Les débats sur l'immigration sont récurrents, tant dans la société que dans notre hémicycle. Ils semblent sans fin et surtout loin de s'arrêter : les guerres, les événements climatiques, les inégalités économiques entre les continents vont amplifier les mouvements migratoires ; à nous de nous y préparer.
Depuis trente-cinq ans, de la loi Pasqua de 1986 à la loi Collomb de 2018, vingt et une lois ont été votées au gré des majorités et des événements. Cette inflation législative a-t-elle été efficace ? Oui certainement ; cependant, la législation actuelle est complexe, les textes et les procédures sont devenus illisibles.
La création d'une juridiction spécialisée est présentée par les auteurs de la proposition de loi comme une solution permettant de garantir l'accélération des expulsions d'étrangers ayant pris part à des actions terroristes ou les ayant encouragées en même temps que de protéger les droits de la défense. Si nous pensions que la solution était là, nous voterions le texte bien volontiers. Cependant, il y a dans notre pays quelques principes à respecter : les droits de la défense, la garantie de l'appel et bien d'autres choses encore que vous connaissez bien.
L'exposé des motifs indique qu'en 1977, la France expulsait plus de 5 000 étrangers, alors qu'elle n'en exclut que très peu désormais. Il se trouve qu'entre-temps, elle a ratifié la Convention européenne des droits de l'homme dont l'article 8 protège la vie privée et familiale de l'étranger. Nous devons le respecter. Notre droit est protecteur et respectueux des femmes et des hommes qui vivent sur notre territoire, nous devons nous en féliciter.
Les auteurs du texte justifient la création d'une nouvelle juridiction par la complexité des procédures d'expulsion. Si notre groupe partage ce constat, faut-il pour autant y répondre de cette manière ? La proposition de loi permet-elle d'améliorer le traitement judiciaire ? Ne conduirait-elle pas au contraire à une justice dégradée ?
La cour de sûreté de la République, composée de cinq membres du Conseil d'État nommés pour cinq ans, serait seule compétente pour juger de l'ensemble des recours contre les arrêtés ministériels et préfectoraux d'expulsion administrative, ainsi que pour statuer en référé. Le Conseil d'État serait saisi directement des recours contre les décisions de cette juridiction. Sur le fond et sur la forme, cette proposition appelle quelques observations.
D'abord, le nom retenu pour la cour interroge, en raison de la référence explicite à la cour de sûreté de l'État, juridiction d'exception chargée de statuer sur les crimes et délits politiques et créée dans le contexte particulier de la guerre d'Algérie. Ce choix relève d'une certaine forme de provocation, disons-le.
Le titre de la proposition de loi pose également question : l'expulsion a pour objet de parer à une menace ; elle a un caractère préventif et non répressif. L'usage du vocable « étranger délinquant » et la dénomination de la cour concourent à transformer la procédure en une sanction.
Ensuite, la suppression du double degré de juridiction pose problème : celui-ci constitue une garantie de bonne justice, en particulier en matière pénale.
Si nous pouvons nous accorder sur les dysfonctionnements et l'encombrement des juridictions administratives, le remède ne peut pas porter atteinte aux garanties procédurales dont tout justiciable peut bénéficier, fût-il délinquant ou menaçant l'ordre public.
Par ailleurs, vous semblez minorer les difficultés que peuvent rencontrer les services de préfecture dans le choix des procédures les plus adéquates. C'est la raison pour laquelle, par une instruction du 29 septembre 2020, le ministre de l'intérieur les a encouragés à envisager la mesure d'expulsion, chaque fois qu'elle pouvait être légalement appliquée.
Pour toutes ces raisons, le groupe Démocrate et apparentés ne soutiendra pas ce texte.