Avant tout, je tiens à vous faire part de la très grande tristesse de l'administration pénitentiaire face à un tel drame. Je souhaite également exprimer toute ma compassion à la famille d'Yvan Colonna, mais aussi à Mme Érignac et à ses enfants, dont la douleur a été ravivée par ce drame.
La mort d'un homme dans de telles circonstances est un échec et n'est pas acceptable. En tant que directeur de l'administration pénitentiaire, j'assume cet échec. Je rappelle que l'article 44 de la loi pénitentiaire de 2009, désormais intégrée au code pénitentiaire, impose à cette administration d'assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux et que même en l'absence de faute, l'administration pénitentiaire – l'État – est tenue de réparer le dommage résultant du décès d'un détenu causé par des violences commises au sein d'un établissement par un autre détenu.
Je rappelle que j'ai été auditionné quelques jours après cette terrible agression, qu'une instruction judiciaire est en cours et qu'une enquête administrative a été diligentée par le Premier ministre. Je vous confirme que les douze recommandations issues de ce rapport ont été mises en œuvre : six par le chef d'établissement d'Arles, quatre par la direction de l'administration pénitentiaire (DAP), une par mon collègue directeur des affaires criminelles et des grâces (DACG) et moi-même, une par la Première ministre consistant à auditer l'ensemble de la politique de lutte contre la radicalisation mise en œuvre par l'administration pénitentiaire.
Je vais répondre avec sincérité à l'ensemble de vos interrogations dans un souci de vérité et de transparence.
Je travaille au sein des services pénitentiaires depuis près de quarante ans, à différents postes opérationnels, en qualité de chef d'établissement, de directeur interrégional et de responsable en administration centrale. Je suis fier de ce parcours et de servir cette administration indispensable au bon fonctionnement de l'État, qui est trop peu connue et reconnue. Peu d'institutions ont autant évolué, se sont autant modernisées, ont autant vu leurs missions s'enrichir depuis une trentaine d'années.
La contribution de cette administration est essentielle à la sécurité de nos concitoyens, à l'équilibre parfois malmené de notre pacte social, à la défense des valeurs de notre République. Il est beaucoup demandé à cette administration. Des obligations de résultats lui sont assignées là où tout le reste a échoué : la famille, l'éducation, les services sociaux, l'hôpital. Les services pénitentiaires se trouvent au bout de la chaîne pénale, à l'extrémité du champ social. Derrière la prison, il n'y a parfois plus rien. Dans ce métier, nous travaillons sur de l'humain extrêmement compliqué et nous touchons à l'essence de la condition humaine, à la vie, et parfois à la mort.
Je tiens à rendre hommage à ces hommes et à ces femmes qui composent ce service public pénitentiaire, et qui tous les jours travaillent avec passion, discrétion et courage pour assurer notre sécurité. En 2022, 5 000 d'entre eux ont été agressés. Plusieurs morts ont été déplorées pendant la crise du covid. Ces agents ont été victimes de quatre attentats terroristes en détention, à Osny-Pontoise en 2016, à Vendin-le-Vieil en 2018, à Condé-sur-Sarthe puis au Havre en 2019.
Depuis que je suis devenu directeur de l'administration pénitentiaire, il y a pratiquement deux ans, je me suis efforcé de mettre en œuvre un certain nombre de missions prioritaires, dans un contexte rendu compliqué par la surpopulation importante, les difficultés d'attractivité d'un métier particulièrement difficile, la pandémie, les violences, l'augmentation croissante des profils à dimension psychiatrique.
Je me suis efforcé de porter la reconnaissance des missions et des métiers pénitentiaires. La société doit assumer ses prisons et ses services pénitentiaires. C'est une condition indispensable pour continuer à moderniser cette administration et à la rendre plus efficace. Je m'efforce également de promouvoir le droit, et de lutter contre toutes les formes de violence. J'ai travaillé l'année dernière à un grand plan de lutte contre les violences, que nous allons mettre en œuvre dès ce mois de janvier. J'ai aussi cherché à intensifier et à actualiser la lutte contre la radicalisation. Aucun autre pays européen n'a été confronté à une telle vague de radicalisation en prison ; aucun pays n'a eu à accueillir autant de terroristes et autant de personnes radicalisées que la France. Nous avons développé en accueillant ces détenus une doctrine qui me paraît équilibrée, qui a apporté un certain nombre de résultats, mais qui n'est pas infaillible.
Ces actions ont répondu à deux principes et à deux exigences. Le premier principe est celui de l'évaluation des politiques. Cette évaluation permet de corriger ou d'enrichir les politiques, parfois d'y renoncer quand elles ne sont pas pertinentes. Le deuxième principe est un ancrage revendiqué au terrain : je ne souhaite pas développer une administration pénitentiaire centrale, virtuelle, dont tous les indicateurs seraient « au vert », mais qui ne tiendrait pas compte de ce qui se passerait sur le terrain.
Je tiens ma légitimité du Président de la République, du garde des Sceaux, du Gouvernement ; je dois rendre compte de mon action devant le Parlement, appliquer la politique définie par ces instances, mais sans prisons, sans services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), il n'y aurait pas de direction de l'administration pénitentiaire. Il y a aussi une légitimité et une crédibilité de terrain à entretenir. J'ai donc souhaité que mes instructions soient les plus claires, les plus lisibles, les plus accessibles possible, pour qu'elles puissent être mises en œuvre sans difficulté sur le terrain. Vous aurez remarqué que l'ensemble des instructions concernant la gestion des DPS, la lutte contre la radicalisation, la doctrine d'armement ont été revues depuis que je suis directeur de l'administration pénitentiaire, et généralement simplifiées dans leur forme.
J'ai également souhaité adapter et enrichir les instructions que je donnais. S'agissant par exemple de la radicalisation, des éléments nouveaux sont apparus depuis deux ans : la prise en compte beaucoup plus importante de la libération de détenus terroristes avec le sujet de leur prise en charge à l'extérieur, en milieu ouvert ; la question de l'évaluation des femmes terroristes, qui ne sont pas des victimes – j'ai ouvert un QER pour femmes à Fresnes, et un quartier de prise en charge de la radicalisation pour femmes à Rennes ; enfin, depuis six mois, la question des returnees, dont beaucoup de femmes, sur lesquels j'ai donné un certain nombre d'instructions.
J'ai demandé à mes services d'animer les réseaux, de sorte qu'il y ait en permanence un lien, un contact entre l'administration centrale, les directions interrégionales, les établissements et les SPIP. Cette animation s'effectue par des réunions régulières de directeurs de maisons centrales, mais aussi par des réunions très régulières des responsables de missions de lutte contre la radicalisation au niveau interrégional.
Ce que je retiens de ces trente-huit ans d'expérience pénitentiaire ponctuées par un certain nombre d'événements difficiles, de drames – et celui-ci en est un –, c'est une grande modestie, une grande humilité. C'est dans cet état d'esprit que je répondrai à vos questions.