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Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Réunion du mercredi 11 janvier 2023 à 14h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva, président :

Mes chers collègues, mesdames et messieurs, avant toute chose je tenais à vous faire part de mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année en vous souhaitant, à vous et à vos proches, beaucoup de santé, de bonheur et de réussite. Comme on dit en Corse, pace è salute à tutti : paix et santé à tous.

Nous débutons aujourd'hui les travaux de la commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'Arles. L'agression atroce d'Yvan Colonna par l'un de ses codétenus, Franck Elong Abé, puis sa mort, des suites de ses blessures, le 21 mars 2022, ont suscité l'incompréhension, la sidération et la colère, non seulement en Corse, mais aussi en France entière, entraînant une large mobilisation, portée notamment par la jeunesse.

Un sentiment d'injustice prévaut encore à ce jour, parce que les arguments invoqués à l'appui du maintien du statut de détenu particulièrement signalé (DPS) pour Yvan Colonna, Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, était largement contesté, depuis de nombreuses années, au regard de leur parcours carcéral, par l'ensemble de la classe politique insulaire, ainsi que par de nombreux juristes et parlementaires. Une logique allant au-delà du droit semble s'être imposée les concernant, empêchant le rapprochement familial de ces détenus liés à l'assassinat du préfet Claude Érignac. Yvan Colonna ne voyait plus ses parents depuis quinze ans, et son jeune fils depuis au moins deux ans.

Condamné par la justice française après trois procès pour sa participation à cet assassinat, Yvan Colonna purgeait sa peine à Arles. Sa période de sûreté de dix-huit ans s'était achevée en juillet 2021, et il était donc susceptible de bénéficier d'aménagements de peine depuis cette date. Il n'aurait pas dû mourir des suites d'une agression commise en détention. S'il avait été rapproché au centre de détention de Borgo en temps et heure, il est évident qu'il n'aurait pas été victime de cette agression.

Aucun détenu ne devrait mourir dans de telles circonstances. L'article L.7 du code pénitentiaire dispose que : « L'administration pénitentiaire doit assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels ». Le 2 mars 2022, l'administration pénitentiaire a failli, d'autant plus que la seule conséquence réelle du maintien du statut de DPS est le devoir, pour cette administration, d'exercer une vigilance et une surveillance accrues à l'égard de tels détenus.

Le 6 mars 2022, le parquet national antiterroriste a ouvert une information judiciaire du chef de tentative d'assassinat en lien avec une entreprise terroriste. À la suite du décès d'Yvan Colonna, cette procédure a été étendue, par réquisitoire supplétif du 22 mars 2022, au chef d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste. À cet égard, et conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, notre commission d'enquête devra veiller, tout au long de ses travaux, à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l'autorité judiciaire. Néanmoins, son champ reste large, tant les zones d'ombre dans la genèse de ce drame sont grandes.

Ce point de procédure étant rappelé, il était naturel que nous commencions notre cycle d'auditions avec les deux chefs d'établissement qui se sont succédé à direction de la maison centrale d'Arles, peu de temps avant l'assassinat d'Yvan Colonna : Mme Corinne Puglierini, qui a dirigé l'établissement jusqu'en février 2022, puis M. Marc Ollier, qui a pris la tête de la maison centrale la veille de l'agression.

Le 30 mars 2022, la commission des lois de l'Assemblée nationale avait auditionné conjointement Mme Puglierini et M. Ollier. Cette audition, organisée quelques jours après le décès d'Yvan Colonna, avait permis de porter un certain nombre d'éléments à la connaissance de la représentation nationale et des citoyens, mais avait laissé subsister plusieurs zones d'ombres et imprécisions. Depuis, de nouveaux éléments ont été rapportés par la presse ou soulignés par l'Inspection générale de la justice (IGJ), dans son inspection de fonctionnement à la maison centrale d'Arles.

À la lumière des conclusions de cette inspection, nous avons été un certain nombre de parlementaires à nous étonner rétrospectivement que certaines procédures aient été relativisées, et certains faits essentiels à la recherche de la vérité gravement dissimulés, de manière systématique, par les personnes auditionnées le 30 mars 2022. Vous devrez, madame Puglierini, nous rendre compte des véritables raisons de cette attitude.

Nous devrons, pour notre part, nous efforcer d'identifier et d'analyser les dysfonctionnements graves, voire les collusions éventuelles, ayant conduit à cette issue tragique, et formuler le cas échéant les recommandations que nous jugerons nécessaires.

Dans cette perspective, la commission parlementaire s'intéressera particulièrement aux trois thèmes suivants. En premier lieu, l'enjeu de la détection de la radicalisation en milieu carcéral, et les défaillances qui se sont manifestées dans la prise en charge de l'agresseur d'Yvan Colonna, Franck Elong Abé, depuis son incarcération en France mais également, autant que possible, depuis son interception par les autorités américaines sur le théâtre de guerre en Afghanistan. En deuxième lieu, le statut de DPS, tel qu'il a été appliqué à Yvan Colonna – et, globalement, aux détenus liés à l'assassinat du préfet Claude Érignac – et à Franck Elong Abé, et les conditions de leur surveillance à la maison centrale d'Arles. Plus généralement, nous nous pencherons sur l'histoire de la gestion administrative et politique de ce statut et des contentieux afférents. Enfin, nous évaluerons la mise en œuvre effective des recommandations de la mission d'inspection précitée.

Nous accueillons donc maintenant Mme Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles, accompagnée de M. Jean-Paul Chapu, secrétaire général de la mission de contrôle interne.

Madame Puglierini, un questionnaire vous a préalablement été transmis par notre rapporteur, M. Marcangeli. Toutes les questions qu'il contient ne pourront pas être évoquées de manière exhaustive au cours de votre audition. C'est pourquoi je vous invite à nous communiquer ultérieurement vos réponses écrites, ainsi que toutes les informations que vous jugerez utiles pour notre commission d'enquête.

Les travaux de cette commission sont très attendus. Il n'est pas anodin que deux députés de la Corse s'engagent conjointement, par-delà leurs appartenances politiques, en tant que président et rapporteur, à coordonner et animer ces travaux, en lien avec les députés MM. Colombani et Castellani, qui, même s'ils ne sont pas membres de la commission d'enquête, seront présents aux auditions pour les conduire aussi loin que possible vers la justice et la vérité.

La situation de l'île n'est toujours pas apaisée. La paix, la démocratie et le dialogue en vue d'une solution politique globale pour la Corse et sa jeunesse doivent se nourrir de justice, et notre commission a pour mission d'éclairer les chemins qui y mènent, ainsi qu'à la compréhension mutuelle et la réconciliation qui en résultent naturellement. Je sais compter sur l'éthique, la responsabilité et la détermination des membres de la commission en ce sens.

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