La question de l'immigration est centrale dans les préoccupations des Français, les enquêtes d'opinion en témoignent. Il est à craindre que l'actualité récente alimente encore cette inquiétude. Je pense au fiasco de l'accueil de l' Ocean Viking à Toulon, ou encore à cette série de faits divers dramatiques qui impliquent des auteurs faisant l'objet d'obligations de quitter le territoire français (OQTF), hélas non exécutées.
Les causes de l'échec des pouvoirs publics en la matière sont connues : une justice trop lente, embolisée par la masse des recours, et des règles de fond et de procédure complexes, voire contradictoires. Progressivement, la France a perdu sa pleine capacité à décider qui elle accueille ou non sur son territoire et qui elle expulse.
Voilà pourquoi le président du groupe Les Républicains, Olivier Marleix, a décidé d'utiliser la niche parlementaire qui lui est réservée pour soumettre à la représentation nationale des propositions de loi opérationnelles, qui visent à accroître la capacité d'action des pouvoirs publics en matière d'immigration.
La proposition de loi porte sur un type spécifique de mesures d'éloignement : la décision d'expulsion pour motif d'ordre public. Elle concerne la sécurité collective que menacent certains étrangers. Le champ d'application est plus restreint que celui des OQTF, mais il est très important et surtout très symbolique, car il touche à notre capacité à faire respecter les principes républicains.
L'islamisme radical arrive en tête des sujets de préoccupation des Français, devant l'immigration clandestine.
Cela montre que leur inquiétude porte non seulement sur l'immigration illégale, c'est-à-dire la situation des étrangers présents sur notre territoire en situation irrégulière, mais aussi sur les troubles à l'ordre public et les atteintes aux principes républicains que peuvent causer certains étrangers, qu'ils soient en situation régulière ou non. Autrement dit, la fermeté que les Français attendent des pouvoirs publics ne doit pas se limiter aux étrangers en situation irrégulière. Elle doit aussi porter, plus largement, sur les étrangers qui constituent une menace à l'ordre public.
La décision d'expulsion pour motif d'ordre public peut aussi être utilisée à l'issue de l'exécution d'une peine, notamment dans le domaine du trafic de stupéfiants. Nous assumons la double peine, c'est-à-dire la prison puis l'expulsion, ou l'inverse, dès lors que la peine peut être exécutée dans le pays d'origine – une autre proposition de loi a été déposée sur le sujet.
La décision d'expulsion est une mesure de police administrative prise par le préfet ou le ministre de l'intérieur, dans un but de protection de la société, laquelle ne peut se résoudre à attendre qu'un crime ou un délit soit effectivement commis avant de voir des individus dangereux expulsés à l'issue d'une procédure pénale. Des outils existent dans notre droit, mais ils sont mal et peu utilisés.
En 2021, il y a eu seulement 344 décisions d'expulsion pour motif d'ordre public, dont 292 à l'initiative des préfets et 52 à l'initiative du ministre de l'intérieur. En 2020, sur les 246 décisions d'expulsion, seulement 124 ont été exécutées. En résumé, peu de décisions et une mauvaise exécution.
Ces décisions donnent lieu quasi systématiquement à des recours. Plusieurs années sont souvent nécessaires pour qu'une décision définitive soit rendue.
Il n'existe aucune procédure spécifique. Ce sont les règles du droit commun qui s'appliquent, avec trois échelons de juridiction : tribunal administratif, cour administrative d'appel, Conseil d'État.
La multiplicité des juridictions compétentes ne favorise pas l'homogénéisation indispensable de la jurisprudence. Nous en avons eu un exemple regrettable cet été avec l'affaire de l'imam Hassan Iquioussen. L'arrêté ministériel d'expulsion a été suspendu par le tribunal administratif de Paris dans le cadre d'un référé liberté. Cette décision a été annulée par le Conseil d'État. Il est regrettable que la République n'ait pas eu le dernier mot dans cette affaire.
C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons besoin d'une juridiction spécialisée pour traiter efficacement ces recours.
La proposition de loi que je rapporte aujourd'hui ne porte pas sur le fond du droit – elle ne le modifie pas –, elle est de nature procédurale. Elle concerne uniquement l'organisation juridictionnelle du traitement des recours formés contre les décisions d'expulsion d'étrangers pour motif d'ordre public.
La proposition de loi crée une cour de sûreté de la République, juridiction administrative spécialisée dans le contentieux de l'expulsion pour motif d'ordre public. Elle contribuera à alléger un peu le stock d'affaires des tribunaux administratifs, dont je rappelle qu'il est composé à 40 % par des contentieux relatifs au droit des étrangers.
C'est une simplification importante, car actuellement trois critères différents sont utilisés pour déterminer la compétence territoriale du tribunal administratif. En créant une juridiction spécialisée, nous favorisons l'homogénéisation de la jurisprudence, ainsi qu'un traitement rapide des procédures.
Pour veiller à ce que ces objectifs soient bien atteints, je propose un amendement qui étend la compétence de la juridiction à l'ensemble des décisions connexes à une décision d'expulsion.
La juridiction spécialisée sera composée de membres du Conseil d'État. Elle sera présidée par l'un d'eux, désigné par le vice-président du Conseil d'État. Elle statuera en premier et dernier ressort, avec un pourvoi en cassation possible devant le Conseil d'État. Le délai pour former un pourvoi en cassation sera réduit à quinze jours, au lieu de deux mois actuellement. Le texte abaisse aussi de quinze à sept jours les délais de recours en matière de référé liberté, toujours dans le souci d'accélérer les procédures.
Je voudrais ajouter deux points pour souligner l'intérêt de cette proposition de loi.
D'abord, il n'y a rien d'anormal ou de choquant à créer une juridiction spécialisée pour un contentieux spécifique.
Ensuite, la réforme respecte les libertés individuelles. La juridiction spécialisée est placée sous le contrôle du Conseil d'État et l'accélération des procédures bénéficiera aussi aux étrangers visés par une décision d'expulsion.
J'insiste sur le fait que la proposition de loi ne modifie pas le fond du droit. Elle ne fait que simplifier et améliorer l'organisation juridictionnelle pour mieux traiter un type de contentieux.
Par conséquent, elle devrait recueillir l'assentiment de chacun d'entre nous. Je forme le vœu, sans doute un peu vain, que cette proposition de loi nous rassemble aujourd'hui.