Parmi vos objectifs, madame la Première ministre, figure une simplification et une rationalisation du contentieux du droit des étrangers. Nous approuvons cet objectif, en vous alertant néanmoins sur les moyens proposés pour y parvenir. Il n'est évidemment pas question de réduire les droits de l'homme, les droits fondamentaux des migrants. Ainsi, l'idée de généraliser le juge unique de la CNDA ne nous semble pas aller dans le bon sens : remettre entre les mains d'une seule et même personne l'instruction des recours, c'est se priver de nombreuses expertises, dont celle du HCR.
Si nous construisons un accueil plus digne et plus efficace, il nous semble opportun, en contrepartie, d'augmenter nos exigences vis-à-vis des étrangers que nous accueillons. Ainsi, le renforcement des capacités d'expulsion de ceux qui troublent gravement l'ordre public, notamment par la limitation des protections relatives et quasi absolues des étrangers dits protégés provoquant des troubles graves, nous semble raisonnable.
Une bonne politique d'immigration, c'est aussi une bonne politique d'intégration, qui sait donner un avenir à ceux qu'elle décide d'accueillir. Les simplifications évoquées dans la perspective du futur projet de loi nous semblent opportunes, en particulier la simplification de la procédure de l'autorisation de travail et le renforcement des dispositifs comme les passeports talent.
Créer un nouveau titre de séjour concernant les métiers sous tension est une bonne idée. Nous en avons besoin, mais nous voulons des garanties : nous souhaitons que la liste de ces métiers prenne en considération les besoins réels en fonction des territoires et ne laisse pas de côté, faute d'une mise à jour régulière, certains travailleurs. Nous avons un autre sujet d'inquiétude : qu'adviendra-t-il des personnes qui perdront leur emploi dans ce cadre ? Ces titres de séjour professionnels étant particulièrement précaires, il faut avoir l'assurance qu'une perte d'emploi n'induira pas une perte du droit au séjour.
Une politique d'immigration digne de ce nom, c'est celle qui permettrait également un retour à l'accès immédiat aux soins pour les demandeurs d'asile, afin que leur état de santé n'ait pas le temps de se dégrader. Cela arrive trop souvent et c'est contre-productif, y compris pour notre système de santé. Cet accès immédiat existait avant l'instauration des trois mois de carence en 2019.
Une politique d'immigration digne de ce nom, c'est aussi celle qui ne détourne pas le regard face aux migrants sans papiers qui, parfois depuis des années, travaillent de manière non déclarée et font tout pour s'intégrer. Tout le monde sait pertinemment qu'ils ne pourront jamais être expulsés, pour de très nombreuses raisons. S'acharner à ne pas leur donner des papiers, c'est les condamner à rester au ban de la société, à basculer dans la pauvreté, à dormir dans les rues, pendant que nous versons des larmes de crocodile quand nous passons devant des tentes de migrants qui croupissent dans des conditions sordides dans les rues de Paris, nuit et jour, y compris l'hiver. À ce jeu malsain, tout le monde perd son âme et sa dignité. La plupart d'entre eux travaillent : notre société a besoin de leurs bras.
Madame la Première ministre, tout est question d'équilibre. Nous serons particulièrement vigilants sur la finalisation du projet de loi, car nous souhaitons qu'il permette une politique d'immigration enfin efficace, parce que courageuse, juste et humaine.