L'intitulé de votre commission m'invite à me demander de quelle souveraineté et de quelle indépendance il est question. En effet, notre système électrique repose sur un marché de l'énergie régulé au niveau européen, accepté et transposé par la France depuis 1996. Le réseau de transport d'électricité maille l'ensemble de l'Europe continentale, couvrant trente-sept pays récemment rejoints par l'Ukraine et la Moldavie. Près de 430 interconnexions, dont 50 à partir de la France, permettent à ce réseau de fonctionner. Ainsi, de Lisbonne à Kiev, si nous ne partageons pas la même monnaie, nous partageons la même fréquence. Il s'agit d'une réussite européenne et d'un bel exemple de solidarité. Les électrons ne connaissent pas de frontières. Au contraire, ils transitent en permanence. Nous sommes donc encouragés à la résilience collective et à l'entraide électrique. Au-delà du fonctionnement du marché qui fait circuler les électrons, il existe en Europe des contrats d'aide mutuelle, qui sont actuellement activés.
Entre 2014 et 2019, la France présente un solde net d'exportation correspondant à la production de neuf réacteurs nucléaires, de 900 MW en moyenne. En 2022, le parc nucléaire produira autour de 280 TWh. La France sera importatrice nette pour la première fois au cours depuis quarante ans. En 2014, alors que notre parc nucléaire produisait 415 TWh, et que la France exportait 65 TWh – soit l'équivalent de la production d'une dizaine de réacteurs – nous n'avons connu aucune journée importatrice nette. La situation actuelle est donc exceptionnelle, la production du parc accusant une diminution de 35 % ou, si l'on fait abstraction de Fessenheim, de 31,6 % par rapport à 2005 qui était la meilleure année.
Sur le plan industriel, les problématiques qui se posent aux équipementiers fournisseurs à la fois des réseaux, mais aussi des centrales de production, ne peuvent se poser à la seule échelle nationale. Le marché français est en effet trop étroit.
Les filières de l'énergie s'inscrivent dans l'industrie du temps long, qui n'est pas toujours compatible avec des rythmes politiques de plus en plus courts. Premièrement, pour qu'un réseau de transport atteigne l'équilibre et pour éviter les coupures, il faut qu'autant d'électrons entrent et sortent du réseau chaque seconde. C'est la contrainte du temps réel, trop souvent oubliée lorsque certains émettent des prévisions en appliquant des moyennes annuelles. Par ailleurs, comparer les puissances installées de différents modes de production d'énergie en établissant des équivalences sans considérer leur réelle productivité, leur disponibilité ou leur puissance délivrée est une fable. Le facteur d'utilisation – ou facteur de charge – qui désigne le rapport entre l'énergie électrique produite pendant une période donnée et l'énergie qui aurait été produite si cette installation avait été exploitée en continu pendant la même période, est de l'ordre de 70 % pour le nucléaire. Ce facteur est plus élevé dans certains pays, mais le nucléaire français a la particularité d'être pilotable et modulable à la demande du réseau, ce qui pourrait partiellement expliquer l'usure de nos réacteurs. Le facteur d'utilisation s'élève à 22 % pour l'éolien terrestre, à 45 % pour l'éolien offshore et à environ 7 % pour le solaire. Ces pourcentages peuvent varier d'une année sur l'autre. Pour obtenir le même volume de production, il faut donc parfois jusqu'à dix fois plus de puissance installée, sans même tenir compte des aspects d'intermittence ou de disponibilité des différents parcs.
Imaginer que des installations de particuliers autonomes de production déconnectées du réseau seraient la panacée pour résoudre tous nos problèmes est une autre fable : évoquons seulement l'exemple de l'Île-de-France, qui ne produit que 5 % de ce qu'elle consomme.
J'en viens à la loi de 2015 qui proposait de porter la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2025. Pour rappel, le mégawatt est une unité de puissance qui désigne la capacité de production d'une installation électrique. Le mégawattheure correspond à la quantité d'énergie produite en une heure par un mégawatt. Toutefois, que concernent précisément les 50 % évoqués dans cette loi ? Trois acceptions sont possibles.
Selon la première, il s'agirait de la puissance nucléaire totale installée. Nous nous situons depuis plusieurs années en dessous du seuil des 50 %, puisque la puissance installée du nucléaire s'élève à 44 %, tout en représentant 69 % de la production. La deuxième acception estime que ce pourcentage vise la puissance installée nécessaire pour couvrir la consommation française dans le mix énergétique national, hors exportation et hors effet joule. Enfin, selon une dernière interprétation, il s'agirait de la part du nucléaire dans la production électrique globale, en prenant en compte l'exportation et l'effet joule.
La loi ne parle pas de la puissance installée pour définir la part du nucléaire à 50 % : elle vise la part du nucléaire dans la production d'électricité dans la politique énergétique nationale, comme le précise l'article L100 – 4 du code de l'énergie.
L'acception courante consiste à considérer qu'il s'agit bien de la production globale, mais une interprétation un peu spécieuse pourrait inviter à considérer que la politique énergétique nationale renvoie au mix électrique national. Or, la définition usuelle du mix électrique est la répartition des différentes sources d'énergie – nucléaire, charbon, pétrole, énergies renouvelables – utiles à la production de l'électricité pour répondre aux besoins d'une zone géographique. Je suis favorable à cette acception, car elle nous permet de raisonner autrement que comme si nous étions une péninsule électrique isolée en Europe ; mais force est de constater que ce n'est pas l'interprétation en vigueur.
En 2015, la France exporte l'équivalent de ce que produisent dix à onze réacteurs, et elle n'a connu aucune journée d'importation nette l'année précédente. Ce contexte donne le sentiment que des marges existent. Le seuil de 50 % est un marqueur politique qui fixe un horizon, rappelant qu'il n'est pas question de sortir du nucléaire, voire, de pouvoir s'en passer dans le mix électrique, et que nous ne devons pas nous retrouver dans une dépendance qui nous rendrait vulnérables. Il faut soutenir la montée en puissance des énergies renouvelables. Cependant, dans la loi, cet objectif était étroitement lié à d'autres, dont celui de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et de les diviser par quatre entre 1990 et 2050. Autrement dit, cet objectif n'autorise pas le remplacement du nucléaire par du thermique polluant. L'horizon des 50 % est d'autant moins normatif qu'il ne fait l'objet d'aucune trajectoire dans l'étude d'impact de la loi de 2015 ni dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) de 2016. L'idée d'un horizon faisait plutôt consensus à l'époque, mais la date à laquelle le fixer – 2025 ou 2030 – était davantage débattue.
La seule disposition normative toujours en vigueur de la loi de 2015 est le plafonnement à 63,2 GW de puissance installée maximale en capacité de production nucléaire. La PPE lie clairement les deux objectifs, puisque c'est l'application du plafond avec l'ouverture de l'EPR de Flamanville qui déclenche la fermeture de Fessenheim. Je répétais à l'époque que l'on fermait Fessenheim quand l'on ouvrait Flamanville, notamment lors d'un entretien sur Europe 1 avec Jean-Pierre Elkabbach le 25 novembre 2014. En commission des affaires économiques, alors présidée par Patrick Ollier, le 15 décembre 2004, Pierre Gadonneix, alors président d'EDF, confirmait le lancement de la tête de série du réacteur EPR, représentant un investissement de près de 3 milliards d'euros. Comme annoncé à l'époque, le financement de l'EPR – d'une puissance de 1 650 MW – ne posait pas de difficultés particulières. Le chantier devait démarrer en 2006 pour une mise en service en 2012. Comment imaginer en 2015 que Flamanville n'ouvrirait pas avant la fin du mandat 2017, encore moins en 2022 ? La responsabilité peut-elle être attribuée à la loi de 2015 ou à la loi de 2019 relative à l'énergie et au climat ? Des problèmes génériques de corrosion sous contraintes sur le parc le plus récent ont été découverts à l'occasion d'une visite décennale. Je n'ai aucune compétence pour estimer si ces phénomènes auraient pu être évités. Je constate simplement que l'examen préventif de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a joué son rôle et que l'opérateur en a immédiatement tiré les conclusions pour ausculter tous les réacteurs potentiellement concernés.
De même, si la loi 2015 – hypothèse peu probable – avait engagé le doublement du parc nucléaire, nous ne nous serions pas retrouvés dans une situation différente de celle que nous connaissons. Le temps nécessaire à la mise en route de nouveaux réacteurs est important. La puissance nucléaire installée produit 41 GW d'électricité. La crise actuelle n'a donc rien à voir avec la limite de 63,2 GW. Comment prétendre que la corrosion sous contrainte s'est développée parce que la part du nucléaire devait être réduite ? Les contrôles de l'ASN n'ont jamais baissé la garde. Il est d'ailleurs établi que le phénomène de corrosion sous contrainte ne résulte pas d'un défaut de maintenance, mais plutôt de la conception même des centrales nucléaires les plus récentes. Je ne crois pas à la thèse d'une défaillance de maintenance ou de vigilance résultant d'une trajectoire de diminution potentielle du parc. La trajectoire annoncée n'a jamais consisté à sortir du nucléaire. Le seuil des 63,2 GW offre une marge confortable pour fermer et ouvrir des centrales.
Comme les agriculteurs, les gestionnaires de réseau gardent l'œil rivé sur la météo. La température, la présence d'eau dans les barrages et de soleil sur le photovoltaïque, et la vitesse du vent dans les champs éoliens fondent l'essentiel de la prévision de l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité. Le reste de la prévision dépend de la dynamique industrielle et du comportement des ménages. Plus le besoin d'électricité s'accroît, plus la production doit être importante. Le seuil de 50 % doit donc aussi être appréhendé en fonction de l'évolution de la consommation d'électricité. Henri Proglio, alors président d'EDF, affirmait en 2014 qu'il était possible de porter la part du nucléaire à 50 % du mix électrique sans fermer de centrales. Or, la consommation d'électricité a plutôt stagné, ou légèrement diminué, ces dernières années. Toutefois, il est vrai que l'abandon progressif du pétrole et du gaz générera des transferts massifs de l'industrie et de la mobilité vers l'électricité – à une date qui reste encore incertaine. En parallèle, l'efficacité énergétique dans les bâtiments et les équipements permettra de gagner en sobriété. C'est à l'aune de cette nouvelle augmentation de la demande qu'il faudra reconsidérer l'impact du seuil de 50 % en valeur absolue. Par ailleurs, je ne suis pas certain que la France renonce à toute exportation d'électricité.
J'en viens maintenant à l'épisode de l'abandon de l'horizon 2025 pour les 50 %. Dans le bilan prévisionnel de RTE en 2017, publié sous ma présidence, et dans la PPE de 2019, c'est l'acception stricte du seuil de 50 % qui est retenue : elle considère la totalité de la production nucléaire en France, quel que soit l'usage qui en est fait, y compris les pertes de l'effet joule, l'exportation ou le pompage pour les stations de transfert d'énergie.
Pour autant, chaque scénario de RTE tient compte des exigences de l'équilibre constant entre l'offre et la demande. À ce titre, RTE signifiait dès 2016 que sans interconnexions, la France n'aurait pas les moyens d'assurer cet équilibre. Je ne regrette pas d'avoir assumé cette acception plus stricte qui offre une confrontation plus rude avec la réalité. En 2017, la presse commentait : « plus de deux ans après l'adoption de la loi de transition énergétique, le gouvernement prend acte que l'objectif de réduction du nucléaire à 50 % à l'horizon 2025 n'est pas atteignable sans augmenter significativement les émissions de CO2 du système électrique français. » Dans ma nouvelle fonction de président directeur de RTE, j'ai montré la grande difficulté à atteindre l'objectif fixé par la loi, interprété au sens strict, même si le terme d'horizon était assez vague. J'ai dû en expliquer les raisons au gouvernement, en particulier au ministre Nicolas Hulot.
Vous constaterez ainsi que RTE n'est pas aux ordres du pouvoir politique, mais qu'il est et reste un expert indépendant dans les analyses pour lesquelles la loi et les directives le missionnent. Le contexte de 2017 était très différent de celui de 2012. Alors que la perspective de mise en service de Flamanville restait éloignée, le parc montrait des signes d'indisponibilité croissante. Depuis la conception de la loi de 2015, près de 9 GW de production issue de centrales thermiques avaient été mis à l'arrêt en raison d'un manque de rentabilité, mais aussi de la pollution engendrée. La résilience collective européenne, en outre, avait été fragilisée par l'évolution concomitante et non concertée des mix électriques au sein des États souverains européens, qui ont tous engagé des démantèlements de centrales de production. Surtout, la trajectoire de montée en puissance des énergies renouvelables n'a pas du tout été respectée, en raison, notamment, de multiples recours contentieux contre les parcs et contre leur raccordement au réseau. À ce titre, le modèle économique des énergies renouvelables, qui était très critiqué à l'époque de la LTECV, reverse aujourd'hui à l'État des milliards d'euros qui permettent de financer le bouclier tarifaire. Or, un mix électrique comptant 50 % de nucléaire à cette échéance nécessitait la réouverture et la montée en puissance de moyens polluants comme le charbon, le gaz ou le fioul pour compenser la diminution du parc nucléaire, rendant inconciliables les deux objectifs associés de réduction du parc et de réduction des gaz à effet de serre. Il est difficile de reprocher au législateur de 2015 de ne pas avoir pu prévoir l'évolution de la situation. Mon seul regret est de ne pas avoir suggéré la sollicitation de RTE pour réaliser l'étude d'impact alors réalisée.
RTE est la seule entreprise en France continentale dont toute la population a besoin sur l'ensemble du territoire, à toute heure du jour et de la nuit. Il s'agit du plus gros gestionnaire de réseau de transport de l'Europe continentale. RTE est une entreprise de service public, qui d'une part, transporte l'électricité, et d'autre part, assure l'équilibre entre la production et la consommation d'électricité. C'est un opérateur d'intérêt vital et ses activités sont régulées dans l'intérêt des Français et du fonctionnement du marché. Son infrastructure est constituée de 106 000 kilomètres de réseau. Son chiffre d'affaires s'élève à 5,2 milliards en 2021. RTE rassemble 9 400 salariés très engagés, et plusieurs milliers de sous-traitants – ils étaient 8500 lorsque j'en étais le président. RTE, enfin, est présent dans une commune sur deux dans notre pays.
Monsieur le président, je m'étonne du mot « interdépendance » que vous avez employé. En effet, RTE est une entreprise indépendante. Selon les directives européennes, tout gestionnaire de réseau de transport doit être indépendant, notamment des producteurs – même s'ils sont actionnaires –, à tous les niveaux : juridique, économique, managérial, réputationnel et patrimonial. La loi du 9 août 2004 précise la séparation juridique de RTE et d'EDF. En application de cette loi, le 1er septembre 2005, RTE est devenu une société anonyme.
Lors de ma prise de fonctions chez RTE, ma première action a consisté à vérifier les investissements d'environ 40 millions d'euros réalisés pour assurer la sécurité d'approvisionnement de la plaque alsacienne en cas de fermeture de Fessenheim. La démonstration que m'avaient présentée mes équipes m'avait rassuré, mais je m'étais toutefois rendu sur place pour la vérifier.
Mon mandat a été marqué par l'entrée dans une phase de mutation historique sur le plan industriel. Nous sommes passés de quelques dizaines d'unités de production raccordées au réseau à plusieurs milliers en raison de l'ouverture du marché solaire et éolien. La puissance installée des énergies renouvelables hors hydraulique a presque doublé durant cette période. Cependant, leur production est dépendante du soleil, du vent et de la pluie. Nous devions donc gérer ces nouvelles flexibilités, en jouant sur l'effacement, le stockage, l'interruptibilité, ou encore la sobriété. Ecowatt était alors en phase de test. Pour gagner en flexibilité et en réactivité, nous devions intégrer le numérique à tous les niveaux de l'infrastructure sur le réseau, améliorer la cybersécurité et complexifier les prévisions en améliorant tous les logiciels gérant ces anticipations. J'ai donc aussi appris à cette période la dépendance à la météo : un degré de moins en hiver représente en effet 2400 MW de consommation supplémentaire.
Cette période était également caractérisée par la forte montée en puissance de grands chantiers d'interconnexion avec l'Angleterre, l'Italie, l'Espagne ou encore l'Irlande, sur des distances de plusieurs centaines de kilomètres et souvent sous la mer. Il fallait donc s'engager dans un processus de transformation de l'outil industriel, tout en continuant à gérer l'exigence du temps réel.
J'ai poursuivi l'objectif de réussite d'ouverture du capital, annoncée depuis longtemps, mais jamais réalisée, avec l'entrée de la Caisse des dépôts, à hauteur de 29,9 %, et de la CNP Assurance, pour 20 %. La part d'EDF s'élevait quant à elle à 50,1 %.
J'ai aussi souhaité donner plus de force au collectif de l'entreprise en expliquant le sens de cette mutation industrielle et en ne négligeant ni les fonctions internes ni le dialogue avec les organisations syndicales. Il a fallu envisager à l'époque la transformation d'un millier de postes de travail. Le projet est toujours en cours.
Je désirais également conforter le rôle de RTE comme un expert à la parole respectée et compréhensible pour tous les acteurs extérieurs à l'entreprise. L'article L141-8 du code de l'énergie en fait en effet une exigence.
Il me revenait en outre d'établir une relation durable de confiance avec le régulateur, déterminante pour que ce dernier nous appuie dans nos expérimentations en matière d'innovation sur le stockage. Je pense notamment aux projets Ringo ou Jupiter 1000, soutenu par GRTgaz, sur la production d'hydrogène à Fos-sur-Mer. Le régulateur nous a également aidés à obtenir des subventions européennes exceptionnelles, à hauteur de 530 millions pour développer la liaison Celtic avec l'Irlande et de 578 millions d'euros pour la liaison Golfe de Gascogne avec l'Espagne.
Mon cinquième objectif consistait à redonner à RTE une position de premier choix en Europe. Toutes les règles techniques – code de réseau, capacité et réalisation des interconnexions, calcul prévisionnel, organisation des marchés – sont régies par des dispositions décidées et régulées à l'échelle européenne. Dans ce contexte, il m'a semblé indispensable pour RTE de renforcer sa prééminence en Europe. C'est pourquoi, après avoir installé une antenne à Bruxelles, j'ai initié avec mon homologue italien un club des dirigeants des principaux gestionnaires de réseau de transport d'électricité en Europe, pour disposer d'une expression coordonnée face aux instances européennes. J'ai ensuite soutenu âprement l'élection de l'un de nos directeurs à la présidence de notre interprofession, le Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d'électricité (Entso-e). Son mandat a été reconduit, et il est toujours en poste actuellement.
Je souhaitais aussi faire valoir dans la durée le modèle de gestionnaire de réseau de transport lourd, selon lequel le même opérateur gère à la fois l'infrastructure et son exploitation. Le régulateur européen nous invitait plutôt à dissocier ces deux dimensions, ce qui aurait fragilisé notre efficacité et notre sûreté.
Mon septième objectif consistait à garantir la continuité de service pour les usagers dans tous les territoires en veillant à la sobriété du tarif lié au réseau de transport.
Je souhaitais par ailleurs évoquer les scénarios entre 2017 et 2020. La loi de 2015 traduisait un engagement politique – le rééquilibrage du mix – fondé sur la conviction technique que notre dépendance au nucléaire était trop forte. Cette loi se voulait surtout un signal pour accélérer le développement des renouvelables. Sur le nucléaire, le seul mécanisme opérationnel prévu par la loi de 2015 pour fermer les réacteurs est le plafond de 63,2 GW. Tout le reste est renvoyé à la future PPE. Or, la PPE de 2016 ne tranche rien sur le sujet. Elle ne précise pas comment atteindre le seuil de 50 %, et exécute le sujet en un paragraphe, en indiquant que certains réacteurs seront prolongés et d'autres fermés. Il n'existe donc pas de trajectoire, et nul n'a cherché à sortir de cette ambiguïté. Lors de ma prise de fonction, j'ai compris que RTE offrait la capacité technique d'analyse et de simulation fine pour intégrer l'ensemble des paramètres et exprimer la complétude des hypothèses. Cette démarche peut faire autorité, puisqu'il s'agit d'une mission légale. Durant mon mandat, j'ai donc encouragé le développement d'études prévisionnelles courageuses. Ainsi, en 2017, alors que personne encore n'avait clarifié les trajectoires possibles de fermeture des réacteurs, RTE a ouvert une consultation publique peu avant l'élection présidentielle et a élargi la concertation pour l'élaborer. Il s'agissait d'affronter le problème de la trajectoire et de calculer le bilan économique et le bilan CO2 des scénarios, sans aucun parti pris.
En novembre 2017, j'ai défendu les résultats techniques de l'étude, même s'ils ne pouvaient à cette date confirmer les hypothèses de la loi de 2015, ce qui m'a valu un certain nombre de critiques : j'aurais influé sur les analyses techniques pour qu'elles confirment les conclusions de loi de 2015. Je veux fermement dénoncer cette absurdité. Elle traduit d'abord une très mauvaise compréhension de la sociologie des organisations. Les bilans prévisionnels de RTE sont élaborés en transparence : les dirigeants de l'entreprise ne participent pas aux réunions de concertation et ne modifient pas les calculs des modèles. De plus, de telles critiquent font fi de la conclusion du bilan prévisionnel de 2017 et de ses retombées réelles. En effet, celui-ci a conduit quelques heures à peine après sa publication à un report de dix ans de la cible des 50 %. Ce n'était enfin pas un positionnement politique, mais une parole d'experts mandatés pour dire la vérité. Nous étions alors en 2017, à l'issue d'une campagne présidentielle qui avait réaffirmé l'objectif des 50 % à horizon 2025.
Le bilan prévisionnel de 2017 est ainsi une excellente preuve de l'indépendance de RTE, de son président et du caractère technique de ses analyses. Il montre que l'objectif de 50 % n'est pas atteignable à court terme, sauf à gravement perturber l'atteinte de nos objectifs climatiques. Il établit que les scénarios qui prolongent le plus de réacteurs sont les moins coûteux pour la France. Il alerte sur la durée de maintenance des réacteurs, et notamment l'accumulation des quatrièmes visites décennales. La prévision de consommation de ce bilan prévisionnel 2017 pour 2019-2021 s'est révélée entièrement juste. Certains nous disaient que la consommation allait très rapidement connaître une forte progression, ce qui n'a pas été le cas. Certes, les prévisions de consommation à long terme ne sont plus d'actualité aujourd'hui, car les politiques publiques ont changé. Elles nécessitaient donc d'être reprises dans un cadre plus large. Dès ma présidence, RTE a donc établi les scénarios pour 2050, qui ont été présentés par mon successeur. Chaque scénario intègre tous les critères qui en constituent sa cohérence. Il ne s'agit pas de prendre en considération des aspects déconnectés les uns les autres en fonction de la thèse que l'on veut défendre ou critiquer. Ainsi, contrairement à 2015, nous disposons aujourd'hui de scénarios définis avant la prise de décisions publiques sur le renouvellement du parc nucléaire ou le développement des énergies renouvelables, grâce au lancement d'un travail d'élargissement des études il y a cinq ans.
Je ne regrette pas que nous ayons élargi la concertation. S'y expriment des anti comme des pronucléaires. Chacun a en effet le droit d'être entendu.
Je ne regrette pas que nous ayons chiffré le coût de chaque scénario, même si la conclusion contredisait une partie de la loi de 2015.
Je ne regrette pas que l'étude soit transparente et publique. Le débat énergétique concerne tout le monde et les trajectoires d'évolution du parc nucléaire doivent pouvoir être débattues au grand jour.
Enfin, je ne regrette pas que nous ayons procédé par étapes. À partir de 2018, nous avons procédé pas à pas pour recréer du consensus. Si l'idée d'une augmentation de la consommation d'électricité suscite un large accord, c'est notamment grâce au travail que nous avons lancé en 2018 à l'horizon 2050.
Enfin, s'agissant des risques à court terme, les bilans prévisionnels publiés en 2018 2019 sous ma présidence sont très explicites. L'absence de marges du système entre 2021 et 2024 est clairement décrite dans tous les bilans prévisionnels. J'ai exprimé cette alerte, en parlant de forte vigilance et de haute surveillance dans mes points de presse. Nous avons écrit que la fermeture de Fessenheim aurait lieu en 2020, mais qu'elle aurait des effets sur la sécurité d'approvisionnement si elle n'était pas compensée par l'EPR de Flamanville à court terme, c'est-à-dire en 2021 au plus tard. Dès 2018, nous évoquions le maintien de centrales à charbon pour un certain nombre d'heures. Nous avons alerté sur l'indisponibilité croissante du parc nucléaire. Nous n'avions pas prévu la corrosion sous contrainte, mais la question documentée de l'importance de la résilience figure bien dans les bilans prévisionnels depuis mon mandat.
En conclusion, dès mon arrivée chez RTE, en accord avec les équipes, j'ai souhaité que l'exercice de présentation des bilans prévisionnels soit l'occasion de donner à voir, plutôt qu'une parole unique, plusieurs scénarios prospectifs solides, crédibles et largement discutés. Ils permettent ainsi aux acteurs et aux décideurs politiques de comprendre les incidences de leurs choix, et donnent lieu à un débat aussi rationnel possible sur des hypothèses embrassant de très larges problématiques sur des sujets potentiellement polémiques, tels que l'équilibre du réseau en intégrant l'échelle européenne, les risques liés à la non-exécution des projets industriels de production, l'impact en matière de CO2, l'innovation ou les incidences sur le modèle économique.
Mon sentiment est d'avoir contribué à dépassionner le débat, en rendant les documents prévisionnels publiés par RTE en vertu de ses missions légales plus utiles à la collectivité, car le débat sur l'énergie concerne toute la nation ainsi que l'Europe.