La proposition de loi a été déposée par notre collègue Olivier Marleix et plus de soixante cosignataires. Elle vise à élargir les catégories d'étrangers pouvant faire l'objet d'une expulsion pour menace grave à l'ordre public.
En amont de ma prise de parole, je tiens à remercier les services du ministère de l'intérieur, les préfets, l'ambassadeur de France aux Comores, la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne et l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) pour leur participation précieuse à mes travaux, malgré un calendrier très contraint. Il m'a également semblé utile d'entendre des associations. Je regrette qu'elles n'aient pas souhaité donner suite à mon invitation.
Quelques mots, en premier lieu, sur le lien statistique entre la présence d'étrangers sur notre sol et l'insécurité. Je sais le caractère éruptif de ce sujet, mais je suis convaincu qu'il nous appartient d'en prendre la juste mesure pour légiférer efficacement. Pour rappel, la population étrangère représente environ 7,7 % de la population totale vivant en France, mais 27 % des mis en cause en matière d'atteinte à la personne et aux biens, 56 % des mis en cause impliqués dans les vols ou violences dans les transports en commun en 2021 – 70 % en Île-de-France –, 16 % des personnes condamnées, 25 % des personnes détenues sur l'ensemble du territoire – 37 % en Île-de-France et 52 % à Mayotte, l'actualité récente nous le rappelle.
La proportion des étrangers parmi les mis en cause et les détenus a augmenté au cours des dernières années. À gauche, ce lien statistique est nié ou atténué ; à droite, il est fantasmé, amplifié. Notre proposition de loi vise à apporter une première réponse à cet état de fait. Sans rien céder de la tradition d'accueil qui honore notre pays, elle vise à renforcer le dispositif d'expulsion pour menace grave à l'ordre public, en donnant davantage de marges de manœuvre à l'autorité administrative.
L'expulsion est une décision administrative qui peut être prise par le représentant de l'État ou par le ministre de l'intérieur à l'encontre d'un étranger qui représente une menace grave pour l'ordre public. Les étrangers en situation irrégulière comme régulière peuvent faire l'objet d'une telle décision. Si une décision d'expulsion est prise, l'étranger est renvoyé, si nécessaire par la contrainte, hors de France.
Les mesures d'expulsion sont entourées de certaines obligations procédurales qui reconnaissent à l'étranger des garanties substantielles en matière de transmission d'informations et de respect du contradictoire avec l'autorité administrative.
Les articles L. 631-2 et L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), que la proposition de loi suggère de faire évoluer, mettent en place un système de protection pour certains étrangers, en fonction de leur situation familiale, de la durée de leur séjour ou de leur état de santé. Seul le ministre de l'intérieur, et non les préfets, peut décider d'une expulsion entrant dans ce cadre. Pour ces étrangers protégés, le niveau de menace permettant de décider de leur expulsion doit être supérieur à celui de la « menace grave pour l'ordre public ». Pour les catégories d'étrangers mentionnés à l'article L. 631-2, la décision d'expulsion doit constituer une « nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique ». Pour les catégories d'étrangers mentionnés à l'article L. 631-3, la décision ne peut être prise qu'en cas de « comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ».
La proposition de loi met fin à l'ensemble de ces protections, à l'exception de trois d'entre elles : pour l'étranger père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, sous certaines conditions, en application de l'article L. 631-2 ; pour l'étranger qui justifie résider habituellement en France depuis qu'il a atteint l'âge de 13 ans au plus ; pour celui résidant habituellement en France si son état de santé le justifie, en application de l'article L. 631-3.
Pour les autres catégories, la conviction sous-jacente est la suivante : même lorsqu'un étranger dispose de fortes attaches avec la France et qu'il y séjourne depuis un nombre significatif d'années, il doit rester respectueux de l'ordre public s'il souhaite se maintenir sur notre territoire. Les étrangers protégés ont ainsi vocation à basculer dans le régime de droit commun de l'expulsion, celui pour lequel la caractérisation d'une menace grave pour l'ordre public est suffisante.
Je vous donne deux exemples de cas jurisprudentiels de menace grave pour l'ordre public : un étranger ayant fait l'objet d'une peine d'emprisonnement de huit ans pour viol sur une personne vulnérable et présentant un risque sérieux de récidive ; un étranger condamné à trente ans de réclusion criminelle pour l'assassinat de son épouse. La menace grave pour l'ordre public, qui n'est définie par aucun texte et est appréciée indépendamment de l'existence d'une condamnation pénale, ne repose ainsi pas sur des comportements illégaux mineurs, mais suppose un certain seuil de gravité.
Les régimes de protection mis en place par les articles L. 631-2 et L. 631-3 du Ceseda amputent de façon excessive les marges de manœuvre de l'autorité administrative. Cette analyse m'a été confirmée par les préfets et les services du ministère de l'intérieur à l'occasion des auditions. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : entre 2016 et 2021, entre 200 et 344 décisions d'expulsion ont été prises chaque année en application des articles L. 631-1 et suivants du Ceseda. En 1996, ce chiffre s'élevait à 1 166.
Parmi ces décisions, en 2021, seulement 33 ont été prises sur le fondement des régimes dérogatoires des articles L. 631-2 et L. 631-3. Le niveau de menace à l'ordre public à caractériser est tellement élevé et spécifique qu'il rend dans la pratique quasiment impossible toute expulsion pour ces catégories d'étrangers protégés.
J'ai conscience que ce seul dispositif ne permettra pas de régler la totalité des difficultés. Perdureront de nombreux obstacles à l'exécution des décisions d'expulsion. Cependant, j'ai acquis la conviction que notre proposition de loi fait un pas en avant significatif en déverrouillant le dispositif de l'expulsion pour menace grave à l'ordre public. Je proposerai par ailleurs plusieurs amendements pour assouplir plus encore ce régime.
Je sais les tensions et clivages que suscite le thème de cette proposition de loi et je formule le vœu que nous parviendrons à un débat raisonné et constructif.