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Intervention de Émilie Chandler

Réunion du mercredi 23 novembre 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉmilie Chandler :

Notre commission examine aujourd'hui une proposition de loi portant création d'une juridiction spécialisée aux violences intrafamiliales. Ce texte nous permet d'ouvrir un débat à ce sujet, ce que je salue bien volontiers.

Vous le savez, le Président de la République a fait de la lutte contre les violences intrafamiliales la grande cause de ses quinquennats. Les efforts engagés en 2019 lors du Grenelle des violences conjugales font aujourd'hui l'objet d'une évaluation approfondie dans le cadre d'une mission qui m'a été confiée par la Première ministre, conjointement avec la sénatrice Dominique Vérien. Cette évaluation donnera lieu à la formulation de recommandations en vue d'améliorer le traitement actuel de ce type de violences ; la possibilité de créer une juridiction spécialisée sera évidemment débattue.

Votre proposition de loi intervient donc avant même que la mission rende son rapport et que soit clairement posé le cadre dans lequel cette réforme profonde et nécessaire devra être menée. Votre texte risque donc surtout de créer des incohérences et de dégrader les efforts pour une justice efficace et rapide sur ce sujet – je ne parle pas seulement de nos propres réflexions, mais également de tous les efforts réalisés par les professionnels dans ce domaine.

Votre proposition de loi nous interroge à plusieurs titres.

D'abord sur la méthode, puisqu'il est proposé de modifier le nombre de ces nouvelles juridictions spécialisées : un amendement déposé hier prévoit d'en créer une par tribunal judiciaire, alors que nous en étions encore avant-hier à une par cour d'appel. Peut-être avez-vous pris conscience de l'insuffisance de votre proposition initiale, qui cassait la proximité nécessaire à ce genre de procédure. Une juridiction par tribunal judiciaire, cela représente 164 tribunaux des violences intrafamiliales. Or 123 tribunaux ont déjà créé des circuits dédiés aux violences faites aux femmes, avec des procédés différents et des approches diverses qu'il convient d'évaluer avant de généraliser les bonnes pratiques et d'améliorer les mécanismes lorsque cela s'avère nécessaire. C'est justement l'objet de la mission qui m'a été confiée. Nous ne pouvons imposer quoi que ce soit sans avoir un retour sur les nombreuses expérimentations en cours.

En accroissant la complexité d'une organisation judiciaire qui nécessite déjà une simplification, votre proposition de loi pose d'autres questions. Elle fait intervenir trois juridictions, dans un processus déjà compliqué où deux juges rendent parfois des décisions contradictoires, s'agissant notamment de la garde des enfants. On peut le regretter, mais il est nécessaire d'évaluer les efforts consentis par les juridictions pour améliorer l'examen conjoint des dossiers avant d'ajouter encore de la confusion.

Dans le cadre de ma mission, j'ai eu l'occasion d'auditionner des victimes de milieux sociaux divers – certaines diplômées, d'autres non –, qui n'ont eu de cesse de m'alerter quant au manque de lisibilité des décisions prononcées. Ajouter encore et toujours de la confusion au moment charnière de la libération de la parole – une dynamique qui se trouve menacée par votre proposition de loi –, même lorsqu'on est animé des meilleures intentions du monde, c'est faire le mal en voulant faire le bien.

Ce sont les vies de vraies personnes, comme vous et moi, qui sont en jeu. N'agissons pas à la hâte ! On ne plaisante pas avec ces sujets, on ne propose pas des textes sans avoir de retour sur les expérimentations concrètes menées par tous les professionnels du droit et de la justice en vue de proposer la meilleure solution possible et de sauver encore et toujours plus de vies.

Vous avez déjà une législature derrière vous : vous savez donc qu'en vertu de l'article 45, alinéa 1, de la Constitution, il n'est pas possible de déposer d'amendements dépourvus de lien suffisant avec la proposition de loi en discussion. Ne modifiez pas la législation au détriment des vies humaines ! La politique, ce n'est pas jouer avec nos concitoyens ; c'est d'abord les aider.

Je vous invite donc, monsieur le rapporteur, à travailler avec nous une fois le rapport de la mission remis et le cadre de la réforme défini, dans l'intérêt de nos concitoyens.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre votre proposition de loi.

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