Intervention de Catherine MacGregor

Réunion du mardi 6 décembre 2022 à 16h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Catherine MacGregor, directrice générale du groupe Engie :

Je suis heureuse d'apporter la contribution d'Engie à votre réflexion sur le sujet ô combien stratégique de la souveraineté énergétique, que j'aime traduire en trois volets concrets : la sécurité d'approvisionnement, l'accès à l'énergie et le caractère abordable et décarboné de celle-ci. Pour être durable, la souveraineté énergétique doit inclure l'accès à une énergie de plus en plus décarbonée.

J'aimerais faire passer deux messages.

Premièrement, nous n'atteindrons la souveraineté énergétique telle que je viens de la définir qu'en nous appuyant sur un mix énergétique diversifié. Le bon sens veut clairement qu'on ne mette pas tous ses œufs dans le même panier.

Deuxièmement, la souveraineté énergétique s'appréhende à l'échelon national mais aussi à la maille européenne. Nous avons la chance d'avoir des réseaux intégrés pour le gaz et l'électricité, grâce auxquels, aujourd'hui, nous importons de l'électricité et exportons du gaz quotidiennement. Il s'agit d'une vraie force et d'une vraie valeur, sur laquelle il faut continuer à prendre appui.

Engie est un acteur majeur de l'énergie. Nous sommes un producteur d'électricité, qui est de plus en plus décarbonée. Nous faisons partie du paysage énergétique français et sommes issus d'une longue histoire. Nous sommes nés du rapprochement de Gaz de France et de Suez. L'État reste actionnaire à hauteur d'environ 24 %.

En France, nous sommes le deuxième fournisseur d'électricité et le premier fournisseur de gaz, pour lequel notre part de marché est d'environ 40 %. Nous ne produisons pas de gaz ; nous en achetons au prix du marché, puis nous le revendons au prix de ce même marché. Nous sommes le premier opérateur dans le solaire et l'éolien. Nous avons de grandes ambitions dans l'éolien en mer. Nous sommes très actifs dans la décarbonation de l'industrie, par le biais de nos clients, dont beaucoup sont de gros industriels.

En France, nous avons une forte présence, grâce à nos quelque 50 000 collaborateurs. Notre capacité installée était, en 2021, d'environ 12 gigawatts (GW), dont 8,5 en énergies renouvelables (ENR). En Europe, nous sommes numéro un dans la distribution et numéro deux dans le transport du gaz naturel. Nous comptons environ 28 000 collaborateurs dans les divers pays européens où nous opérons.

Quelques atouts nous distinguent de nos concurrents.

Nous cultivons un fort ancrage au cœur des territoires, que nous contribuons à développer, ce qui nous importe d'autant plus que nous sommes des acteurs volontaristes dans le domaine des ENR. Nous nous reposons beaucoup sur cet ancrage territorial.

Ainsi, nous avons développé, avec notre partenaire Bureau Veritas, un label de certification de notre méthode de développement des projets d'ENR, pour nous assurer de son exemplarité au regard de critères tels que nature, climat et implication des parties prenantes. Nous pensons que la réalisation de projets d'ENR est impossible sans leur bonne appropriation par les citoyens et les élus. Cette marque distinctive est source de fierté parmi les collaborateurs d'Engie.

Par ailleurs, nous avons conclu de nombreux contrats de concession de service public, notamment avec la Compagnie nationale du Rhône (CNR), la Société hydroélectrique du Midi (Shem), des réseaux de chaleur, tels que la Compagnie parisienne de chauffage urbain (CPCU), et de froid, tels que Fraîcheur de Paris, ainsi que des infrastructures gazières, dont j'aime rappeler qu'elles font partie du patrimoine industriel de la France et qu'elles jouent un rôle majeur depuis le début de la crise que nous vivons.

L'année 2022 a été hors normes à plusieurs égards. Engie a joué un rôle majeur dans la gestion de la crise que vivent la France et plus largement l'Europe.

S'agissant du gaz, nous avons diversifié nos approvisionnements en recourant à d'autres fournisseurs que les Russes. La France dépendait de Gazprom à hauteur d'environ 17 % de ses approvisionnements. Nous avons augmenté les importations de GNL en exploitant au maximum nos infrastructures gazières de transport, de distribution, d'importation et de stockage. Les volumes de gaz transportés ont augmenté de manière significative, à tel point qu'en octobre, GRTgaz, notre transporteur, a livré du gaz à l'Allemagne. Nous sommes parvenus à inverser les flux de gaz au sein de l'Europe.

Les terminaux méthaniers français ont fonctionné à des niveaux records. Engie a atteint sa capacité maximale de stockage grâce à l'engagement incroyable de nos collaborateurs, qui ont compris qu'il s'agissait d'une mission critique. Notre filiale Storengy est parvenue à un taux de remplissage record de 100 %, ce qui nous permet d'envisager l'hiver avec une relative sérénité. À l'échelle européenne, le taux de remplissage des stocks est de 93,5 %, ce qui est exceptionnel pour un début de mois de décembre. Nous aurons peut-être l'occasion d'évoquer l'hiver suivant, dont nous devrons relever collectivement les défis.

En plus d'assurer la sécurité des approvisionnements, nous avons beaucoup travaillé pour soutenir nos clients, particuliers comme entreprises. Nous avons contribué au bouclier tarifaire gaz naturel, lors de son établissement pour nos clients, par le biais d'une avance de trésorerie à l'État, à hauteur de 860 millions d'euros au premier semestre. Pour atténuer les difficultés de nos clients les plus précaires, nous avons abondé le chèque énergie, de façon ciblée, pour un coût de 90 millions.

Par ailleurs, nous avons ouvert un fonds de 60 millions pour aider les PME à contractualiser les énergies, dont la forte hausse des prix rendait difficile l'obtention des garanties nécessaires. Notre service client a été fortement mobilisé pour proposer les meilleures offres à notre portefeuille de clients, ce qui est d'autant plus remarquable qu'il était très difficile, pour un fournisseur, d'acheter des produits et des contrats à terme à la fin du mois d'août dernier.

Par ailleurs, nous avons partagé la valeur avec nos employés et nos collaborateurs. L'annonce de nos résultats à la fin du troisième trimestre de la présente année a été l'occasion d'attribuer à chaque collaborateur, partout dans le monde, une prime de 1 500 euros, qui sera versée avant la fin du mois de décembre.

Cette gestion très active de la crise nous a beaucoup occupés, sans réduire la force de notre engagement en faveur de l'accélération de la transition énergétique, qui fait partie de notre raison d'être, et qui est à nos yeux la meilleure réponse aux récents développements survenus dans le monde de l'énergie. Elle améliorera notre souveraineté énergétique grâce à l'adoption d'outils de production locaux.

Il ne s'agit ni d'autarcie ni d'autonomie, mais de développement de la capacité à produire de l'énergie localement, par des moyens de production locaux. Le nucléaire et l'hydroélectricité font partie de ce mix énergétique mais n'y suffiront pas. En la matière, chaque solution technologique a ses vulnérabilités. Il faut donc, en sus du nucléaire, investir massivement dans l'accélération du développement des ENR électriques et gazières. Chaque mégawatt développé de manière responsable est un investissement sans regret.

À l'échelle mondiale, le groupe Engie vise au niveau mondial une capacité de 50GW d'ENR d'ici à 2025 et de 80GW d'ici à 2030. À l'heure actuelle, elle est d'environ 37GW. Nous soutenons le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Dans ce domaine, la France accuse un retard que nous devons combler.

Les ENR doivent être complétées par des actifs offrant de la flexibilité, car elles sont intermittentes par nature. À l'heure actuelle, les centrales à gaz jouent ce rôle. Il faudra leur adjoindre, dans le mix énergétique du futur, le stockage d'énergie par batteries et les stations de pompage-turbinage. Il faut aussi travailler au développement du marché de la molécule verte, car la transition énergétique n'aura pas lieu sans un gaz, qu'il faudra décarboner. Le biométhane est très prometteur, ainsi que l'hydrogène et ses dérivés, à plus long terme.

La molécule verte est indispensable au mix énergétique décarboné, qui renforcera notre souveraineté énergétique, car elle constitue la seule solution pour décarboner l'industrie et la mobilité lourdes. Elle présente, de surcroît, une densité énergétique élevée, et peut être stockée et transportée, donc importée et exportée. Elle nous offrira la marge de sécurité dont nous avons tant besoin, comme le montre la tension actuelle des systèmes énergétiques européens.

Ce gaz décarboné présente l'intérêt d'être utilisable avec les infrastructures existantes, qui sont les meilleures en matière de coût comme d'acceptabilité. Engie a donc adopté une approche volontariste du développement du biométhane, notamment en France. Nous estimons qu'il peut représenter au moins 20 % de la consommation totale de gaz à l'horizon 2030. À cette date, nous en serons producteurs. Nous sommes aussi volontaristes s'agissant de l'utilisation de biométhane dans nos infrastructures gazières. Nous avons également des objectifs en matière de développement des capacités d'hydrogène vert, dans l'attente de la maturité du marché.

Il ne faut pas seulement accélérer la transition énergétique, il faut aussi prendre des mesures de sobriété et d'efficacité énergétiques. Sur ce point, nous soutenons le plan du Gouvernement. Chacun s'accorde à dire, me semble-t-il, qu'il s'agit d'un levier essentiel pour améliorer notre souveraineté énergétique.

En tout état de cause, nous ne pouvons pas opter pour l'autarcie. La France est plus forte si l'Europe est capable de surmonter les chocs énergétiques, comme le démontre la comparaison suivante : au troisième trimestre 2021, nous étions exportateurs nets d'environ 20 térawattheures (TWh) ; au troisième trimestre 2022, nous étions importateurs nets à hauteur de 10TWh. Les transferts d'énergie entre pays européens sont indispensables, ainsi que les réseaux intégrés de gaz et d'électricité qu'ils supposent.

Il ne faut pas céder aux sirènes du repli sur soi. Dans la réflexion sur l'évolution du marché européen de l'énergie, il faut d'emblée considérer que ce marché doit demeurer européen, et en envisager les règles à l'échelle européenne. S'agissant de la régulation de l'avenir de l'énergie, le leadership doit être français et européen.

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