Votre texte propose de lutter contre les déserts médicaux qui sont le résultat de la pénurie, totalement artificielle, de médecins généralistes, en donnant libre accès et en ouvrant la primo-prescription à trois catégories de professions paramédicales : infirmiers de pratique avancée, masseurs-kinésithérapeutes et orthophonistes.
Les Français nous disent « Pourquoi pas, si cela raccourcit les délais de prise en charge en court-circuitant les prescriptions d'un généraliste ? » Nous l'entendons parfaitement et nous ne supporterions pas qu'il soit dit que nous n'aidons pas à la disparition des déserts médicaux. Mais – son titre en témoigne – votre proposition de loi vise également à instaurer la confiance entre patients et soignants, et entre différents professionnels de santé, par une coordination sans faille.
Et là, les écueils sont nombreux. Les 1 700 IPA salariés et 50 libéraux – qui ont reçu une formation de cinq ans, suivie d'une spécialisation de trois ans – ont trouvé leur place dans des structures encadrées et coordonnées, au bénéfice de tous, semble-t-il, dès lors que la coordination avec le médecin traitant est totale. L'élargissement de leurs missions, sur le modèle de ce que vous proposez pour les cabinets dentaires, peut être efficace – Marine Le Pen ne disait pas autre chose dans son programme. Mais nous n'acceptons pas leur inclusion dans le dispositif des CPTS, structures mal définies où la coopération entre professionnels de santé est très aléatoire. Cela conditionnera sans doute une partie de notre vote.
Votre projet vise en réalité à transférer les petites urgences et les maladies chroniques stabilisées, soit 70 % de l'activité des généralistes, aux IPA. Pourtant, on impose aux généralistes dix ans d'études pour le même travail. Cherchez l'erreur ! Pourtant, on doit toujours demander conseil à son généraliste pour accéder à un spécialiste. Cherchez également l'erreur !
Les généralistes vont en tirer des conclusions, si j'ai bien entendu leurs propos. L'intégration des IPA aux CPTS risque d'entraîner le désengagement des généralistes, qui peuvent de surcroît inciter leurs patients à ne pas présenter leur dossier médical partagé. Que ferez-vous alors ?
Les masseurs-kinésithérapeutes, quant à eux, autre profession en tension, n'étudieront pas plus longtemps, mais pourront prescrire des radiographies – voire des examens d'imagerie par résonance magnétique (IRM) –, les lire, mais aussi prescrire des traitements, des injections ou du grand appareillage. Dans ce contexte, comment comprendre la dixième année d'études obligatoire pour les médecins généralistes ?
Nous comprenons l'urgence de l'accès direct, mais n'ouvrons pas la boîte de Pandore ! C'est d'ailleurs ce que nous disent les masseurs-kinésithérapeutes expérimentés, peut-être plus prudents que leurs jeunes collègues, et qui connaissent bien leurs compétences, mais aussi leurs limites.
Les orthophonistes – ô combien précieux face à la montée des difficultés d'apprentissage de nos enfants – sont souvent directement sollicités par les enseignants et les familles. Les plus anciens nous expliquent que des bilans regardés comme normaux aujourd'hui étaient considérés comme pathologiques il y a dix ans ; or il y va du développement neurocognitif, sensoriel, moteur et psychoaffectif des enfants. L'avis d'un médecin généraliste, voire celui d'un neuropédiatre, ne seraient-ils pas, dans ce cadre, nécessaires ?
Enfin, concernant les assistants dentaires, le transfert de tâches n'est guère que la confirmation d'un état de fait. L'unité de temps et de lieu d'un cabinet dentaire induit une coordination fructueuse. C'est la demande des deux parties ; nous y accéderons.
Mais, madame la rapporteure, vous l'avez avoué, cette proposition de loi n'est qu'une étape. Vous envisagez déjà un élargissement à tous les professionnels paramédicaux – podologues, psychomotriciens, etc. Vous organisez donc la balkanisation de la médecine générale, par un transfert complet des tâches, sur le modèle totalement inadapté du Grand Nord canadien, et de sa faible médicalisation.
Dès 2003, lorsque le rapport présenté par le professeur Yvon Berland a été publié, alors qu'il n'y avait aucune pénurie, la duplicité était claire : l'objectif était de financiariser le système de santé. Les honoraires n'étant pas revalorisés, les professions ne seront plus attractives et les structures deviendront la proie de grands groupes financiers.
Nous ne nous opposerons pas frontalement à l'attente des Français. Toutefois, conscients de la nécessité de préserver les compétences de notre médecine, nous aurions préféré la poursuite des expérimentations que vous aviez votées. En tout état de cause, nous irons dans le sens d'une réorganisation inventive, et respectueuse de tous, de notre système de santé.