipe précédente, dont faisait partie le directeur financier qui a démissionné, n'était fondé sur aucun engagement autre que celui du partenaire chinois – c'est d'ailleurs moi qui ai négocié la contribution de ce dernier à hauteur de 33,5 %. Il était si irréaliste qu'il ne pouvait pas, selon moi, voir le jour. Dès lors, la question se pose à EDF et à l'État actionnaire de savoir si l'entreprise doit financer le projet ou l'abandonner. Si elle veut assurer les deux tiers du financement, EDF doit supporter un endettement assez important pendant de nombreuses années avant de pouvoir percevoir les premières recettes tirées de la mise en service des réacteurs. Le débat a lieu avec l'Agence des participations de l'État et les responsables ministériels concernés. Il en ressort que l'État souhaite voir le chantier d'Hinkley Point mené à bien. Il votera en conséquence au sein du conseil d'administration.
Rétrospectivement, la décision, qui a été prise par le conseil d'administration en toute connaissance de cause, de poursuivre le projet était tout à fait indispensable – je persiste et signe.