Il y a au moins un point sur lequel nous pouvons être d'accord : tout le monde entend défendre la liberté de la presse, le pluralisme et la protection des sources des journalistes. Mais sont-ils en danger, en France ? La réponse est globalement non. Cela n'empêche pas de s'interroger sur la neutralité du service public, la concentration des médias ou la formation des journalistes, sans parler du droit voisin et du rôle des plateformes. Mais la proposition de législation européenne traite-t-elle de ces questions ? Je n'ai rien vu à ce sujet.
En fait, en lisant ce texte, on ne comprend pas où l'Union veut nous emmener. Quelle est sa philosophie ? Il s'agirait d'instaurer un cadre commun à l'ensemble des médias de l'Union européenne. Une nouvelle fois, les frontières, les États la dérangent ; il faut de l'uniformité, des clones, en quelque sorte ! On ne comprend pas très bien la finalité de tout cela.
Quelle est la situation en France ? Nous avons un large panel de journaux d'opinion. Dès lors, il ne nous paraît pas opportun de donner à l'Union européenne des armes nouvelles pour qu'elle centralise davantage encore les règles en vigueur. Du reste, on peut s'interroger sur sa légitimité pour légiférer dans le domaine culturel, car elle n'a pas de compétence en la matière et doit respecter le principe de subsidiarité. De fait, vous semblez l'oublier, chers collègues, dans les traités, les médias ne figurent pas parmi les compétences exclusives ou partagées de l'Union européenne.
Ainsi, la France pourrait être amenée à remettre en cause ses acquis en matière de pluralisme, construits au fil des années, pour y substituer un cadre européen moins protecteur, en particulier dans le secteur de la presse – c'est d'autant plus inquiétant que le cadre français est l'un de ceux qui garantissent le mieux le pluralisme en Europe. Certains l'ont bien compris ; je pense à des pays, comme l'Allemagne, ou au Sénat – nous en reparlerons –, qui posent un regard critique sur cette proposition de législation.
Par ailleurs, dans un entretien à Euractiv, Sabine Verheyen, présidente de la commission de la culture et de l'éducation du Parlement européen – qui est loin d'être une eurosceptique, vous me le concéderez –, se dit « profondément inquiète » de l'influence de la Commission dans le futur conseil européen des services de médias, qui doit remplacer l'actuel Erga. Elle refuse également l'idée d'imposer « des règles trop strictes au niveau européen » alors que certains acteurs allemands tiennent à leurs règles nationales actuelles.
Dans sa démonstration, l'Europe met en avant les attaques physiques dont peuvent être victimes des journalistes. C'est vrai, il y en a eu, de Malte aux Pays-Bas en passant par d'autres pays. Mais un texte européen est-il de nature à effrayer les mafias ? Qui plus est, l'Union veut protéger les médias contre les menaces de déstabilisation et d'ingérence de certains États. À qui pense-t-on ? Au Qatar ? Alors là, d'accord : banco ! Pas de problème, il faut y aller. Mais, avant de donner des leçons, il faut être soi-même irréprochable ; ce principe de base s'applique aussi au Parlement européen…
Je vous le demande, à vous qui, comme moi, tenez tant à l'exception culturelle française : pourquoi serions-nous contraints d'abandonner nos règles nationales et de mettre ainsi en danger nos entreprises du secteur face à une réglementation plus que floue ?
Le Sénat a admis qu'en se fondant uniquement sur l'article 114 du TFUE et en englobant tous les services de médias, y compris la presse écrite, la proposition de règlement postulerait l'existence, dans ce secteur, d'un marché à l'échelle de l'Union européenne. Or, nous le savons bien, le marché des médias est essentiellement structuré au niveau national, voire régional ou local. De ce fait, l'article 114 du TFUE n'offre pas une base juridique adéquate à une réglementation garantissant la diversité des contenus et la liberté éditoriale, notamment au sein des entreprises de médias. C'est pourquoi le Sénat estime que, dans sa rédaction actuelle, la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil n'est pas conforme au traité.
Notre lecture, purement juridique, face à la vision extrêmement politique de la Commission européenne, est la même que celle du Bundesrat allemand, qui a émis, à propos de cette proposition de législation, un avis sur le respect du principe de subsidiarité. Ce sera vraisemblablement aussi le cas d'autres parlements des États membres. Or, si un tiers des parlements nationaux adoptent cette position, la Commission devra se justifier et, si c'est le cas de plus de la moitié d'entre eux, elle devra revoir sa copie.
Vous souhaitez, par cette proposition de résolution européenne, conforter la mise en place du règlement européen sans remettre à aucun moment en cause sa légitimité juridique et politique. Votre acharnement à vouloir étendre la supranationalité de l'hydre européenne est sans limites !