« La réforme du système électoral peut se faire par la loi ordinaire, mais cette réforme aurait plus de conséquences politiques et une signification plus étendue que la révision de bien des articles de la Constitution ». Ces mots du doyen Georges Vedel doivent nous inviter à une discussion sérieuse, en laissant nos clivages de côté ; je sais que nous en sommes capables.
Notre proposition de loi (PPL), qui vise à mettre en place un scrutin proportionnel de liste au niveau départemental pour les élections législatives, relève bien de la loi ordinaire puisque l'article 34 de la Constitution dispose que « la loi fixe également les règles concernant le régime électoral des assemblées parlementaires ». Quant à l'article 24 de la Constitution, il n'impose au législateur qu'une seule contrainte : maintenir un suffrage direct, en opposition au mode d'élection des sénateurs.
Cette idée, le Rassemblement national la défend depuis longtemps, comme d'autres formations politiques. Sous la précédente législature, le Modem et la France insoumise ont déposé des propositions de loi en ce sens. Un peu plus loin dans le temps, cette proposition était la quarante-septième des 101 propositions du candidat François Mitterrand. Plus récemment, le Président de la République, après avoir soutenu l'intégration d'une dose de proportionnelle, s'est dit favorable à un système de proportionnelle intégrale. Il s'agissait d'ailleurs de l'un des rares points d'accord entre les deux candidats présents au second tour de l'élection présidentielle.
À l'exception des élections législatives de 1986 – dont le mode de scrutin inspire la présente proposition de loi –, la Ve République a toujours privilégié le scrutin majoritaire à deux tours. Ce n'est pourtant une évidence au regard ni de notre histoire, ni des pratiques de nos voisins.
Au cours de notre histoire, la IIIe République a connu une alternance entre scrutin majoritaire de liste et scrutin majoritaire uninominal. Sous la IVe République, le choix a été fait d'un scrutin proportionnel au niveau départemental, assorti d'une prime majoritaire à partir de 1951. Sous ces deux Républiques, les arrondissements ou les départements constituaient les circonscriptions, afin d'éviter les manipulations de découpage – de charcutage, pour certains – électoral, fréquemment pratiquées sous l'Empire et la Restauration.
En Europe, le mode de scrutin français constitue une exception. Hormis le Royaume-Uni, qui a adopté le scrutin uninominal à un tour – moins inégalitaire que le nôtre – tous les pays européens appliquent un mode de scrutin proportionnel ou mixte. Dans les scrutins mixtes, une dose de scrutin majoritaire vient corriger les imperfections de la proportionnelle, en améliorant la représentativité ou la stabilité du système électoral.
Ce caractère d'exception doit nous interpeller en ces temps où notre démocratie s'essouffle. Pour reprendre l'expression de Pierre Rosanvallon, nos compatriotes souffrent de « mal-représentation » ; ils ont le sentiment que leurs revendications sont invisibles. En 2017, alors que Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon avaient recueilli à eux deux 41 % des suffrages au premier tour de l'élection présidentielle, ils n'avaient obtenu que 4,3 % des sièges à l'Assemblée nationale. En 1993, le RPR avait obtenu 82 % des sièges en ayant recueilli seulement 40 % des voix. La surreprésentation du parti arrivé en tête est une constante sous la Ve République, et elle nourrit l'abstention. Tous les chercheurs que nous avons auditionnés s'accordent sur le fait que l'abstention trouve sa principale source dans la conviction des électeurs que leur vote ne sera pas pris en compte. Les études montrent ainsi que les électeurs de gauche se démobilisent dans les circonscriptions de droite et inversement.
Certes, cette conception utilitariste tranche avec celle de nos parents et grands-parents, qui considéraient le vote comme un devoir républicain et moral. Cependant, il nous faut prendre en compte cette évolution et entendre la volonté des Français d'avoir un parlement pluraliste avec une majorité relative.
Le scrutin majoritaire porte atteinte au pluralisme et à notre démocratie représentative. Il renforce le fait majoritaire alors même que la Constitution donne au Gouvernement les moyens de contraindre le Parlement, même en l'absence d'une majorité absolue. Cette inégalité électorale se double de lourdes conséquences financières, compte tenu de l'effet des élections législatives sur le financement des partis.
La proportionnelle peut réduire l'abstention et contribuer à rapprocher nos concitoyens de la vie démocratique. Elle redonnerait une chance à chaque parti d'obtenir un siège dans chaque département et les électeurs verraient davantage un intérêt à se déplacer. Selon une étude, le mode de scrutin proportionnel augmenterait la participation de 7,5 %, toutes choses restant égales par ailleurs. Nous y voyons l'opportunité d'engager un processus vertueux, qui donnerait au Parlement plus de légitimité et de force face au Gouvernement.
Il est urgent de prendre en considération le message que les Français nous envoient, élection après élection, en se déplaçant moins et en accordant leur vote à de nouveaux partis. Ils ont souhaité dépasser le clivage droite-gauche et les enquêtes d'opinion montrent qu'ils sont satisfaits de ce que le Président de la République ne dispose que d'une majorité relative. Nous devons nous adapter à cette nouvelle donne.
« Le mode de scrutin fait le pouvoir, c'est-à-dire qu'il fait la démocratie ou la tue », écrivait en 1947 Michel Debré, le père de la Ve République. Avec ce texte, nous pouvons donner un nouveau souffle à notre démocratie représentative.