Intervention de Colonel Frédéric Jordan

Réunion du mercredi 30 novembre 2022 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Colonel Frédéric Jordan, secrétaire général d'état-major du centre de doctrine et d'enseignement du commandement (CDEC) de l'armée de Terre :

L'armée de terre utilise près de 2 000 drones. Cela va des drones tactiques, comme le Patroller, aux mini-drones, comme le système de mini-drones de reconnaissance, et même jusqu'aux micro-drones Anafi. Nous nous équipons au maximum pour pouvoir « aller voir derrière la colline ». Nous nous interdisons de les bricoler, mais il n'est en revanche pas exclu d'armer le Patroller.

Les images d'attaques de drones que vous évoquez avaient déjà été observées au Haut-Karabagh ou face à Daech. Nous travaillons beaucoup sur les parades à cette sorte d'épée de Damoclès. Cela passe par une lutte anti-aérienne toutes armes rénovée, qui repose sur le camouflage, des déplacements constants, le guet et l'utilisation de fusils brouilleurs. Nous avons développé le système ARLAD (adaptation réactive pour la lutte anti-drones), qui associe un système de détection et un tourelleau téléopéré montés sur un véhicule de l'avant blindé, qui a été déployé au Sahel.

Des officiers de liaison de nos partenaires et alliés sont intégrés au sein du CDEC et nous échangeons beaucoup avec eux. Le général Givre, directeur du CDEC, a rencontré son homologue allemand il y a quinze jours. Nous avons reçu une délégation néerlandaise, qui a posé beaucoup de questions. Nous avons aussi discuté avec nos camarades espagnols et italiens, et sommes arrivés à peu près aux mêmes conclusions. Nous essayons d'échanger au maximum.

Certaines frappes qualifiées de stratégiques relèvent plutôt des frappes dans la grande profondeur tactique, qu'elles soient russes ou ukrainiennes. Les Ukrainiens, notamment avec des lance-roquettes Himars, visent les dépôts de munitions et les centres de commandement russes afin de réduire l'effet de l'artillerie sur le front. Quant aux frappes russes, elles ont pour objectif de limiter les bascules d'effort de l'armée ukrainienne. Cette dernière en effet, si elle compte 700 000 hommes, ne dispose pas d'équipements en quantité suffisante pour tous les équiper lors des offensives et elle est contrainte de procéder à des transports de matériel entre secteurs du front.

Non, le char n'est pas mort, mais il faut bien l'utiliser. Il est très vulnérable à l'arrêt – par exemple s'il est à cours de carburant – ou s'il n'est pas accompagné de son rideau d'infanterie – nous avons tous vu les chars russes entrer dans des villes et tomber dans des embuscades. Sa force, c'est d'être très mobile et de permettre de concentrer les efforts au bon endroit pour rompre le front. Après avoir mené une défense élastique au début du conflit, les Ukrainiens ont organisé des contre-attaques en septembre avec d'importantes unités blindées et mécanisées, dont la taille allait jusqu'à la brigade. En concentrant leurs feux, avec un rapport parfois de sept contre un, ils ont pu percer le dispositif russe, du côté de Lyman notamment, et en profiter dans la profondeur Le char reste donc un atout, à condition d'être utilisé dans le cadre d'un combat interarmes bien mené. Cela suppose une logistique efficace, en particulier une logistique de l'avant, avec des équipes légères et des véhicules capables de tracter les matériels en panne ou endommagés pour les réparer très vite, au plus près de la ligne de front. Les Russes ont abandonné beaucoup de blindés, parfois à la suite de mouvements de panique, mais aussi faute d'une logistique adaptée.

Quant à la question de l'hiver, sur le plan tactique, le gel va effectivement permettre à l'un ou l'autre des belligérants de relancer des actions et de tenter la rupture. En revanche, il est très difficile d'anticiper les réactions de la population face aux pénuries d'énergie. Mais l'histoire montre que les gens continuent de combattre y compris dans le dénuement le plus total. La famine sévit au Yémen depuis des années, et pourtant la guerre s'y poursuit.

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