« Notre liberté dépend de la liberté de la presse et elle ne saurait être limitée sans être perdue. » Ces mots de Thomas Jefferson devraient nous guider. La liberté d'expression, la liberté de la presse sont des principes pour lesquels je me suis battue une grande partie de ma vie et que je défends bec et ongles, tant elles me semblent constituer l'indicateur essentiel, incontournable, d'une démocratie en bonne santé.
Alors évidemment, lorsqu'est présentée une proposition de résolution visant apparemment à les défendre, on ne peut qu'être tenté d'y souscrire. Mais à y regarder de plus près, il semble que l'engouement initial doive laisser place à une certaine retenue.
La présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, dans son discours sur l'état de l'Union donné le 15 septembre 2021 devant les députés européens, défendait la proposition de règlement établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur. L'objectif affiché était d'établir un cadre commun entre les États membres afin, assurait-on, de favoriser le bon fonctionnement du marché intérieur des médias et de mieux protéger le pluralisme et la liberté de la presse, en instaurant des normes minimales. À ce stade, la proposition doit encore être examinée par le Parlement européen et par le Conseil.
C'est sans surprise que le Gouvernement, souvent fort peu critique des injonctions bruxelloises, se montre favorable à la proposition de législation de la Commission européenne qui, soulignons-le tout de même, pose plusieurs questions – au point, d'ailleurs, que vous reconnaissez pudiquement le caractère perfectible du texte et que vous nous invitez, en guise de correctif, à adopter la présente proposition de résolution, dont nous savons qu'elle n'a en réalité qu'une portée juridique assez faible.
C'est ainsi que, cahin-caha, la Commission européenne et le Gouvernement assurent que l'adoption de ce texte débouchera sur davantage de pluralisme et d'information au sein de l'Union. Malgré ces bonnes intentions, pourtant, il est difficile d'ignorer que l'intervention de la Commission européenne au titre de sa compétence d'harmonisation du marché intérieur est contestée par plusieurs États membres. Deux assemblées parlementaires se sont déjà montrées hostiles à la proposition de la Commission, estimant qu'elle bafouait le principe de subsidiarité.
La première n'est autre que le Bundesrat allemand qui a adopté, le 25 novembre 2022, un avis motivé dans lequel il indique que, s'il partage la volonté de la Commission de préserver l'indépendance éditoriale et le pluralisme des médias au sein de l'Union européenne, il estime que la base légale invoquée n'est tout simplement pas pertinente. Pire encore, la proposition de la Commission lui semble porter atteinte non seulement à la souveraineté nationale, mais aussi aux principes de subsidiarité et de proportionnalité qui doivent encadrer l'action de l'Union. La commission des affaires européennes de la diète hongroise – même si je n'ignore pas que la liberté de la presse peut être rudement bousculée par M. Orbán – lui a emboîté le pas, le 29 novembre 2022, en adoptant un avis similaire au motif simple que la réglementation des médias ne constitue ni une compétence exclusive ni une compétence partagée de l'Union européenne, et que le choix d'un règlement d'application immédiate porte directement atteinte aux traditions réglementaires nationales.
Quant à nous, nous partageons tous, sur les bancs de cette assemblée, la volonté de protéger les médias et les journalistes. Mais comment ne pas être alertés quand, au cours des auditions menées par la commission, les journalistes eux-mêmes nous font part de leurs craintes de voir leurs libertés contrariées, pour ne pas dire restreintes ? Parce que la liberté de la presse française est l'une des mieux protégées au monde – à tel point que, malgré les pressions de certains, la France consacre même un droit au blasphème – on peut s'interroger sur ce que nous aurions à gagner à adopter un tel texte. On peut d'ailleurs légitimement se demander ce qui, de la liberté de la presse ou du marché intérieur, intéresse vraiment la Commission européenne. Si la logique marchande est un des moteurs de l'Union européenne, ne devrions-nous pas faire preuve d'une certaine réserve lorsque la liberté de la presse est en jeu ?
Pour ma part, je ferai plus qu'exprimer des réserves : je voterai contre cette proposition de résolution car je refuse que la liberté de la presse, un des piliers de notre société, ne s'étiole.