Nous débattons cet après-midi des aides publiques aux entreprises qui, le plus souvent, accompagnent la création et le développement des entreprises, ou soutiennent des entreprises en difficulté. Ces aides représentant un montant de 140 milliards, il est parfaitement normal d'en évaluer la pertinence, d'autant que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a annoncé la semaine dernière qu'il présenterait un projet de loi visant à faire de la France la première nation industrielle verte d'Europe.
Une telle loi est nécessaire, tant notre pays souffre, à de trop rares exceptions près, d'un lent mouvement de désindustrialisation. Entre 1974 et aujourd'hui, la part de l'industrie dans le PIB a baissé de 25 % à 13,4 % et sa part dans l'emploi total a chuté de 25 % à 10,4 %. Les branches de l'industrie lourde, du textile et de la métallurgie, qui étaient autrefois les moteurs du développement des régions du Nord et de l'Est, ont quasiment disparu.
Cette tendance n'est pas propre à la France. On peut ainsi, schématiquement, dégager deux groupes de pays : d'une part, l'Allemagne, le Japon et la Corée du Sud, où la désindustrialisation a été contenue grâce à une montée en gamme des produits ; et, d'autre part, la France, le Royaume-Uni, les États-Unis ou l'Italie, où la désindustrialisation a été rapide. Ce mouvement s'est aggravé depuis les années 2000. Le taux de marge des industries françaises ne leur permet plus d'investir massivement et leurs produits se sont trouvés trop souvent déclassés. Seule la compétitivité-prix a pu être partiellement sauvegardée, moyennant des efforts sur les marges.
La conséquence majeure de ce phénomène est un effondrement des exportations, qui accroît le déficit de la balance commerciale. Concrètement, le renouveau industriel de la France passera par l'activation de deux leviers publics : la fiscalité et les aides directes aux entreprises, orientées en fonction de nos objectifs en matière de transition écologique, de développement et d'innovation. Le renouvellement des centrales nucléaires constituera une occasion majeure d'intensifier l'industrialisation des territoires concernés. Je pense par exemple, dans ma circonscription, au parc industriel de la plaine de l'Ain, qui s'est développé autour de la centrale nucléaire de Bugey, laquelle a joué un rôle de locomotive pour créer de la valeur ajoutée dans cette zone. En cette période de vœux, je forme d'ailleurs le souhait, monsieur le ministre délégué, qu'un EPR – réacteur pressurisé européen – de deuxième génération soit installé dans ce secteur et irrigue l'industrie locale pendant de très longues décennies.
Un rapport parlementaire paru en 2021 estimait à 1 847 le nombre d'aides aux entreprises existant en France, pour un montant de 140 milliards d'euros. Il ressort des travaux effectués dans le cadre de cette mission d'information que l'évaluation des aides publiques aux entreprises pourrait être améliorée et que la création d'un office parlementaire commun d'évaluation des aides publiques nationales aux entreprises permettrait aux parlementaires de contribuer, à leur niveau, à la lisibilité et à l'efficacité de la dépense publique.
L'autre versant est l'allégement de la fiscalité – une nécessité qui a bien été prise en considération par l'exécutif sous cette législature et la précédente, puisque l'impôt sur les sociétés a été ramené à 25 % et que la CVAE sera prochainement supprimée, pour ne mentionner que ces deux exemples. Les impôts de production représentent 4,5 % du PIB en France, contre 0,7 % en Allemagne. Les charges sociales sont en outre les principaux freins à la croissance. D'une part, les impôts de production agissent comme une taxe à l'exportation, puisqu'ils touchent les biens fabriqués localement mais pas les biens importés, à l'inverse de la TVA, qui s'applique à tous les produits. D'autre part, le coût du travail ne permet pas à la France de produire de manière compétitive. En raison des distorsions économiques qu'ils entraînent sur toute la chaîne de valeur, les impôts de production sont les plus nocifs. L'industrie, qui acquittait avant la crise 19,2 % de leur montant alors qu'elle n'est à l'origine que de 13,6 % de la valeur ajoutée créée, en est la première victime.
J'aimerais d'ailleurs appeler votre attention sur le cas particulier de la contribution sociale de solidarité des sociétés, dite C3S, qui empoisonne particulièrement la vie des entreprises puisqu'elle taxe le chiffre d'affaires et non la valeur ajoutée.
La C3S crée donc un effet de cascade dans la mesure où chaque produit est de nouveau taxé s'il entre dans la composition d'un autre produit plus abouti, confectionné par une autre entreprise. En ce sens, la C3S est une taxe sur la taxe qui peut inciter les sociétés à se tourner vers des fournisseurs étrangers. La C3S, dont le taux réel est estimé à 0,11 %, comporte cependant un effet prix moyen augmentant les coûts globaux des biens fabriqués de 0,19 %. En somme, elle opère comme un droit de douane négatif s'appliquant aux biens produits nationalement, au bénéfice de ceux qui sont fabriqués à l'étranger.
En conclusion, les dépenses fiscales et les aides publiques directes aux entreprises seront donc les deux leviers publics de notre réindustrialisation. Elles doivent être combinées pour nous permettre d'atteindre nos objectifs économiques, climatiques et sociaux.