Alors que le fossé entre citoyens et élus ne cesse de se creuser, ce texte a le mérite de poser des questions auxquelles nous ne pouvons plus nous soustraire. Mais débattre du mode du scrutin, c'est ne voir qu'une partie de la défiance des Français envers les institutions politiques. La rupture est profonde. Elle n'est pas nouvelle. Et l'abstention massive lors des dernières élections législatives dit clairement le désintérêt ou l'incompréhension des Français pour le travail législatif dont nous avons la charge.
Ne nous en déplaise, l'âge d'or du Parlement est bien loin et les assemblées n'inspirent désormais le plus souvent que dédain, irritation ou nostalgie. Alors méfions-nous des bonnes intentions. La refonte législative du mode de scrutin, telle qu'elle nous est proposée aujourd'hui, ne me convainc pas – de même que ne m'avait pas convaincue la proposition de Jean-Luc Mélenchon au mois d'avril 2021, qui visait à instaurer la proportionnelle intégrale au scrutin législatif.
L'élection des députés à la proportionnelle au niveau départemental pose en effet des difficultés qui ne peuvent être ignorées. Passer de la circonscription au département risque d'accentuer plus encore la distance qui existe entre élus et citoyens. Les citoyens souhaitent l'inverse de ce que prévoit cette proposition de loi : des élus ancrés, enracinés, proches, accessibles et auxquels ils peuvent s'identifier. On comprend pourquoi les maires sont et restent les élus préférés des Français.
Être député, c'est créer une histoire parfois intime avec ses concitoyens qui repose sur la confiance, le service, la disponibilité, le respect et l'écoute. Une circonscription, c'est un territoire bien déterminé. Ce qui fait la richesse de notre assemblée, c'est la diversité politique de ces territoires. J'ai souvent eu l'occasion de le dire lors de la précédente législature : l'instauration de la proportionnelle, c'est la prime aux partis politiques et aux appareils dans lesquels les Français peinent à se reconnaître et qu'ils se mettent même parfois à détester – non sans quelques raisons, convenons-en. C'est une réduction de l'offre de proximité au profit de listes anonymes. La proportionnelle intégrale, c'est la fin programmée des députés qui refusent d'adhérer à un parti. Or il serait bien dommage pour notre assemblée nationale – pardonnez ce plaidoyer pro domo – de se passer de la liberté d'expression de ces derniers !
Surtout, c'est le risque de voir des professionnels de la politique parachutés dans des territoires qu'ils ne connaissent pas. C'est le risque de fabriquer des élus hors-sol qui ne représenteraient qu'eux-mêmes. Ne nous méprenons pas : il ne s'agit pas non plus de tomber dans l'excès inverse, d'être des députés d'arrondissement qui sacrifieraient l'intérêt général à celui d'une circonscription.
L'adoption de cette proposition de loi créerait une nouvelle difficulté : dans les départements composés de grands centres urbains et de territoires ruraux, elle aurait pour effet mécanique d'affaiblir la représentativité des territoires que d'aucuns jugent périphériques. Ils ont déjà été largement affectés par la loi, dite Notre, portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui a créé des intercommunalités toujours plus grandes, toujours plus déconnectées des difficultés locales dont souffrent nos concitoyens.
Au-delà du mode de scrutin, il ne tient qu'à nous, parlementaires, d'être compris des Français et de revivifier des débats trop souvent soumis à une logique de parti et à un jeu politique. Il ne tient qu'à nous de sortir de l'artifice parlementaire et du gouvernement des couloirs. Il ne tient qu'à nous d'être présents sur le terrain et de chercher toujours à mieux répondre aux demandes qui nous sont adressées. Il ne tient qu'à nous d'être compris.
Pourtant, la nature de nos institutions doit faire l'objet d'un véritable débat de fond. Pourquoi, par exemple, ne pas rétablir le septennat présidentiel ou prendre en considération les votes blancs ? Pourquoi ne pas obliger les députés à avoir exercé un mandat d'élu local ? Pourquoi même ne pas transformer le mode de scrutin actuel en scrutin uninominal majoritaire, afin d'éviter le fameux front républicain qui n'a d'autre effet que de contourner la volonté des Français ? Autant de pistes qui doivent retenir notre attention.
Sans tomber dans une pseudo-morale souvent démagogique, il nous reste à vouloir, à faire en sorte que les quatre dernières années de ce mandat soient l'occasion de renouer avec un débat de qualité et de sincérité qui parlerait enfin largement aux Français.