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Intervention de Estelle Youssouffa

Séance en hémicycle du mardi 17 janvier 2023 à 15h00
Proposition de législation européenne sur la liberté des médias — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEstelle Youssouffa :

Avant d'être élue députée, j'ai eu la chance d'exercer le métier de journaliste. J'ai eu l'occasion de travailler dans plusieurs rédactions en France et à l'international. Si je suis passée du côté obscur de la force en devenant élue, comme diraient certains de mes anciens collègues, je reste profondément attachée à la liberté de la presse et à sa défense.

Même si les députés du groupe LIOT choisissent de s'abstenir, ils souscrivent aux objectifs poursuivis par la Commission européenne. Ils approuvent ainsi les dispositions visant à améliorer la transparence actionnariale, à prémunir les médias contre l'ingérence politique, la surveillance étatique et l'espionnage, à améliorer la sécurité des journalistes ou à garantir l'indépendance des médias publics en matière de financement et de nomination de leurs dirigeants.

La proposition de résolution cherche à élargir l'ambition du futur règlement, notamment en ce qui concerne les obligations des plateformes numériques. Mais nous regrettons que le texte n'aille pas plus loin en matière de lutte contre la concentration des médias, alors que ce phénomène comporte un risque démocratique car il peut remettre en cause la crédibilité de l'information et le lien de confiance nécessaire entre médias et citoyens. Parallèlement, le rôle de certains médias dans la diffusion d'informations tronquées ou fausses nous inquiète profondément.

Depuis plusieurs décennies, la presse connaît une crise sans précédent : les mutations technologiques, le Far West de l'information en ligne et l'appétit des États et grands groupes à utiliser l'influence informationnelle s'ajoutent à une grande difficulté à construire des modèles économiques viables pour les médias, à fournir des garanties structurelles pour la protection des rédactions des influences économiques ou politiques. L'intelligence artificielle permet la création de contenus sans cerveaux humains et les algorithmes se jouent du libre arbitre au cœur de notre raisonnement. Les financiers ont choisi de parier sur les tubes et les contenants en délaissant l'investissement sur l'humain et l'éditorial.

Les vocations sont nombreuses. L'infobésité est une maladie qui nous guette tous. Or jamais la profession de journaliste n'a connu une telle précarité. Jamais les journalistes n'ont connu une telle pression qui se traduit souvent par une grande détresse individuelle dans les rédactions, un renouvellement du personnel inhumain, un stress intense, des licenciements, de moins en moins de moyens, un choc des générations et des ambitions.

La logique comptable a créé les « chargés de contenus » et construit la mutualisation des rédactions qui aboutit à l'uniformisation de l'information : nous lisons, écoutons, survolons à peu près tous la même chose. Concentrés sur la gratuité apparente des contenus financés par la promotion, nous refusons d'investir dans la presse indépendante et de reconnaître que l'information a un prix.

La proposition de la Commission européenne nous oblige à double titre : elle nous invite à être plus exigeants vis-à-vis de nos partenaires européens, mais ce faisant elle nous oblige aussi à adopter un comportement exemplaire en la matière. Et nous avons une réelle marge de progression puisque La France, terre de liberté, terre démocratique, berceau d'une presse ancienne, n'est que trente-quatrième dans le classement sur la liberté de la presse de Reporters sans frontières.

Nous pouvons, nous devons faire mieux pour offrir dans notre pays des garanties suffisantes pour assurer la liberté et l'indépendance de tous les médias. La suppression de la redevance nous conduit à nous interroger sur le mode de financement de France Télévisions et des rédactions de l'audiovisuel public. En outre-mer, la chaîne France Ô joue un rôle crucial et doit absolument être protégée pour garantir aux citoyens ultramarins une information locale plurielle, indépendante et riche. Les journalistes ont besoin de soutien. Nous sommes à leurs côtés.

Je ne saurais terminer mon propos sans adresser un message de solidarité aux journalistes qui risquent leur vie et sont emprisonnés ou menacés parce qu'ils nous informent et posent des questions indispensables. Nous devons soutenir les journalistes algériens de Radio M et de Maghreb Emergent et exiger la remise en liberté d'Ihsane El Kadi. Nous soutenons la journaliste biélorusse Maryna Zolatava, emprisonnée et accusée de terrorisme pour son travail. Nous soutenons les journalistes palestiniens qui ont été blessés par balle alors qu'ils couvraient une incursion des forces israéliennes à Naplouse. Nous soutenons le journaliste iranien Ehsan Pirbornash, condamné à dix-huit ans de prison pour avoir osé se moquer des religieux et soutenir les manifestations qui ont éclaté après la mort de Mahsa Amini. Il rejoint malheureusement les dizaines de journalistes iraniens emprisonnés ces derniers mois. Nous soutenons les rédacteurs en chef du site d'information Stand News, Chung Pui-kuen et Patrick Lam, qui sont accusés de publications séditieuses et risquent deux ans de prison à Hong Kong. Ils sont victimes de la violente campagne contre la liberté de la presse qui a accompagné la répression chinoise dans cette région.

Je le dis et le répète ici, à l'Assemblée nationale : sans la presse, point de démocratie ; sans journalistes, point de débat d'idées ni de citoyens informés. Soutenons la presse libre et indépendante – elle est indispensable.

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