Le texte que nous examinons ce matin pourrait à première vue apparaître comme un énième accord de coopération. Il est pourtant d'une actualité brûlante. La semaine dernière, le président Bourlanges, que je salue, et moi-même étions aux côtés d'Emmanuel Macron dans le cadre de sa visite d'État aux États-Unis. Parmi les points évoqués dans la déclaration commune figure l'engagement des deux présidents à soutenir « les mécanismes de responsabilisation au niveau international, notamment la Cour pénale internationale » pour que « la Russie rende des comptes pour les atrocités et les crimes de guerre » commis en Ukraine « dont l'existence est largement attestée ».
Le procureur de la Cour pénale internationale, M. Karim Khan, s'est d'ailleurs très rapidement rendu en Ukraine pour collecter des preuves des atrocités commises sur les populations civiles. Ce travail indispensable se poursuit notamment grâce au soutien de la France qui a envoyé un magistrat pour soutenir cette initiative.
Je reviendrai un peu plus loin sur le cas ukrainien mais, d'une manière générale et dans le contexte actuel – où les discours relativistes et mensongers foisonnent –, il est plus que jamais indispensable de renforcer la légitimité et la reconnaissance de la Cour. C'est aussi l'un des enjeux du texte que nous examinons ce matin et qui nous appelle à nous prononcer sur l'approbation d'un accord entre la France et la Cour pénale internationale portant sur l'exécution des peines prononcées par la Cour.
Cet accord vise à donner un cadre juridique stable à l'éventuel transfèrement de personnes condamnées par la CPI dans une prison française, afin d'y purger leur peine. Si notre code de procédure pénale envisage déjà cette possibilité, l'accord prévoit un cadre légal commun à ces transfèrements, ce qui est préférable à la conclusion de nombreux accords ad hoc.
L'impact de cet accord ne remet en aucun cas en cause notre souveraineté. Il repose en effet sur le principe de double consentement. La France sera donc toujours libre de son choix d'accueillir ou non une personne condamnée. Le ministère de la justice et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères évalueront l'opportunité d'accueillir des détenus sur notre sol. Le nombre modeste de condamnations prononcées par la CPI – cinq condamnations définitives – doit également nous rassurer s'agissant de l'impact de cet accord.
Je rappelle que la France est l'un des 123 États parties au statut de Rome, ouvert à la signature en 1998 dans le but de créer une Cour pénale internationale, première et unique juridiction pénale à la fois permanente, internationale et à vocation universelle.
La CPI est compétente pour juger les principaux responsables des crimes internationaux les plus graves : génocides, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et, dans certains cas, crimes d'agression. Elle exclut la notion d'immunité, y compris pour les chefs d'État et de gouvernement.
Le travail de la Cour repose largement sur sa coopération avec les États parties. Aussi le principe de complémentarité impose-t-il que la CPI ne puisse poursuivre et juger des personnes que si les systèmes nationaux concernés n'ont pas engagé de telles poursuites ou ne sont pas en mesure de le faire. La CPI complète l'action des États plutôt que de se substituer à eux. Cette coopération s'observe notamment concernant les décisions relatives au budget de la Cour et la conclusion d'accords bilatéraux de coopération comme celui sur lequel j'ai eu l'honneur de travailler.
Au-delà de ces aspects techniques, la portée diplomatique fondamentale de l'accord renforce le leadership de la France, donc son influence en matière de politique étrangère. Particulièrement engagée dans l'élaboration du statut de Rome, la France reste l'un des pays qui collaborent le plus avec la Cour sur les plans matériel, financier, humain et diplomatique. L'approbation de cet accord confirmera cette dynamique.
La France est en effet le troisième contributeur au budget de la Cour pénale internationale. La nationalité française est aussi la plus représentée parmi les personnels de la Cour. Cette question de l'influence représente un enjeu indispensable car le français est, aux côtés de l'anglais, l'une des deux langues officielles de la CPI, ce qui n'est pas le cas de la plupart des autres juridictions internationales.
Toutes les personnes auditionnées – que je remercie pour leur apport précieux – me l'ont confirmé : en matière de droit international, notre langue et notre conception du droit d'inspiration civiliste perdent du terrain depuis plusieurs années. Si le système du common law, notamment la pratique du contradictoire, détermine les règles d'instruction d'un procès en matière de contentieux pénal international, l'influence de la France, depuis la création de la Cour, a été décisive s'agissant du rôle accordé aux victimes dans le procès puisqu'elle a permis la constitution de partie civile. La Cour joue d'ailleurs un rôle très important également en matière d'indemnisation des victimes.
Notre soutien résolu à la CPI ne nous empêche pas pour autant d'être en retrait sur certains sujets. Ainsi n'avons-nous pas ratifié – comme le Royaume-Uni et 35 % des États parties – les amendements de Kampala, qui prévoyaient d'étendre la compétence de la Cour pour y intégrer le crime d'agression, et que nous n'avons pas ratifiés. La France avait jugé trop large la définition retenue, avec un risque d'exposition pour la politique d'intervention extérieure de notre pays.
Notre droit reste également en retrait en matière de compétence universelle pour juger sur le sol national des ressortissants étrangers soupçonnés de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité. Si le préambule du statut de Rome énonce qu'« il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux », notre droit reste relativement prudent.
Comme nous l'avons rappelé en commission, la compétence universelle est assortie de plusieurs conditions restrictives : la poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu'à la requête du procureur, aucune juridiction ne doit avoir demandé la remise ou l'extradition de la personne, celle-ci doit avoir sa résidence habituelle en France et les faits doivent faire l'objet d'une double incrimination. Nous avons tout à gagner à ce que la réflexion reste ouverte s'agissant de l'assouplissement de ces critères. Une proposition de loi a notamment été déposée en juin par notre collègue Guillaume Gouffier Valente afin d'élargir la compétence extraterritoriale de nos juridictions nationales. Le président Bourlanges, qui s'exprimera probablement sur cette question tout à l'heure, me rappelait en commission qu'un travail sur ces verrous avait déjà été engagé par notre commission sous la précédente législature.
En nous exprimant en faveur de cet accord, nous réaffirmons également le soutien de la France à la Cour au moment où sonne l'heure d'un bilan pour l'institution, qui a fêté cette année ses vingt ans.
À première vue, il est facile de critiquer le bilan quantitatif de la Cour, qui n'a prononcé que cinq condamnations définitives et quatre acquittements mais, avec les années, les critiques dont elle a fait l'objet ont largement été entendues. Sur le plan de l'efficacité, il faut rappeler que si les procédures sont longues, le temps juridique n'est pas le temps politique. Sur le plan de la légitimité, des évolutions sont en cours, notamment concernant l'universalité de la CPI, critiquée il y a quelques années pour avoir ouvert des enquêtes qui portaient exclusivement sur le continent africain : les dix-sept enquêtes menées actuellement touchent tous les continents.
Mais gardons-nous d'être naïfs : le système international connaît des faiblesses et la CPI, qui est structurellement située au carrefour du juridique et de la géopolitique, n'est à l'abri ni des critiques, ni des instrumentalisations. C'est pourquoi un soutien renforcé des États parties est le meilleur moyen de consolider son indépendance et son efficacité. Cela est d'autant plus nécessaire que la Cour est aujourd'hui à un tournant de son histoire et sera jugée sur son rôle au regard de la situation en Ukraine. Ni la Russie ni l'Ukraine ne sont parties au statut de Rome, et pourtant la Cour est compétente pour enquêter car l'Ukraine a reconnu, par deux déclarations transmises en 2014 et en 2015, sa compétence en matière de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis sur son territoire depuis le 21 novembre 2013.
Étant donné la dimension éminemment politique du conflit actuel entre ces deux pays, le président ukrainien Zelensky a appelé de ses vœux à la création d'un tribunal spécial pour juger les crimes commis en Ukraine, ce qui la concurrencerait. Un tel tribunal serait compétent en matière de crime d'agression et pour juger les principaux responsables, dont Vladimir Poutine in abstentia, deux choses que la CPI n'est pas en mesure de faire. La semaine dernière, Ursula von der Leyen a déclaré que la Commission européenne était prête à travailler à l'élaboration d'un tel tribunal, tout en continuant à soutenir la CPI. La mobilisation internationale à laquelle notre pays participe nous donne l'assurance que l'Ukraine ne fera pas figure d'exception. Peu importe l'arbitrage final, mais la Cour, en appui des juridictions ukrainiennes, préexiste au conflit, ce qui la place plus à distance de tout risque d'instrumentalisation qu'un tribunal spécial. Les États qui ont saisi la Cour sont pour la plupart mobilisés matériellement et financièrement pour favoriser la lutte contre l'impunité des crimes commis en Ukraine. Nous devons dès à présent veiller à ce que toutes les enquêtes en cours concernant près de vingt pays puissent avancer dans de bonnes conditions, sous peine de remettre en cause sa légitimité.
Mes chers collègues, j'espère vous avoir convaincus de l'importance de l'approbation de cet accord, à la fois pour notre pays et son influence et, bien sûr, pour la lutte contre l'impunité des crimes de guerre dans le monde.
Je conclurai en rappelant que Robert Badinter, que j'ai eu la chance d'auditionner et auquel je rends hommage, a eu un rôle absolument fondamental dans la création de cette cour. Il estime que c'est un très grand progrès que l'instauration de la CPI pour lutter contre l'impunité des bourreaux de l'humanité ; même si ce n'est pas sans créer des problèmes, il vaut toujours mieux avancer et nous heurter à de nouvelles difficultés. Je crois que l'approbation de cet accord nous permet d'avancer encore un peu plus dans la lutte contre l'impunité des criminels de guerre et, ainsi, de ne pas nous résoudre à l'insupportable banalité du mal sur laquelle nous alertait déjà Hannah Harendt.