Le cas du groupe Engie au cours des dernières décennies symbolise le long chemin de la perte de souveraineté énergétique de la France. Engie est l'héritier de Gaz de France, groupe public qui, depuis sa création en 1946, a permis de stabiliser l'approvisionnement en gaz de la France et des Français. La puissance publique et les contribuables français ont donc appuyé pendant près de six décennies le développement de Gaz de France, et la fusion de Gaz de France avec Suez, organisée en 2006 pour éviter l'OPA d'un groupe italien contre Suez, partait d'une préoccupation utile en vue de préserver un champion national.
Cependant, cette décision a dilué les participations de l'État dans ce nouvel ensemble, devenu Engie. Depuis lors, la stratégie de votre groupe a été peu à peu détournée de l'impératif de défense de la souveraineté énergétique de la France, au profit d'une logique avant tout financière. En voici, selon moi, les raisons.
Pour financer sa stratégie d'acquisitions internationales, votre groupe a vendu de nombreux actifs industriels stratégiques, notamment dans le secteur gazier. La filiale exploration et production du gaz d'Engie a été cédée au fonds britannique Neptune, en 2008 me semble-t-il. Dans l'amont gazier, les activités d'Engie dans le domaine du GNL, ou gaz naturel liquéfié, ont également été cédées à Total pour un peu plus de 1 milliard d'euros. Ces actifs, qui renforçaient l'approvisionnement énergétique de la France, ont été bradés au profit d'une stratégie illisible, fondée, en contrepartie, sur l'investissement dans des énergies renouvelables qui ne sont clairement pas à la hauteur en termes de capacité de production pour répondre aux besoins, notamment au besoin de sécurité d'approvisionnement électrique du pays. Cette stratégie illisible, qui était également fondée sur l'achat de gaz à des puissances étrangères comme la Norvège ou la Russie, les Pays-Bas, l'Algérie ou le Nigéria, s'est récemment confirmée lorsque vous avez signé, en mai dernier me semble-t-il, un contrat avec un groupe américain pour importer de fortes quantités de gaz de schiste jusqu'en 2041, avec l'appui du Gouvernement, qui refusait jusqu'alors, pour des motifs environnementaux, d'importer du gaz de schiste des États-Unis.
Engie a évidemment un rôle vital pour acheminer le gaz en France, mais pouvez-vous nous éclairer sur la stratégie globale de votre groupe, qui a renoncé à ses propres capacités d'exploration et de production de gaz pour se cantonner aux investissements dans des énergies renouvelables, inefficaces et insuffisantes, et dans l'achat de gaz provenant de puissances étrangères ? En quoi cette stratégie contribue-t-elle à ce qui nous intéresse dans le cadre de cette commission d'enquête, à savoir le renforcement de l'indépendance énergétique de la France ? À mes yeux, elle contribue plutôt, dans une logique privée, à dégrader notre souveraineté dans ce secteur et à nous rendre dépendants.