Madame Puglierini, nous nous sommes déjà rencontrés lors de votre audition libre devant la représentation nationale le 30 mars 2022. Depuis, vous avez été auditionnée dans le cadre de l'enquête de l'Inspection générale de la justice, dont les conclusions ont été publiées dans un rapport, et sont claires.
À votre arrivée en 2015 à la centrale d'Arles, vous êtes saluée par la presse pour votre longue expérience de l'administration pénitentiaire et votre extrême rigueur. Vous avez commencé votre carrière en 1989 au centre de détention de Tarascon, puis vous avez travaillé à Dijon, Besançon et Autun. Décorée du grade de chevalier de la Légion d'honneur en 2013, vous avez aussi été auditrice de l'Institut des hautes études de la défense nationale en 2006, et vous avez donc dirigé l'une des sept centrales de France, où les détenus sont très peu nombreux, par rapport par exemple à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis.
Ce qui frappe est le contraste entre cette expérience, et cette rigueur qui vous est attribuée, et les conclusions de l'Inspection générale de la justice suite à votre audition du 30 mars dernier.
Nous y lisons que vous avez présidé les commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) dangerosité qui, à quatre reprises, de février 2020 au 24 janvier 2022, ont à l'unanimité recommandé l'orientation de Franck Elong Abé en quartier d'évaluation de la radicalisation (QER), dans des termes qui interpellent, puisqu'en février 2020, deux mois avant la sortie d'isolement de Franck Elong Abé, la CPU soulignait par exemple qu'il voulait « mourir par le djihad » et « être grand par l'Islam ». Systématiquement, pourtant – ce qui est signalé comme un cas unique par une de vos adjointes –, vous êtes allée contre ces recommandations unanimes, et n'avez pas transmis à votre hiérarchie les comptes rendus de ces CPU. La seule qui lui ait été transmise ne l'a pas été de votre fait, mais par un officier du bureau de gestion, à la demande du chef de département de la DISP de Marseille, qui se demandait pourquoi les trois précédents comptes rendus n'avaient pas été transmis.
Pire encore, en audition libre devant la commission des lois, vous avez omis de mentionner les incidents commis par Franck Elong Abé, qui avaient donné lieu à quatre sanctions disciplinaires. Or, il s'agit quand même de l'agression d'un détenu, de l'agression d'un membre du personnel et de l'utilisation d'un bâton pour éteindre des éclairages, avec une tentative d'évasion. Vous nous avez au contraire présenté une personne courtoise, qui allait bien et qui discutait avec le personnel, afin de justifier son passage par pallier de l'isolement au quartier d'insertion, puis en détention ordinaire le 6 février 2021. De même, vous nous avez expliqué que Franck Elong Abé avait abandonné l'activité « jardins et espaces verts » parce qu'il y était trop absent, et qu'il avait selon vous reconnu lui-même que « cela ne lui convenait pas ». Or, nous avons su ensuite que, s'il avait abandonné cette activité, c'est parce qu'il avait frappé un détenu. Notre intime conviction est que vous nous avez masqué ces incidents dus à Franck Elong Abé lors de la commission du 30 mars.
Pourquoi donc n'avez-vous pas suivi les avis unanimes des CPU ? Pourquoi ne les avez-vous pas transmis à votre autorité ? Lorsque ces questions vous ont été posées par l'Inspection générale de la justice, vous avez convenu « avec une honnêteté déconcertante », selon les inspecteurs, ne pas avoir suivi ces avis, mais n'avez pas su l'expliquer.
Lors des CPU, vous aviez également trouvé à Franck Elong Abé des excuses, au regard de son parcours en isolement, de l'impossibilité de requalifier les faits en violences, etc.
Tout cela est-il le fait de votre seule gestion ? Aviez-vous reçu des instructions de la part de votre hiérarchie administrative, au sein de l'administration pénitentiaire, ou au niveau politique, pour gérer Franck Elong Abé d'une manière particulière ? Symétriquement, au regard du parcours d'Yvan Colonna et du refus de lever son statut de DPS, aviez-vous reçu des instructions de votre hiérarchie administrative ou au niveau politique pour gérer d'une manière particulièrement rigoureuse Yvan Colonna, en raison de l'acte qu'il avait commis ?
À ce jour, nous n'avons pas de réponse à ces questions, et nous souhaitons que vous les apportiez.