Le nombre de femmes et d'hommes battus ou tués par leur conjoint, ainsi que le nombre d'enfants battus ou tués par un parent, ne cessent d'augmenter. Ainsi, depuis le début de l'année 2022, 120 femmes ont été tuées par leur conjoint – elles étaient 122 en 2021, ce qui représentait déjà une hausse de 20 % par rapport à 2020. L'association L'Enfant bleu constate une augmentation de 45 %, depuis 2019, des appels de victimes et des témoignages de maltraitance envers des enfants. Selon un rapport récent de l'Unicef, en France, un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de l'un de ses parents. Ces chiffres macabres montrent à quel point la situation est grave.
Cette proposition de loi met donc sur la table un sujet qui mérite d'être traité avec sérieux. Le dispositif choisi n'est cependant pas le bon : nous ne pensons pas que la création d'une juridiction spécialisée soit une méthode efficace. Les amendements déposés par les députés du groupe Rassemblement national proposeront des solutions concrètes afin de lutter contre des violences intrafamiliales qui concernent un trop grand nombre de nos compatriotes.
Dans sa rédaction actuelle, le texte n'aurait pas les effets escomptés : il ne ferait que poser des problèmes supplémentaires à une justice déjà surchargée et trop souvent inefficace. La création de juridictions spécialisées doit permettre de traiter des sujets requérant une très forte technicité ; or les acteurs du procès pénal ont la qualification et la compétence nécessaires pour remplir leur mission auprès des victimes de ces violences.
Cette proposition de loi ne relève que de l'habillage. Sous une appellation différente, ce sont les mêmes acteurs du procès correctionnel qui seraient mobilisés : les mêmes greffiers, le même procureur, le même juge, les mêmes lois.
Par ailleurs, ce texte ne prévoit qu'une seule juridiction dans le ressort de chaque cour d'appel, ce qui est bien trop peu. Aucune garantie ne nous est apportée quant à la présence de cette juridiction spécialisée dans tous les tribunaux. Lorsqu'une personne est victime de violences intrafamiliales, elle a un besoin urgent de proximité : elle ne peut décemment pas être contrainte de faire des heures de route pour se rendre dans un tribunal doté d'une juridiction spécialisée. La proposition de loi prévoit qu'en l'absence d'un juge spécialisé, ce dernier pourra être remplacé par n'importe quel autre magistrat non spécialisé. Avec cette possibilité, la logique du texte s'effondre complètement.
Les victimes de violences intrafamiliales n'ont pas uniquement besoin de juges spécialisés : elles ont surtout besoin de véritables actions concrètes. Les Français ont besoin d'un meilleur accueil lorsqu'ils sont victimes de ce type de violences. Ils ont besoin d'un plus grand nombre de policiers spécialisés et disponibles, ainsi que de moyens d'alerte comme les bracelets électroniques, qui sont encore trop peu déployés. Ils ont besoin de délais raccourcis entre l'instruction et le jugement, d'une réelle application des peines prononcées, de peines planchers en cas de récidive et de bien d'autres dispositions que nous n'avons de cesse de réclamer.
Il est donc indispensable de se doter de moyens efficaces permettant de rendre la justice pour les victimes de violences intrafamiliales. Ces femmes, ces hommes et ces enfants méritent mieux qu'une simple juridiction supplémentaire sans aucun changement du droit ou de la procédure pénale. Avec ou sans ce nouveau dispositif, ce sont les mêmes acteurs qui seront mobilisés dans le jugement de ces affaires.
En l'état, nous nous abstiendrons sur cette proposition de loi.