Intervention de Colonel Romain Desjars de Keranrouë

Réunion du mercredi 30 novembre 2022 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Colonel Romain Desjars de Keranrouë, cellule stratégie politique de l'état-major de l'armée de l'Air et de l'espace :

Pour répondre à une question précédente, quelques frappes ont été réalisées par les Russes avec des missiles dits hypervéloces. Du point de vue technique, nous restons dubitatifs sur le caractère véritablement hypervéloce de ces engins, au-delà de l'effet d'annonce. C'est la première fois que c'est observé et il est difficile d'en tirer des conclusions définitives.

L'armée de l'air et de l'espace utilise environ 500 petits drones commerciaux et continue de monter en puissance dans ce domaine. Que ces engins soient armés ou non, il est essentiel qu'ils s'intègrent dans une structure de commandement et de contrôle. En effet, c'est en coordonnant l'action de ces engins qu'on peut véritablement obtenir un effet militaire. Une utilisation isolée n'aboutit à rien. L'unité ukrainienne Aerorozvidka, qui met en œuvre des drones portant des munitions et se déplace de nuit avec des quads, ne serait pas efficace si elle ne s'adossait pas aux moyens de renseignement qui permettent d'aiguiller les équipes. En tant que pilote de Reaper, je vous garantis que l'orientation et le renseignement recueilli en amont sont cruciaux.

Le domaine spatial est pleinement intégré dans les opérations des armées françaises, au sein du centre de planification et de conduite des opérations. Les horaires de l'opération Hamilton avaient ainsi été déterminés en fonction de ceux du passage de satellites, afin de disposer de renseignements récents en amont et de pouvoir évaluer de manière sûre l'efficacité du bombardement.

Le risque de produire des débris conduit à une forme de neutralisation mutuelle dans l'espace, même si la menace russe y est réelle : en détruisant un satellite de l'adversaire, on risque de détruire aussi les siens. Par ailleurs, la multiplication des acteurs civils conduit à une forme de redondance, et donc de résilience. Il est difficile de détruire un réseau de communication qui repose sur une constellation comme Starlink, constituée par de très nombreux petits satellites. L'importance des services spatiaux est sans doute une des leçons majeures du conflit en cours.

S'agissant des frappes stratégiques, on touche aux limites de l'analyse. Le général Sourovikine est à l'origine de cette nouvelle campagne. Il est connu pour sa propension à raser des villes et s'inscrit donc dans une stratégie douhétienne. Ce n'est pas le cas de la stratégie aérienne occidentale, qui vise à produire des effets par une analyse systémique des centres de gravité adverses. Les Russes apprennent de leurs erreurs. Ont-ils pour autant changé de doctrine ? Je n'en suis pas certain. Ils persévèrent dans une campagne stratégique dont ils espèrent qu'elle aura des effets. Mais il est douteux que cela corresponde aux standards occidentaux d'une campagne de frappes aériennes.

L'école douhétienne n'a jamais permis d'obtenir un changement stratégique et la résilience ukrainienne est forte. En revanche, on peut poser la question de celle de l'Occident, tant en ce qui concerne les livraisons de matériel que face aux coûts de l'énergie dans les mois à venir. La campagne de frappes sur les infrastructures ukrainiennes peut aussi atteindre la capacité de résilience des Occidentaux, par un « effet boomerang ». La question reste ouverte.

En ce qui concerne les stocks, je rappelle qu'en février, lors de la première campagne, alors que 400 missiles environ avaient été tirés, tout le monde considérait que Poutine avait épuisé ses stocks ; sauf qu'au mois d'octobre, une nouvelle campagne a débuté. Compte tenu de la profondeur géographique de la Russie et de sa capacité à produire des armements, même basiques, je ne parierais pas sur l'épuisement des stocks stratégiques russes.

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