Cette proposition de loi vise à instituer une présomption de légitime défense pour les forces de l'ordre. Vous n'êtes pas sans savoir, en effet, que les policiers et les gendarmes sont la cible d'atteintes récurrentes et de plus en plus violentes. En 2021, 83 432 policiers nationaux ou municipaux et gendarmes ont ainsi été victimes d'agressions, soit 228 par jour, et chaque année près d'un policier ou gendarme sur dix est victime de violences physiques. La violence est présente partout sur le territoire et elle vise particulièrement les femmes et les hommes qui assurent la sécurité des Français. Les sapeurs-pompiers n'échappent pas à ce fléau, puisqu'ils ont connu, en dix ans, une augmentation de 223 % des agressions à leur encontre, et il en est de même pour les médecins et les postiers, qui n'osent plus aller dans certaines banlieues de peur d'être agressés.
La légitime défense est une notion ancienne, puisque Cicéron y faisait déjà référence dans son Discours pour Milon. Il en est aussi question en droit international, dans la Charte des Nations unies et la Convention européenne des droits de l'homme. Néanmoins, le cadre juridique, notamment celui posé par l'article 122-5 du code pénal, est particulièrement strict pour les forces de l'ordre. Face à une agression injustifiée, actuelle et réelle, les forces de l'ordre sont autorisées à riposter de façon nécessaire, simultanée et proportionnée.
Il a fallu attendre les attentats de 2015 et 2016 pour faire évoluer la réglementation de l'usage des armes, alors que le problème était déjà connu, notamment le phénomène qu'on appelle amok – les tueries de masse commises par un individu, comme celle du conseil municipal de Nanterre en mars 2002, qui a fait huit morts, ou celle de Tours, en 2001, marquée par quatre morts. Une nouvelle réglementation de l'usage des armes a vu le jour en 2017, avec l'article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure. Cet article, après avoir posé deux conditions cumulatives, de stricte proportionnalité et d'absolue nécessité, autorise l'usage des armes par les policiers ou les gendarmes dans cinq cas : lorsque des atteintes à la vie sont portées contre eux ou une autre personne ; pour défendre des lieux qu'ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées, après deux sommations ; pour contraindre à s'arrêter, là aussi après deux sommations, des personnes qui échappent à leur garde et qui, dans leur fuite, peuvent perpétrer des atteintes à leur vie ou à celle d'autrui ; pour immobiliser un véhicule dont le conducteur n'obtempère pas à un ordre d'arrêt et qui, dans sa fuite, peut perpétrer des atteintes à leur vie ou à celle d'autrui ; dans le cas des « périples meurtriers » que nous connaissons bien en France.
À l'époque, de nombreuses voix disaient que les policiers et les gendarmes utiliseraient plus fréquemment leurs armes. Les chiffres communiqués par l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) et l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) font pourtant état d'une relative stabilité de leur usage. Les policiers et les gendarmes sont des professionnels. Ils ne se lèvent pas le matin en se demandant quelle arme ils vont pouvoir utiliser dans la journée ; leur priorité est, au contraire, de pouvoir rentrer chez eux, auprès de leur famille.
Il est totalement absurde de penser que cette proposition de loi donnerait aux forces de l'ordre un permis de tuer. Ce serait faire preuve d'idéologie, mais aussi de mépris et de méconnaissance totale de cette profession, qui recueille plus de 95 % d'opinions favorables chez les Français. Les policiers et les gendarmes sont, dans leur grande majorité, des mères et des pères de famille responsables. À partir du moment où une arme est utilisée, ils sont conscients de la responsabilité qui devient la leur, souvent en l'espace de quelques secondes. Ils savent qu'une épée de Damoclès restera au-dessus de leur tête pendant des mois, voire des années, alors qu'ils n'ont fait que se défendre ou défendre autrui. Ils appréhendent les conséquences judiciaires, car la seule présomption qu'ils connaissent est celle de culpabilité : c'est à eux de s'expliquer face à des agresseurs qui ne prennent jamais leurs responsabilités. Je me souviens de ces deux femmes gendarmes qui étaient intervenues lors d'un cambriolage à Collobrières, dans le Var, en 2012, et qui n'avaient pas osé tirer : le résultat est qu'elles ont toutes les deux perdu la vie. En 2011, à la préfecture de Bourges, une policière qui n'avait pas osé tirer est morte d'un coup de sabre.
Une présomption de légitime défense applicable aux policiers et gendarmes a été proposée à plusieurs reprises au cours des dernières années, en transcendant les clivages politiques et les réflexes partisans, notamment par la députée du Modem Maud Petit. Jacqueline Gourault, alors ministre auprès du ministre de l'intérieur, s'était alors dite ouverte à la réflexion. Éric Ciotti a également proposé la création d'une présomption de légitime défense.
Celle-ci existe déjà dans le code pénal, en son article 122-6, dans deux cas distincts : le fait de « repousser, de nuit, l'entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habitué » ; le fait de « se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence ». Le but est d'inverser la charge de la preuve : c'est aux agresseurs d'apporter des éléments prouvant que l'acte de défense ne respectait pas les fondamentaux de la légitime défense, c'est-à-dire une absolue nécessité et une stricte proportionnalité.
L'action défensive des membres des forces de l'ordre ne doit pas être mise sur le même plan que les actes commis par les agresseurs. La création d'une présomption simple de légitime défense n'a pas pour but de supprimer les règles de proportionnalité, de simultanéité et de nécessité. Elle vise à renforcer les outils procéduraux propres à garantir l'effectivité des moyens de défense auxquels peuvent avoir recours les policiers et les gendarmes dans le but de protéger plus efficacement leur intégrité et celle d'autrui.
Pour connaître parfaitement les forces de l'ordre, je peux vous dire que cette présomption est plébiscitée par de nombreux policiers et gendarmes. Ils ne la considèrent pas comme un permis de tirer, mais comme une reconnaissance de leurs difficultés, car ils sont tout le temps condamnés avant l'heure.
Chacun doit prendre ses responsabilités : puisque la quasi-totalité des parlementaires soutiennent les forces de l'ordre, les réarmer moralement serait une première victoire pour elles, dans une société qui bascule petit à petit dans l'hyperviolence.