Puisque vous disposiez du 49.3, à l'impitoyable tranchant, au moins auriez-vous pu prendre le risque de défendre vos positions, le temps d'écouter les nôtres ! Vous avez manqué de lucidité et de courage. En écho lointain à Beaumarchais, je dirai qu'il n'est que les petits hommes pour craindre les petits débats.
En définitive, parce qu'il est le fruit infertile d'un monologue gouvernemental, d'un tête-à-tête avec vous-même et avec vos certitudes, votre budget est un mauvais budget, qui ne répond ni à l'urgence démocratique, ni à l'urgence sociale, ni à l'urgence environnementale. Par-dessus tout, il est d'une redoutable et implacable injustice, que nous ne cesserons jamais de dénoncer.
Que les Français, par notre voix, sachent ceci : vous allez faire payer le « quoi qu'il en coûte » aux classes populaires et aux classes moyennes. Vous le leur ferez payer en réformant les retraites, l'assurance chômage, le RSA ; vous réaliserez des économies sur le dos des chômeurs, des retraités, des malades, de l'école, de l'hôpital, des fonctionnaires. La santé, justement, verra cette année son budget baisser de 0,6 % : adieu les largesses du Ségur de la santé !
Que dire de l'éducation nationale, sinon que vous y poursuivez l'œuvre funeste du blanquerisme ? Encore une fois, vous réduirez le nombre de fonctionnaires, comme si le manque de moyens n'était pas criant. Aux dépens des collectivités territoriales, vous réaliserez des économies sur le dos des services publics, des transports, des cantines scolaires, des centres de loisirs, des crèches municipales, c'est-à-dire sur le dos des plus modestes qui, d'une manière ou d'une autre, se trouvent toujours sacrifiés. Ce que vous prétendez donner d'une main, vous finissez toujours par le reprendre de l'autre. La retraite à 65 ans est en cela la pire des brutalités faites à celles et ceux qui n'ont que leur travail pour vivre.
Madame la Première ministre, vous jouez un jeu bien dangereux avec nos institutions. Vous n'aimez pas le débat : vous aimez la reddition. Seulement, le compromis est une méthode, que vous avez été incapable de construire. Faites vivre ce parlementarisme de fait, que les Français nous ont imposé ; faites vivre la démocratie !
« Lorsque les majorités craignent de voir leur programme disparaître dans une embuscade, lorsque les minorités sont obligées de veiller l'arme au poing pour défendre leurs droits les plus légitimes, le temps se consume en escarmouches misérables ; on passe sa vie à faire faction devant des tentes immobiles ; on tourne dans un cercle sans horizon et sans air ; personne n'ose aller en avant. Il n'y a plus de place pour ces grandes et nobles batailles d'idées qui donnent du butin même aux vaincus. » Voilà ce qu'écrivait Eugène Pierre en 1902. Cent vingt ans plus tard, nous en sommes toujours là.
Puisque vous avez quelques jours de repos, madame la Première ministre, méditez donc cette phrase de Jaurès : « La démocratie française n'est pas fatiguée de mouvement, elle est fatiguée d'immobilité. » Tout cela ne peut pas durer cinq ans !