Merci Monsieur le Président pour votre invitation. Prague a été un incontestable succès, un peu à la surprise de tout le monde. Il faut faire attention car un certain nombre de suspicions demeurent chez certains de nos partenaires et beaucoup s'interrogent sur la suite : comment transformer ce qui a été jusqu'à maintenant une plateforme de dialogue entre 44 États européens en une organisation plus structurée, concrète, pratique et opérationnelle ? Voici trois réflexions rapides.
La première : quelles sont les raisons de ce succès ? Il y a des raisons de circonstance : tout le monde attendait de la France qu'elle prenne le leadership de cette opération, mais elle a fait profil bas et a laissé tout le monde discuter. De plus, les institutions européennes ont été convaincues de laisser les autres parler. La Présidence tchèque a également très bien joué le jeu en laissant le plus d'ouverture et d'informalité à cette réunion. Il n'y a pas eu de communiqué final, et de ce fait, les 44 chefs de Etats et de gouvernement présents n'ont pas eu à se battre sur la rédaction d'un texte. Tous ceux qui se sont exprimés depuis ont mis en lumière la grande vertu de cette réunion : les chefs d'États étaient très libres de s'exprimer et n'étaient pas embarrassés par des questions de protocole ou de communiqué.
Deuxièmement, sur le fond, tout le monde était sur le même pied d'égalité. Il n'y a pas eu par exemple de distinction entre les membres de l'Union et les autres. Les thèmes à discuter faisaient l'objet d'un assez large accord. Par ailleurs, cet exercice n'a pas été rattaché au processus l'élargissement. Ceux qui pouvaient craindre que la CPE serve de salle d'attente ou d'alternative à l'élargissement ont été rassurés. Les décisions importantes concernant l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie ont été prises avant, et cela a libéré les participants d'une chape de plomb qui aurait pu peser durant la CPE. Enfin, l'informalité des débats et le fait qu'il n'y a pas réellement eu d'ordre du jour ni d'agenda ont été très appréciés.
Dernier point, il y a une unité autour de la guerre en Ukraine et du caractère inacceptable de l'invasion russe. Tout le monde partageait ce point de vue de cela a grandement facilité les débats.
Quels sont maintenant les risques devant nous ? Je voudrais en énumérer trois.
Tout d'abord, comment structure-t-on la suite des travaux de la PCE ? Comment est-ce qu'on la structure en termes de gouvernance, avec peut-être la création d'un secrétariat ? Dans le cadre qui a été fixé à Prague, avec la perspective de deux réunions par an, l'une présidée par un membre de l'Union, l'autre présidée par un pays non-membre, faut-il doter la CPE d'une administration propre ? Ensuite, quel contenu donner à la CPE ?
Autour de cette réflexion générale, j'identifie trois risques principaux : le premier, c'est celui de la bureaucratisation progressive. Nous avons bien connu cela après le début du G7 : comment éviter qu'un exercice de ce type ne devienne très rapidement un processus extrêmement formel et qui perd ce qui a fait le charme et l'intérêt de la réunion de Prague ? Deuxième risque, celui de la communautarisation, en d'autres termes le risque que ce processus soit progressivement repris en main par l'Union, ce qui pourrait conduire à perdre un certain nombre d'État en cours de route, comme par exemple la Grande-Bretagne qui a dit que si le processus venait à être pris en main par Bruxelles, elle se retirerait. Il en va de même pour la Turquie ou pour la Suisse. Troisième risque, celui de la différenciation. Nous sommes partis sur un pied d'égalité. À mesure que les choses vont avancer, est-ce qu'on ne verrait pas réapparaître les divisions entre les membres de l'Union et les autres, l'Union étant dotée de moyens législatifs, normatifs, opérationnels qui pourraient lui donner des pouvoirs grandissants au sein de cet édifice ? Il existe aussi un risque différenciation entre les grands et les petits pays.
Par ailleurs, les grandes questions de fond demeurent. Elles n'ont pas été abordées à ce stade et restent en arrière-plan, tout en risquant de ressurgir progressivement. La première est la volonté de restructurer notre espace continental européen. Va se poser très vite la question pour l'Union de son avenir et sa politique de voisinage. Le partenariat oriental est déjà un peu en déshérence puisque trois de ses bénéficiaires, la Moldavie, l'Ukraine et la Géorgie, entrent de manière différenciée dans le processus de l'adhésion. Cela posera la question des nouveaux instruments, des nouvelles règles de décision, mais laisse également de côté des pays comme la Biélorussie, qui est aujourd'hui totalement marginalisée dans le cadre de la guerre en Ukraine, mais aussi l'Arménie et l'Azerbaïdjan, dont il faudra bien leur trouver un cadre de partenariat avec l'Union qui ne pourra plus être la politique de voisinage habituelle, même si le système de Bruxelles, dans sa tendance habituelle, pense qu'on peut continuer à faire à vivre le partenariat oriental. Or les principaux intéressés disent déjà qu'ils ne veulent plus du partenariat oriental et pensent au contraire que la CPE pourra être le lieu où s'ébaucherait ce nouveau partenariat avec eux. J'ajoute à cela, et le président azéri l'a déjà dit, qu'il faudrait associer les pays d'Afrique du Nord et peut-être aller plus loin en réfléchissant aux pays d'Asie centrale, qui se rapprocheront davantage des frontières européennes dès lors que l'on procédera à de nouveaux élargissements. On voit donc bien que c'est cette énorme question du voisinage qui se pose, ainsi que le type de relations que nous voulons avoir avec les autres pays du continent européen.
Se pose également la question de la sécurité européenne, que la guerre en Ukraine a complètement remise en cause. Le système d'Helsinki a complètement disparu et il faudra tout rebâtir en fonction de la sortie de crise de la guerre en Ukraine. Il est beaucoup trop tôt pour en parler. Il demeure que lancer une réflexion avec nos partenaires de la CPE est peut-être une bonne manière de commencer. Se pose enfin la question de la présence, d'un côté, des États-Unis, et de l'autre, de la Russie. Les États-Unis sont restés étonnamment discrets quant à la CPE. Peut-être ont-ils pensé que le projet n'irait pas très loin, à la manière du projet de François Mitterrand de la confédération européenne. Le succès de la réunion de Prague a toutes les chances de ramener progressivement les États-Unis dans le jeu, et cette question se posera à mesure que la CPE avancera. Actuellement, il va de soi qu'il n'est pas question de discuter de la présence de la Russie au sein de la CPE. Le sommet de Prague a vu un consensus autour de la question russe et lorsque la guerre en Ukraine se terminera, il faudra bien se reposer la question de la place de la Russie. Peut-être que là encore, la CPA pourra être utile.