Elle est une nécessité, enfin, car de nombreuses difficultés que nous rencontrons aujourd'hui dans l'Hexagone découlent des faiblesses du cadre européen. Je pense notamment à l'importance des mouvements secondaires des demandeurs d'asile dits dublinés. Alors que les arrivées de migrants et de réfugiés sur le sol européen repartent à la hausse dans un contexte géopolitique instable – 90 000 migrants pour l'année en cours, en ne tenant compte que de la Méditerranée centrale –, une réponse européenne est possible. Face à l'afflux de réfugiés le plus important depuis la seconde guerre mondiale, déclenché par l'agression russe en Ukraine, l'Union européenne a montré qu'elle pouvait agir efficacement en activant, en mars 2022, le dispositif de protection temporaire.
Toutefois, il s'agit d'une exception. Il faut l'admettre, depuis la crise de l'accueil des réfugiés de 2015, les États membres de l'Union européenne ont trop souvent présenté un front désuni. Le refus par l'Italie, en violation de tous les principes du droit, d'accueillir l'Ocean Viking, en constitue un nouvel et regrettable exemple, comme a pu l'être le refus de toute solidarité européenne de la part de la Hongrie et d'autres pays de l'Union.
Ces divisions et les faiblesses de notre politique commune remettent en cause l'État de droit en matière d'asile, comme en témoigne le sort de certains réfugiés et migrants qui se retrouvent à la rue, dans des parcs et des abris de fortune. Dans le même temps, ces divisions européennes nous affaiblissent collectivement, car elles remettent en cause notre souveraineté en nous rendant vulnérables aux tentatives de déstabilisation menées par des régimes pour certains autoritaires. Ces derniers n'ont pas de scrupules à instrumentaliser des situations humanitaires dramatiques, comme on l'a observé en Libye ou lors de l'attaque hybride orchestrée à l'automne dernier par la Biélorussie, avec le soutien de la Russie, aux frontières orientales de l'Union.
Par ailleurs, notre incapacité à nous entendre collectivement sur la gestion des frontières et la prise en charge des demandeurs d'asile fragilise aussi notre édifice démocratique en faisant le jeu de l'extrême droite en Europe et du Rassemblement national en France, les uns et les autres n'ayant rien à proposer sinon le repli identitaire au mépris des vies humaines qui se brisent en Méditerranée. Nous savons que si nous répondons collectivement au défi migratoire, en respectant nos valeurs et notre droit, nous leur enlèverons leur principal carburant électoral.
Qu'a proposé le Rassemblement national au cours du débat de ce jour ? Rien, si ce n'est la politique du refoulement et de la violence, ce qui en dit long sur leur projet migratoire qui consiste, par cynisme, à laisser dériver en mer les migrants et les réfugiés, à criminaliser les ONG qui protègent des vies, le tout en expliquant que la véritable humanité serait la fermeté. Cynisme et mépris.
C'est pourquoi nous avons besoin, plus que jamais, de définir une approche européenne commune et harmonisée des politiques migratoires et d'intensifier nos efforts pour permettre l'adoption de la réforme du cadre européen sans laquelle les effets de nos politiques nationales demeureront nécessairement limités. C'est ainsi que nous pourrons bâtir une politique européenne équilibrée entre nos valeurs humanistes et de solidarité, à l'égard des réfugiés mais aussi des pays de première entrée, et un contrôle effectif de nos frontières extérieures pour prévenir l'immigration illégale.
Je tiens à saluer ici les avancées permises par la présidence française de l'Union européenne sur ce sujet. En plus des progrès obtenus sur les négociations des textes législatifs du Pacte sur la migration et l'asile, la France a joué un rôle moteur en permettant l'adoption d'un mécanisme volontaire de relocalisation par treize États membres. Celui-ci traduit en actes la solidarité européenne en matière de prise en charge des demandeurs d'asile et constitue une première étape avant la création d'un mécanisme similaire de solidarité obligatoire dans le cadre de la réforme du Pacte.
Je le répète, l'Union peut être la clef pour surmonter les difficultés que nous rencontrons, sans naïveté, mais dans le respect de nos valeurs d'humanité et dans un juste équilibre entre responsabilité et solidarité européenne. Ayons conscience que nous sommes en bien meilleure position pour faire face aux défis migratoires aujourd'hui qu'en 2015 ou 2016. Nous disposons de ressources, d'instruments, mais aussi, désormais, d'une volonté politique. Dès lors, nous ne pouvons plus attendre pour nous doter d'un cadre de migration européen à l'épreuve du temps, qui ne réponde pas simplement à l'urgence, lorsque des navires arrivent sur nos côtes.
Les solutions sont ici à portée de main. Nous pouvons relever ce défi et nous le relèverons, j'en suis persuadé. C'est le rôle de la France que de défendre cette cause avec plus de force encore à Bruxelles.