Nous abordons ensemble l'examen d'une proposition de loi qui comporte des dispositions importantes pour accélérer le décloisonnement de notre système de santé.
L'esprit de ce texte, qui s'inscrit dans une démarche plus large, est celui d'une meilleure coopération entre les professionnels de santé, qui doit permettre, sans dégrader la qualité des soins, de libérer du temps médical et de faciliter l'accès à la santé pour nos concitoyens. La proposition de loi s'inscrit ainsi dans le cadre de la refondation de notre système de santé dont les grandes lignes ont été fixées par le Président de la République le 6 janvier 2023. Cette refondation que nous conduisons, François Braun et moi, est basée sur deux grands principes : une meilleure coordination de l'ensemble des acteurs du système de santé, à la ville comme à l'hôpital, et une adaptation territoriale de notre politique car s'il faut penser globalement, il faut agir localement.
La pandémie de covid-19 nous a tous profondément marqués. Tous les systèmes de santé du monde connaissent maintenant des difficultés, même si, collectivement, nous avons fait face à la situation : nous avons déployé des ressources et des moyens parfaitement inédits, inventé de nouvelles solutions et bâti des solidarités nouvelles. En effet, au cœur de toute crise se loge la possibilité d'en ressortir plus forts et de bâtir notre résilience sur les difficultés surmontées. Ainsi, nous sommes à un moment charnière pour notre système de santé. Il nous appartient de nous inscrire dans ce mouvement qui fait bouger les lignes et de tracer le chemin d'un système de santé où chaque professionnel trouve sa place, où le cadre d'une collaboration entre tous les professionnels de santé permet de mieux répondre aux besoins de nos concitoyens et de lutter contre toutes les inégalités d'accès à la santé.
Notre premier combat est en effet celui de l'accès à la santé : nous voulons prendre soin de nos concitoyens mais aussi de ceux qui les soignent. Notre ambition est de poursuivre avec énergie la lutte contre toutes les inégalités en matière de santé, qu'elles soient sociales, géographiques ou liées à une vulnérabilité particulière du fait du handicap ou du grand âge, par exemple. Je sais qu'il s'agit d'un combat partagé sur les bancs de cet hémicycle ; je sais que vous avez tous à cœur de trouver des solutions pour qu'aucun de nos concitoyens ne soit un laissé-pour-compte, sans accès aux soins.
Pour l'éviter, nous avons déjà collectivement agi. Le budget de la sécurité sociale pour 2023 comprend de nombreuses mesures opérationnelles et efficaces pour l'accès aux soins, dont certaines sont d'origine parlementaire et transpartisane. Parmi ces mesures, on compte la simplification des aides à l'installation, les expérimentations relatives à l'établissement de certificats de décès par les infirmiers ou les consultations avancées en zones sous-denses. En outre, nous faisons prendre à notre système de santé un virage préventif en instituant des rendez-vous de prévention tout au long de la vie, en instaurant la gratuité des préservatifs pour les moins de 26 ans, en améliorant le dépistage des infections sexuellement transmissibles et en élargissant les diagnostics néonataux.
Nous avons agi et nous continuons d'agir parce que notre système de protection sociale est fondé sur une promesse d'équité et de solidarité. De crise en crise, nous sommes bel et bien dans une situation de crise structurelle de l'accès à la santé, à laquelle il faut répondre par des changements profonds, en ville comme à l'hôpital.
Il y a bien sûr urgence à agir, mais il ne faut pas pour autant se précipiter et prendre des décisions sans en avoir évalué les conséquences à court, à moyen et surtout à long terme.
L'urgence, ce sont nos 657 000 concitoyens atteints de maladies chroniques qui n'ont pas accès à un médecin traitant ou à une équipe traitante. Il faut regarder cette réalité en face et ne pas la minimiser. Nous avons pris l'engagement que chacun d'entre eux se voie proposer une solution. Lors de son allocution à Corbeil-Essonnes le 6 janvier, le Président de la République a rappelé cette priorité d'action qui doit maintenant être adossée à des mesures immédiates.
L'urgence, c'est de mettre en adéquation les besoins de santé des Françaises et des Français avec une offre de soins qui est largement fragilisée. Bien entendu, nous avons déjà pris des mesures fortes, notamment pour renforcer nos effectifs. En ce qui concerne les médecins par exemple, la suppression du numerus clausus nous permettra à terme d'accroître le nombre de professionnels en exercice. Il nous faudra malheureusement attendre encore plusieurs années – environ huit ans – avant de constater sur le terrain les effets de cette mesure. Avec les régions, nous avons ajouté plus de 5 000 places dans les instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) et plus de 3 000 places dans les instituts de formation des aides-soignants (Ifas). Nous avons commencé à former des infirmiers et infirmières en pratique avancée, qui sont actuellement près de 2 000 ; les assistants médicaux sont près de 4 000.
Pour aller plus vite, car la situation l'exige, non seulement nous devons poursuivre le renforcement de nos effectifs, mais il nous faut également mobiliser tous les leviers permettant de gagner du temps médical pour nos soignants au service des patients.
C'est pour nos soignants que nous œuvrons. Nous voulons avancer dans la voie du renouvellement et de la diversité des pratiques et donner de nouvelles responsabilités ainsi que des perspectives de carrière à celles et ceux qui ont choisi de consacrer leur carrière aux autres. Ils nous le demandent. C'est un enjeu majeur pour fidéliser les professionnels, pour améliorer l'attractivité des métiers du soin et leur redonner du sens. Vous l'aurez compris, imaginer, créer et développer les nouveaux métiers de la santé, exercés par ceux qui soigneront les Français, répond à la double exigence de rénovation des carrières sanitaires et de renforcement de l'accès aux soins.
Nous nous y sommes attelés grâce aux leviers que constituent la pratique avancée, les partages et les délégations de compétences, qui doivent se déployer prioritairement dans des organisations territoriales collectives et coordonnées.
Je veux être claire : l'objectif n'est en aucun cas de mettre de côté le médecin généraliste ; je sais que ce souci est partagé par la rapporteure. Le médecin généraliste doit rester la pierre angulaire de notre système de santé. L'objectif est de renforcer la place centrale du médecin généraliste traitant et d'accroître encore et toujours le niveau de coopération entre les professions de santé pour mieux répondre aux besoins de santé.
Ayant suivi avec attention les débats en commission, j'ai entendu les questions émanant de tous les groupes sur le statut des infirmiers anesthésistes diplômés d'État (Iade) et je veux prendre quelques instants pour en parler. Le métier d'Iade, comme celui d'infirmier de bloc opératoire diplômé d'État (Ibode) et celui d'infirmière puéricultrice, est aussi spécifique que celui d'infirmier en pratique avancée, qui est plus récent. Pour chacun de ces métiers, il faut définir un cadre particulier d'exercice en pratique avancée. Ce cadre est appelé à se stabiliser en fonction des concertations que nous menons en associant les parties prenantes intéressées. Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR), rédigé par Jean Debeaupuis et Patrice Blémont, propose dans cette perspective de maintenir la notion de spécialité infirmière. Cette notion ancienne demeure structurante dans l'identité de ces professionnels, en France. Il y aura bien sûr des changements à opérer mais ils relèvent principalement du champ réglementaire. Les Iade, les Ibode et les puéricultrices ont une page essentielle à écrire dans ce que nous élaborons actuellement autour de la pratique avancée. Si certains parlementaires veulent être associés à ce travail, ils sont les bienvenus. Le décloisonnement de notre système de santé doit se faire selon une logique de responsabilité partagée, qui définit des droits et des devoirs.
Il est indispensable de trouver les voies qui nous permettront de mieux concilier le principe de liberté, qui structure l'exercice libéral et ne saurait être remis en cause, avec la nécessité d'un plus fort engagement territorial. Le Président de la République l'a dit lors de ses vœux aux acteurs de la santé : nous souhaitons qu'il y ait une part structurante de la rémunération qui repose sur des objectifs de santé publique à l'échelle d'un territoire. Je crois profondément que le médecin traitant assure un rôle central dans la réponse locale aux besoins de santé. Nous devons mieux reconnaître et mieux valoriser ce rôle qui consiste, pour un médecin, à s'engager pour ses patients en créant de la coopération à l'échelle de son territoire. Pour susciter et ancrer cet engagement, la solution n'est pas d'imposer la contrainte mais de susciter la confiance.
Dans le cadre d'une démarche collective pour la santé des Français, il nous faut encourager le plus grand nombre de médecins à s'engager au service de leurs patients et de leur territoire. Certains le font déjà ; ils doivent bénéficier d'une valorisation financière supérieure.
De quel type d'engagement parlons-nous ? Très concrètement, il s'agit, par exemple, d'accepter de prendre en charge des patients qui ne trouvent pas de médecin traitant, d'assurer des soins non programmés, de limiter le reste à charge pour les patients ou bien encore de proposer des parcours de prise en charge pluriprofessionnels à travers un exercice coordonné.
Nous souhaitons investir davantage de moyens, mais pour qu'ils soient efficaces, encore faut-il les investir au bon endroit : c'est l'objet du mécanisme d'engagement territorial, que nous proposons d'intégrer à la proposition de loi, et qui pourra être détaillé dans la prochaine convention médicale, en cours de négociation.
L'objet de votre proposition de loi, madame la rapporteure, est d'améliorer notre capacité à répondre aux besoins de santé en accordant aux professionnels notre confiance : je tiens à insister sur ce terme, car au regard de leur mobilisation et de leur engagement exemplaire, au quotidien comme dans les crises que nous traversons, nous leur devons cette confiance. Je vous remercie donc, madame la rapporteure, ainsi que l'ensemble des cosignataires du texte, pour cette proposition de loi qui s'inscrit dans la démarche que j'ai présentée, tendant à assurer une meilleure coopération et un exercice coordonné entre les professionnels de santé.
Depuis ma prise de fonctions, j'ai effectué près de cinquante déplacements dans tout le territoire. Chaque fois, j'ai rencontré des professionnels – y compris des jeunes professionnels – animés par une réelle vocation et une véritable ambition : il est de notre devoir d'attiser encore la flamme qui les anime, et non de l'éteindre ! Comme nous l'observons sur le terrain, les mesures que nous avons déjà prises en ce sens fonctionnent. La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2023 a élargi les compétences vaccinales des sages-femmes, infirmiers, pharmaciens et, grâce à un amendement parlementaire, des étudiants en médecine et pharmacie. Nous avons ainsi simplifié les parcours et multiplié les accès à la vaccination. En outre, le libre accès à la contraception d'urgence pour toutes les femmes en pharmacie, définitivement adopté le 23 décembre 2022, était en application dès le 1er janvier 2023.
En tant qu'ancienne parlementaire, j'ai à cœur que les décisions du législateur soient appliquées. Dans cette logique, le plafonnement des rémunérations en intérim adopté dans le cadre de la loi Rist, entrera en vigueur dès le printemps.
La montée en charge des infirmiers en pratique avancée, le déploiement d'assistants médicaux et bucco-dentaires et l'accès facilité aux kinésithérapeutes et orthophonistes dans le cadre d'un exercice coordonné pour le bien des patients, sont autant de mesures au service de l'amélioration de la prise en charge des patients. Pour le Gouvernement, la proposition de loi va donc dans le bon sens.
Optimiste raisonnée, je ne suis pas pour autant adepte d'angélisme : si je suis convaincue et déterminée, je suis également consciente des réalités et je sais que, sur ce chemin, nous devons prendre le temps d'avancer sans nous précipiter, en posant des limites claires, en définissant des cadres précis et en évaluant, au fil de l'eau, les décisions que nous prenons.
Le débat que vous avez eu en commission au sujet de la possibilité de permettre un accès direct aux professionnels exerçant au sein d'une CPTS en est une bonne illustration. Soyons honnêtes : le niveau de coopération au sein des 400 CPTS du territoire est inégal. À la suite de ce débat, plusieurs amendements, déposés par Mme la rapporteure, M. Valletoux et M. Colombani, visent à mieux définir les conditions de l'exercice coordonné – et donc de l'accès direct – dans le projet de la CPTS : le Gouvernement les soutiendra, car non seulement ils renforceront le développement des CPTS dans nos territoires, mais ils garantiront également la qualité et la sécurité des soins. Nous devons, collectivement, nous projeter dans une vision systémique de la réponse aux besoins de santé – une réponse dans laquelle chacun, à sa juste place, sera le plus efficace et le plus utile.
Pour réformer sans déformer ni abîmer, pour mobiliser sans contraindre, nous devons aussi faire confiance aux professionnels de santé et à leur capacité de s'approprier les nouveaux outils que nous mettons à leur disposition, territoire par territoire, dans une logique de coopération et de responsabilité territoriale.
Mesdames et messieurs les députés, nous sommes ici pour débattre et progresser dans la voie ouverte au service de la santé de nos concitoyens. Je salue le travail parlementaire qui a été mené sur le texte, et j'aurai à cœur de le montrer en émettant un avis favorable sur des amendements provenant de l'ensemble des bancs.